(Centre hospitalier spécialisé)

2158 – Mars.  – 2 ans auparavant. - Centre de repos spécialisé de Schkoklan.

 

La Doctoresse Protectrice Eboshi Takuzawa se leva pour vérifier que l’aire d’atterrissage n’avait pas bougé. Que se passait-il donc ? La navette de transport avait déposé leur hôte depuis une heure déjà. Eboshi sortit de son bureau du Centre de Soins spécialisés de Schkoklan. Elle jeta un coup d’œil. Le grand hall semblait désert. Avertie par le bruit de pas, elle resta penchée, le regard rivé sur le fond du couloir. Somson, Le Chambellan des appartements hospitaliers apparut à l’ouverture des portes. Dans sa tenue ajustée, il avançait en laissant ondoyer les pans de tissu de sa splendide cape d’apparat.

 « …L’espion est arrivé, Madame la Protectrice. Il attend au salon. » Annonça t’il en arrivant enfin auprès de la Ranke 3 japonaise.

 Eboshi se permit un sourire.

 « Vous l’avez…vu ? »

 « Non Ser, je ne me serais pas permis. »

 « Comment savez-vous que c’est un espion, Will ? »

 « Ainsi l’appelons-nous entre nous, Docteur. » Dit l’homme en s’inclinant comme un bonze un peu trop dévot pour être tout à fait d’équerre.

 « C’est absurde, Will. Retirez-vous à présent. » Dit calmement Eboshi. Elle nommait les membres du protocole et de certains services collectifs  parmi les patients moindrement malades les moins volontaires. Le Chambellan actuel, un certain Willario Somson, lui avait été envoyé par le terrier L. Il s’occupait là bas des reptiles en cavité bio et avait glissé dans une manie dépressive détectée un peu tard. Ses menues fonctions ici lui arrachaient, dès qu’il trouvait une oreille soignante suffisamment compatissante, de déchirantes plaintes qui laissaient de marbre la psy en chef. Elle alla trouver son invité au salon.

 « Eboshi Takuzawa, enchantée. » Dit-elle en lui tendant la main.

 « Juan Muro, de même. » Fit l’ex Major.

 Elle l’emmena avec elle dans son bureau, heureuse de sentir le souffle de l’aventure siffler à ses oreilles.

 « Peu d’êtres humains pourront se prévaloir d’un périple comme le vôtre, monsieur Muro. »

 « Je vous en prie Protectrice, appelez moi Muro tout court. J’ai perdu l’habitude des distinctions, même de celle-là. »

 « Vous êtes passé par la Région Saturne donc… Muro ? »

 « Oui Ser. J’ai eu la chance de m’y maintenir un an, sur Titan. »

 « Voulez-vous que nous organisions une rencontre collégiale ? » S’informa t’elle.

 « Non. Je préfèrerais rester en ces lieux et m’adosser à votre seule perspicacité. Je me déplacerai dans votre verte capitale avant de rembarquer pour Terra, cela me suffit. »

 Eboshi prit note du fait, et lui demanda :

 « Savez-vous comment mon Chambellan et de nombreux autres vous appellent ? »

 « Le traître ? »

 Eboshi dans son vaste fauteuil tapa dans ses mains joyeusement.

 « Mieux que ça. »

 « Je ne sais pas. » Abdiqua Muro, fatigué et inattentif.

 « L’espion ! » Elle gloussa le mot comme un gallinacé, menaçant de s’étrangler.

 Muro ricana nerveusement et posa ses mains sur son visage, secoué à son tour par des hoquets d’hilarité.

 « Ça fait du bien de retrouver des humains. » Eut-il le temps de dire avant que son rire n’emplisse le bureau, aussitôt rejoint par les hauts trilles de la Protectrice, hilare. Eboshi s’essuya enfin les yeux. Sans tout à fait arriver à éteindre les spasmes de son diaphragme.

 « Dommage qu’on ne puisse pas ouvrir les fenêtres…Enfin…Puis-je au moins demander à quelques proches de venir nous rejoindre, Muro ? » Parvint-elle à articuler.

