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Solar Ranks

15 janvier 2010

(un couple d'intellos velus)

 

Londres – Campus de l’Université de Woolwich.

 

« Nos lignées n’étaient plus des lignées singes sauvages depuis longtemps. » - A avoué Haskar un jour à Zoun la glabre  - « Les Chimps arrivés sur la planète rouge n’étaient plus de simples chimpanzés prélevés sur je ne sais quelle portion de savane sauvage. Soi disant singes originels qui, de toutes façons, n’existent plus depuis longtemps sur Terra ! »

 « Lorsque vous mettez un bipède, velu ou glabre, au pied d’une falaise côtière en lui donnant une brosse à dent et que vous lui dites : survis ! Il est la plupart du temps assez déstabilisé. C’est pourtant là la condition idéale pour faire plus ample connaissance avec nos amis les coquillages.» - Strhashna Sgharnova – (une Chimpe dans la tourmente)

 À Londres, Sherghi se prélassait sur la natte double de son petit deux pièces en attendant l’arrivée de Strhashna. Ses grosses mains calleuses tenaient un livre papier à la reliure jaune et noire. Les presses martiennes sur Terra avaient enfin édité l’ouvrage de Ser Zghirni Sgharnova et Strhashna, en bonne belle-fille, s’était empressée de le commander dès sa première parution sur la planète des origines. Le maître assistant Sherghi l’avait trouvé au courrier ce matin. Il reprit sa lecture :

 «...naître Chimp ne fait de nous que le membre d’une espèce non aboutie. Lorsque nos petits viennent au monde, ils ne maîtrisent que le langage Singe, celui que les humains appellent le simiesque. Le bébé Chimp apprend tout d’abord à s’orienter à l’aide de ces cris et ces grognements, ces sifflements et ces chuintements rauques. Il lui reste à y ajouter les mimiques adéquates, gestuelles ou faciales, qui peu à peu lui entrouvrirons les arcanes du langage tactile : ce fascinant ensemble de pratiques silencieuses qui nous permettent d’exprimer tout en faisant. Lors de mes études à Bornéo, j’eus la chance et l’honneur de partager le quotidien d’une école de petits handicapés sensoriels. Les petites classes de cet établissement accueillaient des enfants en attente de l’appareillage qui allait pouvoir leur « rendre » l’ouïe. J’observais longuement les leçons de langage des signes auxquelles ces jeunes bipèdes, poilus et glabres, étaient astreints. Les sourds-muets Chimps expliquaient par gestes à leurs camarades humains que la date approchait de leur modification palatale. Le voile du palais chez nous autres singes n’existe pas. Nos larynx ne sont pas conçus pour former les sons du langage articulé. Les premiers Chimps Amélio, ceux de Mars, étaient dotés d’Implants assez encombrants qui permettaient le dialogue entre eux et les médecins vétérinaires biotechs chargés d’eux. Haskar et les autres « primo arrivants » ont hésité sur la conduite à tenir à l’égard de ces problèmes : modifier la conformation de l’appareil vocal par une opération sous anesthésie permettait certes de ne plus recourir qu’à des implants légers, la procédure comporte malgré tout des désavantages. Obliger notre espèce à passer ainsi sur le billard, enfant après enfant, inlassablement, à chaque génération, comme on gaverait de vulgaires oies manque…d’élégance ! C’est pourtant cette solution là qui fut retenue et est pratiquée depuis lors.

 Les Chimps Amélios de Terra ont emboîté le pas à leurs frères extra terrestres dès après le retour des survivants de la bataille de Vénus en 2243. L’enfant Chimp, ce futur citoyen chartiste, quelle que soit son origine, n’accèdera donc au plein emploi des outils de communication entre bipèdes faber que vers 3 ou 4 ans d’âge.

 Les glabres nous font parfois remarquer que notre mode de comptage en interne des individus singes Amélios ne comptabilise les enfants qu’à partir de ce moment. Souvent cette remarque est émise sur un mode plus ou moins réprobateur – voire avec un parfum de culpabilisation induite - histoire de dire que ce que nous appelons « la marmaille » est considéré par nous comme quantité négligeable…Ce sont bien là des idées et des conceptions d’humains ! La « marmaille » est la moelle de notre conception de l’univers vivant. Tout les Chimps tomberont d’accord pour affirmer qu’aucun moment d’existence n’est aussi dense, passionnant, que ces années d’avant les phonèmes articulés. La signification de notre présence au monde vient de là et de nul autre endroit. Cela - semble t’il - vaut également pour les membres du grand peuple Homo Sapiens Sapiensis. Ils ne l’admettent pas aussi facilement voilà tout. C’est une espèce coureuse, aux glandes sudoripares surdéveloppées et aux poils fins, inapparents…Nous : nous sommes une espèce galopeuse et grimpeuse. Ostensiblement velue et remarquablement non inhibée. »

 Sherghi reposa le livre en baillant.

 « Que dois-je faire ? » - Songea t’il – « Hornak ne sait rien de notre liaison à Strhashna et à moi…et je n’ai guère envie qu’il en soit prévenu…Partir seul pour le Tibet ? Bah…ce n’est que dans six mois. Nous verrons bien à ce moment là. »

 Sherghi, le Chimp de Mars, était tombé amoureux du secret dont s’entourait leur amour. Strhashna lui menait la vie dure. Elle ne se gênait aucunement pour disparaître pendant des heures lorsqu’elle était à Londres. Elle revenait se glisser à ses côtés, l’haleine lourde d’alcool et la toison imprégnée de l’odeur des traîne-savates à la peau lisse avec qui elle s’acoquinait le temps de ses virées nocturnes. Il allait dans ces nuits là dormir près de la porte sur le sofa et sortait au matin en lui laissant de quoi se concocter son premier repas de la journée. Avec parfois un petit mot du genre : « Je reviens vers 17 heures. ». Les fins de journées lui étaient entièrement consacrées. La jolie Strhashna l’accueillait invariablement avec un sourire doux et ils passaient d’agréables moments jusqu’au soir. Une à deux fois par semaine, elle s’enfermait dans la salle de bain après le dîner pour se farder. C’était le signe qu’elle allait sortir. Il en profitait pour s’installer à ses unités Vaev et bossait un peu. « À plus tard ! » - Lançait l’un des deux, elle ou bien lui, avant qu’elle ne franchisse la porte d’entrée.

 « Je ne fais rien d’autre que parler et consommer face aux bars, tu sais… » - Lui avait-elle dit un jour au sixième mois de leur relation.

 « Des inconnus ? » - Avait-il demandé.

 « Les glabres sont d’éternels inconnus pour eux-mêmes…Oui, Sherdji : des inconnus. On croit se lier alors qu’en toute vérité on ferait bien mieux de se contenter de s’être croisé…Ce n’est déjà pas si mal de se croiser, non ? » - Avait-elle répondu.

 « T’ai-je dis que je t’aime ? » - La questionnait-il parfois

 « Monsieur le Chimp des Terriers ! Ne seriez-vous pas en train de me déclarer votre flamme ? » - Rigolait-elle en guise de réponse. – « Absolument pas, mam’zelle la bleue. Si je te déclarais ma flamme, tu n’aurais plus qu’à souffler pour l’éteindre. Or, moi, je t’étreins comme un houx, avec l’ardeur d’un parasite étouffant et froid. C’est là mon rôle de jardinier mâle extra terrestre.» - Rétorquait-il.

 Ils passaient de longues heures à parler du vieux Newth et de son invraisemblable caractère.

 « L’Apprenti...Voilà quelqu’un qui comblerait la plus exigeante des personnes en mal d’émotions… » - Fit Strhashna en appuyant sur le dernier mot avec une moue rêveuse.

 « Il finira fou. Ou mort. » - Assurait l’ouvrier de la Cavité 13.

 « Tu l’as dit, Sherghi… » - Répondait Strhashna.

 

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15 janvier 2010

(l'interrègne)

 

Chapitre 21

 

« L’interrègne ».  (2372  -  2380)

 

Aqua  -  Juillet 2372.

 

La cellule de hautes pressions atmosphériques d’hiver campait jadis saisonnièrement au dessus de la région de Tachkent. C’était l’anticyclone le plus puissant de Terra. Elle s’était depuis décalée quelques peu vers le nord, sous l’effet du réchauffement global. Elle prenait à présent ses quartiers du côté de Tobolsk et de Yakoutsk, en sibérie. L’été, elle allait sagement reprendre sa place dans le pacifique nord, histoire de rééquilibrer thermodynamiquement le bilan radiatif annuel de la planète bleue. La dépression d’été, à qui elle cédait traditionnellement la place sur l’Asie centrale était remontée de 500 Kms, elle aussi.

 Shwafhna, la jeune femelle orque élevée par les baleines, une fois relaxée par ses mentors, avait donné rendez-vous à ses parents sur son lieu de naissance, en Pacifique nord, justement, près des rivages de l’île Urup dans les Aléoutiennes. Un ciel clair et un soleil radieux, conquérants, inondaient donc de lumière et de chaleur les fraîches tranches d’eau de la surface d’Aqua. Le chapelet des îles Aléoutiennes et les eaux territoriales alentour - depuis longtemps - étaient devenu territoire Chartiste « international ». Les russes, les japonais et les nord-américains n’étant jamais parvenus à un accord à l’amiable à leur sujet. Vrsha et Bshannan y parvinrent depuis l’atlantique en traversant l’océan arctique, tandis que Krtk et la belle Zwyzy remontaient depuis les Célèbes les y rejoindre. Après une quinzaine de jours de sillages sur place, essentiellement consacrés à la joie des retrouvailles, agrémentées de nombreuses et savoureuses parties de sondages alimentaires, les cinq cétacés entrèrent en palabres.

 « Tu dois décider quelle sera ta zone maritime de rattachement, Shwafh. » - Disait Bshannan.

 « J’avais pensé au secteur des Kerguelen… » - Répondit la jeune orque qui ne parlait de cet endroit que par ouï-dire, puisqu’elle n’avait jamais fendu ces parages lointains de l’hémisphère aquatique sud de ses propres nageoires.

 « Hmm…Il y’ a un - clek - Centre cétacé chartiste là-bas - fort petit ! » - Cliqueta Krtk.

 « Je pourrais aller au Centre de Perth et à celui de Port Saint Johns pour les enseignements et les maintenance d’Implants compliquées, non ?! – Père. » - émit Shwafhna en sonar.

 Vrsha se frotta contre sa fille en nage lente, elle ne se rassasiait pas du contact avec les effluves de sa fille retrouvée – « Comme tu y vas ! Je sais bien que nous autres, cétacés, étonnons toujours les marins bipèdes par notre rapidité à voyager sur les vagues d’Aqua, l’Afrique australe et l’ouest Australien ne sont pas le récif à côté par rapport aux Kerguelen. »

 Zwyzy se tenait un peu à l’écart de la discussion. Elle s’approcha.

 « Je connais quelqu’un là-bas - au Centre d’étude océano des Kerguelen. » - Siffla t’elle.

 « Qui ? » - Questionna Krtk, toujours curieux de tout.

 « Un bipède glabre veto Biotech un peu fantaisiste,. Il a toujours voulu agrandir et renforcer les capacités du Centre spé Cétacé de leurs petites îles.»

 « Comment s’appelle ce – Clic – charmant jeune homme ? » - Demanda Vrsha.

  Zwyzy la Tursiops effectua un saut périlleux de plaisir : « Ce n’est pas un – clic – jeune homme – C’est un – clac – vieux barbu – il s’appelle monsieur Jean de la Barre, c’est un – cloc – nutritionniste – clic – spécialiste biotech des systèmes digestifs des animaux marins. »

 Bshannan, l’éduqué, cliqueta en mode interrogatif en direction de sa chère mère - « Je connais ce nom ! Ce n’est pas lui qui s’est occupé des tortues des Galápagos au siècle dernier ? ».

 « Si ! Grâce à lui et à ses manipulations « tortueuses », quoique extrêmement efficaces, les grosses tortues d’Aqua digèrent maintenant les polyvinyles et, ainsi, elles ne se tapent plus des occlusions intestinales mortelles à chaque vieux sac plastique que ces idiotes s’obstinent toujours à confondre avec des méduses…» - Répondit Zwyzy.

 « Excellent ! Tu pourras toujours lui demander un – clic – cachet pour la digestion, si tu te sens – cloc - barbouillée, ma chère – clac – fille. » - Plaisanta Krtk. Shwafhna lui semblait en pleine forme physique, mais il la trouvait sur la réserve – « Sûrement un effet de son éducation pour le moins inhabituelle. » - Songea le gros orque. Il voulut se rassurer un peu :

 - « Les...Ba et les Bû d’Antarctique ne risquent-elles pas de te – clac - poser des problèmes, Shwafhna, après nos – clek - affrontements ? » - Demanda t’il à la magnifique jeune orque.

 - « Non, père Krtk. Je suis l’Infante d’Aqua. Toutes les baleines n’y accordent pas une foi inébranlable...ça viendra... Néanmoins, aucune, j’en suis sûre, ne me causera de réel souci. » - L’assura Shwafhna. – « De toute façon, je ne serai pas seule aux Kerguelen… »

« Qui t’accompagnera ? Une géante ? » - S’énerva Vrsha en fouettant l’onde de sa caudale.