 « Oui, volontiers. Qui comptez vous inviter ? »

 « Les hautes Taupes,  quelques amis des Terriers, et aussi une de nos Vestale, la moins soupe au lait. Ça vous dit ? »

 « Je marche. Où peut-on se reposer ici ? »

 « Partout ! Sauf dans les sections D et dans les locaux techniques. Je vais demander à mon assistant de vous montrer vos appartements.»

Muro se leva et, après un bref salut militaire Rank, il partit chercher un coin où se remettre de ces émotions délicieuses, après deux ans passés avec trois Spetz à convoyer un mini océan d’eau.  Ses anciens chefs n’auraient pas dû faire ça.

  ………………………dix jours plus tard, mêmes lieux…………………………

 Dans un coin du Hall éloigné de l’immense baie, le repas prenait fin. La conversation allait bon train. Muro se disait qu’il serait volontiers resté parmi eux plutôt que d’avoir à rembarquer encore une fois pour une autre séance de confusion, sur la Terre cette fois.

 « Une insurrection ? Chez les Mauves ? »  La Druidesse, une corpulente Amélio en robe ample, n’en revenait toujours pas.

 « Et nos sœurs là-bas ? » Demanda t’elle à Muro.

 « Elles veulent en découdre. »

 « Je n’en suis guère étonnée. Elles vont y laisser des plumes ! »

 « Comme vous le savez, Ser, une insurrection n’est pas forcément un massacre. »

 Ils demandèrent à nouveau comment le Major pouvait être si sûr de son analyse. Issa réfléchissait, l’air ténébreux derrière sa barbe, en se caressant la moustache.

 « Si vous prenez le contrôle de Titan, ce que je veux bien imaginer, il y’a les bases spatiales. Quid de la Flotte ? » Lâcha t’il au bout d’un moment.

 « La moitié des bâtiments se précipitera probablement vers vous. »

 « Ce n’est pas très encourageant, Sir. » Dit Sergueï, le regard sombre.

 Muro remit sur le tapis ce dont il les avait brièvement entretenus au début du souper.

 « De nombreux membres de la Flotte mauve voudraient que vous les aidiez à installer des Terriers sur Encéladus ou sur Io. »

 « Notre communauté n’acceptera pas. - Lui dit Eboshi, inquiète.-  Je ne suis pas certaine de le vouloir moi-même.»

 « Procédez à des élections ! » Dit la Protectrice bio formatrice, qu’Eboshi avait aussi invitée.

 Dans le brouhaha général qui s’ensuivit, Issa demeura silencieux et inerte. La biologiste et son mari faisaient de leur mieux pour convaincre les réticents que des élections sur un vrai sujet et non plus seulement pour désigner des responsables cooptés par avance était une nécessité urgente. Mars était mûre à présent.

 « Vous ne dites rien ? » Demanda soudain Muro à Issa.

 « Un jour lointain, sur la vieille Luna, j’ai dit qu’on ne pouvait pas garder « ça » pour nous et qu’il fallait « le » leur dire…Je le pense encore. » laissa tomber, laconique, l’africain.

 Seule Eboshi put faire le lien exact assez rapidement.

 « Tu parles au nom de combien de Taupes, Issa ? » Demanda t’elle à son vieil ami barbu.

 « Je soutiens le Prince. » Grogna Sergueï, il siffla son verre et le lança derrière lui, à la russe.

 Juan Muro finit par vider des vodkas martiennes avec lui, avant d’aller s’effondrer dans sa chambre au grand lit. Avec cette soirée, il était déjà invité dans trois Terriers d’ici à son départ.

 « Les Verts sont des gens épuisants… » Marmonna t-il en sombrant dans le sommeil.

Le lendemain midi, Issa surprit une majorité de convives au déjeuner en leur annonçant que des équipes de Taupes Vertes avaient déjà commencé, dans le plus grand secret, le creusement de cavités sur Encéladus, satellite de Saturne. Deux réseaux étaient presque terminés.

 À une remarque sur la trahison que cela impliquait à l’égard de la communauté martienne, Issa répondit qu’en tant que bâtisseur il n’avait signé aucun contrat d’exclusivité avec le Directoire Martien. Sergueï ricanait. Eboshi et la Protectrice Bio formatrice vérifièrent d’un bref coup de workscreen com. Elles confirmèrent ce qu’il venait de dire : Pas de signature.