 « Non, mère Vrsha. Jdeyfsh…euh, je veux dire : l’ermite fou, m’y rejoindra au printemps austral : C’est un Tursiops pur jus - un ami, pas un baleinoptère - par le grand calmar ! »

 « Jdeyfsh ?! Jdeyfsh O’Feysh, de l’île de Man ?! Il vit donc ? » - S’exclama Bshannan en cliquetis exacerbés, osant même s’approcher tout près de la tête de Shwafhna.

 « Tu le connais ? » - S’étonna Shwafhna en émettant sa confirmation en sonar reconstitué.

 « C’est le père de Bshannan, Shwafhna. » - Informa Zwyzy.

 La Colonelle Cétacée Vrsha se campa devant sa fille et lui demanda de leur narrer en détail sa relation avec cet « ermite fou » durant son long séjour arctique. L’Infante d’Aqua, future Princesse des peuples mammifères marins de Terra, installa ses cercles de girations autour du quatuor formé par ses parents, sa tante avec son beau ténébreux de fils, et elle commença son narrage, entrecoupé de chants baleines. Les auditeurs se régalèrent fort de cette saga haute en couleur. La description de l’épave du navire océanographique transformée en nid d’hivernage par Jdeyfsh arracha des larmes de rire aux deux Tursiops.

 « Bien ! « Birdie » est un nom bien dans l’esprit de ce mauvais garçon irlandais de Jdeyfsh ! Il me disait toujours : « lèves les yeux au ciel, Zwyz : Les oiseaux sont des crétins, mais ils ont une grande ressemblance avec les cétacés : ils doivent sans cesse se nourrir s’il veulent survivre. ».» - Crépita Zwyzy en entendant le nom de baptême choisi par son ex compagnon.

 Shwafhna poursuivait en imitant les couplets subaquatiques des géantes qui croisaient les sillages de Jdeyfsh avant qu’elles ne se décident à lui parler. – « Tursiops glacial – Ermite givré – Dauphin fou ! » - Chantait-elle. Les quatre auditeurs étaient charmés et admiratifs devant la qualité de son récit qui alternait savamment les langues et les modes d’expressions marins sans jamais lasser son public. La jeune barde bicolore omit volontairement de faire état de la longue visite que les Chartistes venus de Reykjavik avaient rendu il y’a peu à son ami/mentor gris. Jdeyfsh lui avait expressément demandé de taire cet épisode pour le moment.

 Une fois que sa fille leur eut raconté son long séjour arctique et celui de Jdeyfsh, l’orque femelle Vrsha échangea quelques minutes en sonar α–Crypté, dont elle était sûre que Shwafhna ne comprenait pas un traître sème/mot, avec les trois autres Implantés interfaces.

 - On l’envoie aux Kerguelen ? – On la laisse prendre le risque ? – émettait Krtk.

 - Je la crois, quand elle dit que les mégères du pôle Sud n’oseront pas s’en prendre à elle. – Envoya Vrsha comme réponse – Et toi Zwyzy ?

 - Moi aussi - On prendra contact avec ce responsable Cétacé glabre, ce « de la Barre » – Il faudra lui indiquer la meilleure voie pour l’Implantation de la petite. – Répondit la Tursiops.

 - D’accord…qui l’accompagne jusqu’au bassin ouest australien ? – Demanda Krtk.

 - Pas moi. – Fit Bshannan – Je suis attendu aux Célèbes Chimpes.

 - Mon congé prend fin dans deux semaines – C’est trop court. – Signala maman Vrsha. – Allez-y vous deux, et retrouvez-vous avec Bshannan au Centre Cétacé des Célèbes.

 Krtk se tourna vers sa fille aux magnifiques taches noires et blanches imbriquées comme dans une représentation du Yin/Yang.

 « Ta mère et le fils de Jdeyfsh et de Zwyzy retournent vers les îles britanniques, fille – Veux-tu que nous – clac – t’accompagnions jusqu’à – clek – l’Ouest du continent Australien ? »

 « Avec joie, père/Krtk. A bientôt mère/Vrsha ! » - émit en sonar la jeune orque en direction des deux cétacés qui déjà s’éloignaient en azimut nord.

 Une fois convenablement éloignés, Bshannan le Tursiops cliqueta à sa voisine orque : « Je diverge au sud-ouest, professeur Vrsha. Avez-vous un message pour le docteur Sherghi ? » - La maternelle baleine tueuse lui répondit en sonar :

 « Oui. Dis-lui que les Chimps comme lui mériteraient de vivre mille ans ! » - Chuinta t’elle en claquant ses fréquences sonores comme un riff de guitare avec effet larsen avant de caler le cap de ses nages sur la mer de Béring.

 

15 janvier 2010

(Haute vélocité)

 

Région mauve    2370  -  Secteur des Satellites galiléens de Jupiter.

 

Les distances entre corps célestes gravitant autour de Jupiter (Ou de Saturne) étaient trop grandes pour espérer les relier entre eux avec de simples chaloupes. Les Mauves spatiaux avaient construit des petites nefs spécialisées dans ces Rotations Régionales, plus rapides et dotées d’une autonomie plus grande. Les autres solutions pour se déplacer entre les bases d’exploitations et les bases d’habitat ou les Terriers étaient les Nefs « normales » : Corvettes, Frégates, Destroyers, ou encore - si l’on n’était pas pressé - les Péniches ou radeaux spatiaux, en utilisant les modules pousseurs qui déplaçaient ces énormes masses de matériaux divers.

 Depuis le 23ème siècle, les Trusts avaient mis en chantier quelques navires privés de tonnage moyen pour les translations de leurs personnels. A cette occasion les Verts martiens avaient en secret averti les mauves : « Si jamais nous trouvons un de ces engins, même désarmés et officiellement civils, en dehors de la sphère d’attraction des géantes gazeuses, nous tirerons à vue ! » - Avaient-ils posé. C’était l’époque de la bataille de Vénus et il était hors de question pour les verts de tolérer la présence de ces Nefs nouveau modèle ailleurs que chez ces satanés mauves…Eux-mêmes, on l’a vu, ne se gênaient pourtant pas pour accélérer leurs programmes de recherche en vue de créer des véhicules cosmiques reposant sur des concepts nouveaux.

 « Le Projet Haute Vélocité débouchait quasi mécaniquement sur un retour à la stratégie de la canonnière, aux politiques impérialistes des flottes aéronavales avec portes avions du 20ème et 21ème siècle terriens ! Aux mains des tenants du Putsch de 2365, cette arme aurait signifié un retour inévitable à des affrontements inter planétaires. A tout le moins, cela aurait conduit à une course aux armements entre Terra, Mars, et vous.» - Tempêtait l’ex Vert Deng Yihu.

 « C’est bien pour cela que nous sommes si réticents, Sir Yihu. » - Répondait le patron de l’Usine orbitale Jup 5. – « On peut dire que vous choisissez mal votre endroit ! Cette Usine orbitale a été le lieu où la plupart des bâtiments de l’attaque mauve de 2135 ont jadis été militarisés. Et voilà maintenant que vous, des proscrits, des hommes qui ont trempé dans une tentative de coup de force armé, venez nous proposer froidement de participer à l’élaboration d’un prototype de vaisseau en principe interdit par les accords interplanétaires de 2245. »

 « Le navire que nous projetons de construire ne serait pas armé, Sir. » - Intervint Kherlh.

 « Équipé des nouveaux dispositifs de propulsion inventés par les druidesses vertes, il serait quasiment invulnérable aux attaques classiques ! Cela suffit à en faire une menace potentielle. Nous ne désirons pas en revenir à une situation conflictuelle avec Mars et ses habitants ! »

 « Je suis arrivé chez vous à bord d’une Nef, le « Spheric Papoose », dont l’essentiel de la conception contrevient à ces mêmes accords. Convenez-en… » - Signala Sir Yihu dans sa combinaison safran. Le général ingénieur mauve et ses collaborateurs, eurent un petit sourire.

 « Un point pour vous…Les verts martiens ne se gênent pas, eux, pour n’en faire qu’à leur tête. Tout de même ! Vous avez vraiment des mentalités de corsaires invétérés, messieurs. Or, vous savez, bien sûr, la différence entre un corsaire et un pirate ? »

 « Le premier pille avec, dans le coffret d’une des armoires de la cabine du capitaine, des lettres de course qui l’y autorisent et l’autre sans…Oui, nous le savons… » - Ricana le vieux Chimp. – « J’aime assez l’idée d’être assimilé à un forban, Général. Toutefois, je n’en suis pas un. Un visionnaire peut-être, mais un pirate, n’en déplaise à mon ego velu : non…»

 Le physicien mauve grommela en retournant les paramètres en tous sens pour la énième fois depuis six mois qu’il avait été mis au courant des intentions des deux « réfugiés » verts. Etre celui qui présiderait à la naissance d’une nouvelle façon de voyager à travers le système solaire était tentant…très tentant ! Le « Spheric Papoose » et ses deux navire jumeaux : le « Bacon and Eggs » et le « Marquise de Pompadour », avec leur énormes sphères remplies de comburants, précédées par la boule plus petite de leur quartiers habités, contrevenaient bel et bien aux ailes technologiques des traités. Ils accéléraient en continu pendant près de 10 jours avant de courir leur erre en allumant les dispositifs de Grav artificielle. Puis ils reprenaient leurs bonds en avant. Or, l’accélération continue ne faisait pas partie des techniques agrées par la Charte…Ils atteignaient les 65 000 Kms/heure soit 50 % plus rapides que les autres bâtiments, sauf les nouveaux lévriers UR des martiens. Il y’avait indéniablement là un challenge, un défi à relever !

 « La tentation de se lancer là dedans est grande parmi les membres de nos équipes de recherche, messieurs les réprouvés de Mars la verte - Grande ! » - Tonna t’il. – « Revenez dans un mois que je puisse m’occuper d’ouvrir les parapluies idoines au-dessus de ma pauvre tête de trompe-la-mort. M’est avis que nous allons accepter. »

 Un an plus tard, la membrure de deux magnifiques vaisseaux prenait forme dans un des halls de l’Usine Sat 8. C’étaient des sphères d’une centaine de mètres de diamètre, destinées à recevoir un maximum de 30 passagers avec un équipage de quatorze personnes. Avec les moteurs dont ils étaient dotés, ils mettraient un an et demi à rallier la Terre depuis Saturne, deux à rallier Mars en conjonction astronomique défavorable. Ce n’était déjà pas si mal.

 « Il faudrait que nous en sachions plus sur les nouveaux propulseurs ultra Rapides. Nous pourrions ainsi prévoir à l’avance les superstructures nécessaires à leur pose. » - Dit Deng.

 « J’ai appris par des…correspondants sur Terra qu’une des physicienne lysistrates qui avait présidé à leur élaboration, puis à leur mise en place n’était pas repartie avec le « Cosmic Gonçalves… » - Indiqua Kherlh alors qu’ils admiraient le chantier, payé sur les deniers Chimps collectés dans tout l’oekoumène et que leur envoyait Voroï, sur des comptes fictifs.

 « Je sens que je vais bientôt quitter ces confins glacés, mon cher Kherlh…je me trompe ? »

 « Que diriez-vous donc de retraverser la Chine, le pays de vos ancêtres, Sir Yihu ? Sous un autre nom naturellement…Je vous rejoindrai quant à moi sur la première de ces deux magnifiques machines devant nous qui sera prête au départ vers Terra. Qu’en dites-vous ? » - Répondit l’ex second Adjoint de la Région Caldeira.

 Deng s’embarqua sous une fausse identité sur une Nef de Rotation Jovienne semestrielle et devait arriver en orbite terrestre au milieu de l’année 2373.

 

15 janvier 2010

(en rev'nant d'l'expo)

 

Terra  Paris – (France).

 

L’exposition commençait à s’essouffler. Les visiteurs, nombreux les premières semaines, se faisaient rares. L’engouement pour « les ârtistes de Mârs » retombait, brouillé de surcroît par le nouveau sujet à la mode : les Chimps et leur projets d’installation entre Chine et Tibet.

 Strhashna se faufila à travers les salles d’expo en direction des locaux administratifs. Elle passa sous la sculpture intitulée : « Ammoniac’girl with two children » que Yacine avait composé avec des morceaux de Plex récupérés. Une des gardiennes lui fit un petit signe amical au passage. Deux visiteurs, un vieux monsieur très digne et une jeune femme : sa fille ? S’interrogeaient devant «Never Help Yourself » l’ultra célèbre installation qui avait servi d’affiche pour cet évènement culturel et artistique. Ils tiquaient visiblement sur l’invitation à se servir eux-mêmes de certains des composants pour découvrir le contenu de l’œuvre.

 « Ça me fait penser à de l’Art conceptuel à l’ancienne manière… » - Dit le monsieur.

 « Art conceptuel ? Qu’est-ce que c’est ? » - Demanda la jeune femme.

 « Ahem…C’est un peu difficile à expliquer avec des mots, sweethæart. Je dois avoir un Data cristal à la maison avec des illustrations holos. Rappelles-moi de te le montrer. »

 « Viens, daddy, retournons voir les dessins de sa descendante, la naturaliste. Ils sont tellement beaux, enfin…si émouvants je veux dire ! » - Dit la fille en passant son bras sous le coude de son paternel. Le vieux n’avait pas l’air très chaud pour retourner dans ces salles là. Sur Terra on ne montrait pas la guerre et ses horreurs de cette manière. Enfin, plus…L’expressionnisme était jugé…fatigant. Personne n’aurait osé l’écrire noir sur blanc mais la moitié de ce qui était exposé ici, issu de l’œuvre d’une vingtaine d’habitants de Mars, humains et velus, semblait décadent à de nombreux terrestres.

 La Chimpe sourit – « Au moins ces deux-là prennent-ils le temps de se parler devant le spectacle. »…Strhashna tapa son code à l’entrée des locaux administratifs et frappa à la porte du commissaire de l’Exposition où elle était attendue.

 ……………………………….

 - « Seriez-vous d’accord pour qu’on avance de quelques semaines le transfert de vos collections vers Barcelone, mademoiselle Sgharnova ? Les catalans sont d’accord pour avancer leur inauguration.» - Demandait le responsable de l’accrochage.

 - « Cela ne me dérange pas, Sir. Vous pouvez procéder. » - Lui répondit Strhashna. Les administrateurs de cette aile d’expo du Centre d’Art contemporain piaffaient d’impatience et aspiraient à libérer les salles pour le prochain cycle de programmation. Pour dire les choses crûment, ils estimaient que l’Expo martienne étant un échec commercial malgré le battage des débuts, il était temps qu’elle dégage la place ! Strhashna était habituée. De toutes façons tous les frais étaient pris en charge et intégralement couverts par les Trésoreries des Légations martiennes sur la planète bleue. Le décrochage et l’acheminement des œuvres seraient effectués un sans faux pli par les services français, elle en était certaine. Elle se retira après avoir pris congé poliment, avec force démonstrations de gratitude. Elle fonça en trolley prendre son train pour Londres. Une fois placée, elle s’y assoupit en attendant l’entrée du tunnel sous le channel. Encore deux semaines de parade « culturelle » pour l’accrochage dans la capitale de la Catalogne, puis elle pourrait enfin prétexter de l’urgence qu’il y’avait à aller préparer l’étape suivante de l’expo itinérante : à Jogjakarta.

 « Et là ! À nous les Célèbes ! » - Marmonnait-elle en dodelinant de la tête sur son siège.

 Zoun, dont les œuvres représentées couvraient presque 50 % du total exposé, ne s’était déplacée qu’une fois depuis que le « cirque » avait commencé ses tournées. Au commencement, précisément, elle avait accepté de se plier à l’exercice médiatique. Une fois ! Depuis, un an durant, c’est elle : la petite Strhashna, qui s’était appuyé tout le barnum.

 « Tu vois, Strhashna ? Pourquoi ma sœur Borte et moi nous voulions une personne jeune et neuve dans le métier comme imprésario et représentante artistique, maintenant ?! » - Lui avait glissé la petite chauve toute ridée dans la loge volante de maquillage/démaquillage de la Tvid/Voile terrien au Federal Muséum de la mégapole des grands lacs de Northamérica.

 « Parce que vous aviez prévu la profondeur du hiatus entre Mars et Terra et le peu d’intérêt que cette entreprise allait susciter ici ? » - Lui avait-elle proposé comme explication.

 Zoun Ramdzong l’avait regardé et, constatant sans doute combien elle était lasse, lui avait dit :

 « Tu en as déjà marre et cela ne fait que débuter. Pardonnes-nous ma petite sauterelle. Vois-tu, le peu d’impact apparent que suscitera sans doute cette tournée sur Terre est aussi révélateur des limites que notre espèce rencontre. Il n’a d’égal en cela que l’enthousiasme, tout aussi déraisonnable, que l’Expo a suscité sur Mars. Nous voulons juste dire : « Voilà : nous sommes cela ! Ces gens-là. Pas plus, pas moins. Nous vivons et sommes issus de vous. ». Comprends-tu à quel point cela est important ? Au-delà de la réussite factuelle de l’Expo ? »

 « Je suis une non humaine, Ser ! » - Lui rappela Strhashna comme pour expliquer.

 « Absolument, une non humaine,  et inexpérimentée ! Un humain sûr de défendre « Son » projet, entamerait dès demain matin un vaste travail de lobbying, d’explication et de publicité. Ce dont nous ne voulons à aucun prix. C’est un moment désagréable et je m’en excuse encore une fois auprès de toi. Tu es jeune, et bien payée, tu auras le temps de t’en remettre…Sans compter l’expérience de vie que tu accumules sans bien t’en rendre compte et qui ne peux que te servir pour la suite…Quand tu te concentreras sur tes propres désirs et tes projets. »

 

Cela, c’était à Chicago. Après le continent américain, Strhashna s’était posée à Londres pour y rayonner sur les quatre spots d’expo prévus en Europe (Londres, Berlin, Paris, Barcelone). C’est là qu’elle avait retrouvé Sherghi. Non sans étonnement. Ou plutôt non : « qu’il l’avait retrouvée ! »…Songea t’elle tandis que le train entrait dans le tunnel sous la Manche.

 Passer sous cette masse d’eaux vivantes emplissait Strhashna de répulsion à chaque traversée. « C’est stupide !» - Avait-elle confié à son congénère martien lors du cocktail de clôture dans les salons du British Muséum. L’agronome velu de la Cavité 13 de Votam lui était apparu 15 mns auparavant, tel le fils du Cheik. Sherghi ! Sur son trente et un dans un costume de velours côtelé impeccable, une coupe de jus de mangue à la main. Il s’était penché à son oreille.

 « Pas du tout ! Leur vieux tunnel fissuré est complètement branlant. Un de ces quatre, tout va s’ébouler ! Moi aussi je serre les fesses quand je traverse.» - Avait-il murmuré.

 « Oh ! » - Avais-je dit - Se rappela t’elle.

 Les terriens aussi avaient appris à se servir des nano Pex en projection pour creuser. La technique de la recomposition moléculaire, en revanche, elle, avait été malencontreusement perdue pour eux. Seuls les membres des Hautes Taupes sur la planète rouge en détenaient le secret. Or, faire cracher une info détenue par une Haute Taupe était encore plus difficile que d’exiger d’une Haute Vestale Lysistrate qu’elle se mette à gazouiller sur les dernières techniques de verrouillage des champs de force. Durant son séjour martien, Strhashna circulait sans aucun état d’âme, ni peur, en tunnels et en cavité…Comme tout le monde là bas. Une paroi en céramique reconstituée, avec ses structures en alvéoles, était toujours plus solide que le substrat de composition dans lequel elle s’insérait. Là-dessous par contre…brrr…

« Vous n’êtes qu’un rustre, Professeur Sherghi ! Vous dites cela pour m’impressionner. »

 «  Évidemment ! Vous pensiez que j’étais venu là pour quoi sinon ? Pour admirer les fresques du plafond ? » - Souffla t’il avant de reprendre une gorgée de sa coupe.

 « Vous aviez été invité, non ? » - Ai-je dit en m’écartant vers les hauts murs des salons.

 « Négatif ma belle. Je ne suis dans cette salle que parce que je l’ai expressément demandé. »

 « Juste pour m’impressionner ?» - Demandai-je en l’éloignant encore un peu plus de la foule.

 « Cousine !...Qu’aurais-je dû faire autrement ? Vous envoyer ma propre invitation à suivre un de mes cours, intitulé : « incidence de la sélection  par croisements sur la sexuation des légumineuses irriguées / différences de procédures selon les substrats choisis ? » »

 Je pris un air ingénu et pensif - « J’aurais préféré un autre intitulé. » - Lui avais-je dit.

 « Par exemple ? »                                                

 « Étude en mode accroupi du syndrome de Lady Chatterley appliqué aux Chimpes Amélios. »

 Sherghi avait éclaté d’un grand rire qui fit tourner de nombreuses têtes dans cette réception très mondaine. Il ne se décontenança aucunement, se contentant de lever les mains en direction des autres invités. « Eh oui ! Je rigole. Eh bien oui. Faites en donc autant, cela vous fera du bien. » - Disait clairement sa mimique. Quand les regards se furent détournés, il reprit :

 « J’ignorais que les Chimps élevés sur Terra bénéficiaient d’une si « haute » culture. »

 « Primo, je suis une verte autant que vous, deuxio, mon père était riche à millions…J’ai eu des professeurs particuliers, nombreux. Jamais je ne suis allée à aucune école. »

 Sherghi avait posé une main pattue sur mon épaule.

 « Viendrez-vous ? Cela n’engage à rien. Je m’ennuie quelquefois, ici… »

 Strhashna se souvenait très bien la façon muette dont elle avait secoué la tête de haut en bas. Entre eux, les Chimps n’avaient nul besoin de paroles pour signifier un accord – ou un refus !

 « Oui, je viendrai ! Sûr que je viendrai ! Cela n’engage que moi, et je le décide. »

 - « Méfiez-vous, Sir Sherghi, j’ai un cœur d’artichaut, d’artichaut froid, au vinaigre. Les deux personnes Singes qui ont un peu compté pour moi n’ont pas fait long feu…Cela ne vous effraie pas ? » - Avait-elle prévenu. Sherghi n’avait rien répondu en paroles. Il l’avait seulement regardée. Il avait ensuite posé la coupe de mangue à moitié pleine sur une tablette, et avait glissé une mince carte sous le rond du pied de verre gravé en intaille. Puis il était reparti - en silence, comme un prince - la laissant finir son boulot avec cette satanée réception.

 Dans le train grande vitesse, son braç comm buzza doucement contre sa peau.

Tu rentres - ce soir ? – Lut-elle via ses Implants.

 Suis sous la flotte – J’arrive dans 40 minutes – je t’aime. – Envoya t’elle, et Strhashna se tourna sur le côté, pour dormir un peu avant l’arrivée à Trafalgar Station.

 

15 janvier 2010

(les futures druidesses velues)

Nord du Tibet…… chaîne intra montagnarde anciennement dite « de Ritter »…..

 Cette partie de l’immense dépression intra montagnarde était la plus basse d’altitude de tout leur nouveau territoire. Aux alentours de 2600 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le versant sud des monts offrait ses flancs au soleil. Les pentes, inviolées depuis deux siècles, jadis ravinées et lessivées, voyaient sur leur piémont s’épanouir de magnifiques forêts. Avant de fermer toute la région au peuplement, la Charte avait tout de même veillé à donner un coup de pouce à mother earth. Des essences venues de Dzoungarie et de l’Altaï mongol - plus au nord, plus arrosés - avaient été transplantées jadis. Leurs greffes avaient pris, magnifiquement.

 Les « velus » choisirent d’installer sur ce vaste site l’essentiel de leurs campements ainsi que leurs installations civiles principales. A cause de l’excellence de la localisation géographique. Parce que c’était central, et enfin parce que le plus gros travail à effectuer pour les générations à venir se trouvait juste en face d’eux : une immense région de marécages et de tourbières dont il allait falloir s’occuper puisque c’est précisément là que l’essentiel des eaux, pluie, neige, eaux de fonte glaciaire, parcimonieuses, se retrouvaient piégées au final sur ce territoire.

 .............................................................

 Des clairières commençaient déjà à s’ouvrir à flanc de monts, taillées par des brigades de bûcherons Chimps qui montaient bâtiments provisoires en bois et autres ouvrages au fur et à mesure de leurs coupes. Leurs tronçonneuses avaient pris possession des pentes. Se déplaçant de place en place, procédant par endroits soigneusement définis à leurs abattages, telles de précautionneuses fourmis, attentives à respecter la nature et la topologie des adrets des deux longues chaînes montagneuses intérieures sur 300 km de bande. Les Chimps Amélios étaient d’excellents travailleurs du bois et des arbres. Onze mois durant, des spécialistes glabres venus en renfort aidèrent les velus. En tant qu’expert des risques climatiques et géographiques en tous genres, le père de Ser Kara Khan était devenu un incontournable conseiller technique.

 Ce fut lors de la seconde phase, une fois les trois premières semaines passées à discuter avec les experts Chimps, que « Abû » Ismahil Khan connut sa première bataille d’importance.

 Après avoir patiemment finalisé les « prévisions forestières », ils se préparaient à planifier la suite. Ils avaient, dans cette optique, réuni le plus de Chimps se sentant intéressé ou concerné par la mise en valeur des nouveaux terroirs qu’ils avaient pu trouver. Après une heure de prise de contact, « Abû » Ismahil se rendit compte qu’hormis les velus agronomes, hydrauliciens, phytos et éleveurs, qu’il connaissait déjà, le niveau de connaissance de la masse du peuple singe en technique agricole de base était des plus médiocre. Une fois les présentations, les premiers dialogues retombés, le vieil ouzbek prit la parole d’une voix douce, mais grave.

 - « Seuls 2% d’entre vous connaissent les techniques agraires simples ? » - Demanda t’il.

 - « Hélas oui, « Abû » Khan. » - (Ismahil avait formellement interdit qu’on l’appelle maître) – « Nous faisons un tout petit peu de maraîchage en production vivrière, pour nous-mêmes, en dehors de cela, ceux d’entre nous qui ont travaillé dans les exploitations glabres cultivaient le sorgho, le millet et le mil, le maïs, parfois même le riz, mais jamais en métayage franc ! Uniquement en tant qu’ouvriers payés à la semaine. »

 Ismahil se caressa la barbe nerveusement – « C’est très embêtant…Récolter, tout le monde peut le faire. Mais si personne ne sait mettre les sols en forme, amender, traiter, entretenir, surveiller les rythmes de croissance…eh bien….il n’y a plus grand’chose à récolter… »

 « Vous pourriez nous apprendre, Abû… » - Fit timidement une Chimpe âgée.

 « Oh, ne croyez pas cela ! Moi, mon champ d’action est en amont de tout cela…Je connais nombre de pratiques bien sûr, mais les enseigner c’est une toute autre histoire…ça ne s’improvise pas de bric et de broc à partir de vagues souvenirs, ni sur des expériences de travail menées d’abord et avant tout pour pouvoir être accepté par telle ou telle communauté agraire que vous êtes chargé d’aider…Je suis un théoricien et un ingénieur, pas un paysan ! »

 « En plus, les exploitations glabres sont toutes gérées par informatique Vaev, Sir. Lorsque votre rôle se borne à exécuter avec de tels systèmes d’assistance, vous pouvez trimer des années sur une ferme…et vous n’apprenez rien… » - Remarqua avec une candeur désarmante un jeune Chimp aux jambes arquées de gardien de troupeau.

 « À qui le dis-tu ! » - Sourit le vieil homme en plissant les yeux. Il continua à échanger afin de glaner le maximum d’informations avec eux, tout en les rassurant un peu sur ses inquiétudes, puis il alla voir Hornak. Par le Mullah Nasr Boga Eddin ! Il n’avait jamais été homme à refuser de livrer un combat.

 

……Pavillon du Chimp Hornak…….plus tard………….

 Ismahil Khan savait encore argumenter de façon convaincante.

 « ….Oui, Abû Ismahil, il me semble bien qu’il est toujours sur Terra. Il donnait des nouvelles au père de Ser Kassandra de loin en loin. Son engagement doit encore courir. » - Dit Orland.

 « Par ma barbe ! » - S’exclama le vieil ingénieur de Douchanbe – « Sir Hornak, par Allah, pouvez-vous tenter le possible - et aussi l’impossible - pour entrer en contact avec ce Sherghi ? C’est lui, l’homme…euh…la personne de la situation ! » - Dit-il.

 Orland regarda le vieil ouzbek avec une évidente admiration dans le regard.

 « Je vais essayer. » - Répondit le Major Hornak depuis son fauteuil électrique. Le Chimp laissa Meï se charger de raccompagner Sir Ismahil et de prendre rendez-vous avec lui pour demain. D’un geste de la main il fit signe à Orland de grimper sur le side de coté de son fauteuil. Une fois le jeune Newth installé, il dirigea l’engin vers la sortie arrière du pavillon.

 ……………………

 

Meï avait recouvré sa capacité de marche, elle ne s’aidait plus que d’une seule béquille. En 2372, elle était retournée six mois à Wu Han. Puis, par un matin d’automne, sur les contreforts du nord Tibet, Hornak avait eu la surprise de découvrir une famille de trois personnes au grand complet, avec toques et bagages, qui l’attendait au sortir de son bungalow de l’agglomération provisoire. Ils s’étaient inclinés avec ensemble. Horn voyait qu’à l’évidence, ils ne prendraient pas l’initiative de la parole. Il s’était senti horriblement gêné.

 « Quelle belle matinée, hein ? » - Avait-il dit, en désignant les contreforts au loin qui explosaient de jaunes, de rouges et de fauves éclatants en premier plan. Suivaient les ocres de l’étage rocailleux, surmontés par l’arrière-plan embrumé des arbres d’altitude dans les lointains, gris-bleu et verts qui s’effilochaient en lignes fines. Surplombant cette peinture signée dame nature : les sommets, peu acérés, semblaient flotter dans le ciel, neiges étincelantes dans les lueurs du levant avec des reflets orangés.  

 « Votre pays est très beau, monsieur.» - Fit le papa carbochimiste.                                

 « Bonjour Meï. » - Articula t’il. Il se demandait si un fond existait aux malaises de ce genre.

 Le père s’inclina à nouveau. Un visage réfléchi avec une expression sans déférence inutile - « Notre fille est revenue à vous, Sir. Allez-vous l’accepter ou devons-nous partir ? »

 « Je vous doit une vie, Sir Horn.» - Avait alors affirmé la jeune fille en souriant de toutes ses dents. Que répondre à cela, en présence de ses parents ? Il lui avait déjà expliqué mille et une fois, sur des tons divers,  qu’elle ne lui devait strictement rien. Qui décidait dans cette famille ? Il s’était adressé à la mère, une Han elle aussi, à tresses - très longues, très chinoises.

 « Je suis heureux que votre fille aille mieux et qu’elle remarche, madame.»

 « Oui, oui. Nous savons cela, Sir Hornak. Notre fille nous a convaincu. Meï n’est pas une bécasse… Ce que pourrait lui apporter de grandir aux côtés de votre aventure est supérieur à ce que nous-mêmes pourrions avoir à lui offrir comme possibilité de développement. Elle viendra nous voir pendant les vacances.» - La femme tenait une petite valise devant elle, à deux mains. Le Major Hornak - Chimp Amélio 3 - formé sur Mars - né en 2300 - 72 ans d’âge réel, avait lâchement abdiqué. « Entrez avec vos bagages, il y’a deux chambres de libres dans ce pavillon. » - Avait-il marmonné, en chinois archaïque, en soufflant puissamment de ses narines. Il avait fait pivoter son fauteuil à main - celui qu’il utilisait aux abords de son domicile et en intérieur - et il était remonté sur la rampe de planches rabotées. Le père se saisit des deux grosses valoches et avait suivi le fauteuil, sa famille sur les talons.

 « Ma promenade matinale le long des trottoirs de bois du « village rue » attendra. » – Avait songé Horn ce jour-là,  en  rouvrant la porte d’entrée d’une poussée de ses repose-pieds.

 Et voilà à présent que la jeune fille était là, en pleine croissance osseuse, au beau milieu de sa vie. Horn s’astreignait à des sessions de réadaptation fonctionnelle, presque tous les jours. La jeune fille suivait les cours au Collège, seule glabre dans sa classe de velus. Elle continuait à suivre également des enseignements à distance avec un des lycées glabres de la métropole chinoise de Lan Xu, limitrophe de leur sphère d’influence Chimpe Amélio bleue. L’adolescente, boulimique de vie, avait exigé en parallèle de pouvoir lui servir de secrétaire occasionnelle quand ils étaient à la maison. Il avait dû céder devant son insistance.

 Des enseignants Chimps d’ici étaient venus se plaindre – Ils avaient dressé des éloges dithyrambiques de la jeune Meï, mais néanmoins c’étaient bien des plaintes, Hornak n’était pas idiot ! – de l’influence que la jeune humaine exerçait sur ses camarades velues du Collège.

 « Nos filles/élèves ne tarissent pas de questions plus...pertinentes les unes que les autres depuis qu’elle nous est revenue. » - Disaient les finauds – « Elles sont très « émulées » par sa présence et les mâles/élèves ont bien du mal ensuite à suivre le feu juvénile de leurs adresses… » - Horn les avaient renvoyés à leur chères études et à leurs responsabilités d’enseignants sans beaucoup finasser, lui, en revanche. - Il n’était pas le chef, dans cette ville de pionniers ! – Leur avait-il rappelé en souriant, tel un Tartuffe poilu monté sur roulettes sur ses tréteaux de bois.

Le fauteuil automoteur traversa le jardin par l’allée et il s’engagea sur la promenade supérieure, celle qui filait en trace directe vers ses locaux techniques, planqués dans une casemate à flanc de coteau.

 « Je te laisserais lui parler au début, Orland ? » - Demanda Hornak à son passager.

 « Pas de problème, cher Horn. Tu sais, il va prendre son temps pour s’y préparer au mieux, mais c’est comme si mister Sherghi était déjà parmi nous.» - Répondit le jeune Newth, grisé par la vitesse sur cette piste en planches aux rambardes de bois. Hornak négocia un virage au plus près à une patte d’oie en fonçant vers le haut en plein élan, rasant les glissières de mélèze.

 « À propos, Orlando, j’ai oublié de te demander…Que fait Kara en ce moment ? Toujours en tournée chez ses sœurs druidesses du désert, en bas ?» - Interrogea le conducteur en criant.

 « Toujours ! » - Fit l’autre tandis que leur engin s’engouffrait dans la galerie d’accès.

 

2000 mètres en contrebas – rivages du lac Lob Nor.  (Désert du Takla Maklan)

 Sur une vue satellitaire, le lac Lob Nor semble tout proche de la chaîne de Ritter. Il est si beau ! Une vraie émeraude ! Il verrouille le passage, barrant les accès vers la chine pour tout être vivant qui, par voie de terre, veut s’échapper de cette cuvette torride en forme de cuillère qui se fait appeler tantôt dépression du Tarim, tantôt Takla Maklan, ou encore Turkestan oriental (chinois). Il trône fièrement au fond du goulet de constriction du désert, à l’ouest.

 Sur le terrain, deux cent kilomètres, malgré tout, les séparent, et surtout deux lignes montagneuses plutôt élevées, même pour un hélico du 24ème siècle terrien. Kara Khan, les quelques fois qu’elle était passée dans la cuvette basse depuis leur territoire d’altitude éprouvait systématiquement un pincement au cœur lorsque l’aéronef basculait enfin en franchissement de la barrière montagneuse du Nan Chan. Prenant sa respiration avant de glisser le long des versants nord, elle songeait que c’était en s’écrasant sur ces contreforts désolés que la Générale Nguyen, prise au piège dans les débris en feu de sa Guêpes UR, avait perdu la vie. Ses sœurs Lysistrates dans l’hélico le savaient bien et elles s’arrangeaient pour éviter le secteur exact du crash. De sa vie, Kara n’aurait participé qu’à un seul engagement armé : celui-là. Elle n’en gardait en mémoire que la haine qui l’avait envahi. Et le souvenir de leur insensibilité, à Orland et à elle, face aux cris d’agonie des ennemis, les mêmes pourtant que ceux de la Générale Suong.

 « Sœur ?» - Entendit-elle à ses côtés.

 Ah oui ! Elle était arrivée maintenant… Depuis trois jours déjà ! Son mini périple l’avait amené jusqu'à la région suivante, encore un peu plus au nord : celle que l’on appelait un peu abusivement « Les oasis de Tourfan », d’abord parce que depuis plus d’un siècle, le renforcement des pluies d’été avait coalisées entre elles ses auréoles végétales irriguées et qu’elle ne formait plus maintenant qu’une seule et même région de Huertas et de palmeraies, de vignes et même d’élevage en stabulation fixe. Ensuite parce que, même au temps qui les avaient vues désignées de ce joli nom générique, elles n’avaient pas grand’chose à voir avec ce que les gens du Maghreb ou du Machrek appellent une oasis. Kara Khan avait poussé son excursion/visite avec ses sœurs Lysistratéennes jusqu’en Dzoungarie cette fois-ci…

 « Excusez-moi. Vous disiez ? » - Elle rameuta son esprit parti battre la campagne.

 Les druidesses Lysistrates de la région ne réfutaient pas les mutations de personnel décidées par la hiérarchie des Hautes Vestales terrestres. Enfin pas ouvertement...On voyait quelques africaines, on trouvait de ci, de là une caucasienne ou une indo dravidienne dans les dômes et alentours. La majorité d’entre elles étaient tout de même issues des peuplades asiatiques de cette partie du continent. Leur appellation de «Léopards aux yeux bridés» était tout à fait fondée. Impossible aux autres humains du coin d’oublier que leurs brigades de maraude étaient majoritairement composées de leurs femmes, de leurs filles et de leurs soeurs. Qui en avait après eux - les locaux - avant que d’être les adhérentes à une idéologie globale.

 « Nous ne cherchons pas à tirer la couverture à nous, Ser Khan…Vous le savez n’est-ce pas ? » - Demanda la Vestale de Lob Nor. Les paires d’yeux en face attendaient la réponse. Beaucoup de khôl autour de pas mal d’entre eux.

 « Ne vous mettez pas martel en tête, sœurs. J’étais absorbée, sans aucunement songer à de tels soupçons. Vous avez volé à notre secours sans poser de questions, ni de conditions à votre aide. Si les Velus des plateaux et vous, passez des alliances et des contrats, ils seront négociés sans crainte et respectés sans esprit de suspicion. » - Lâcha t’elle, se reprenant.

 Une des officière, une Tadjike sceptique apparemment, haussa les épaules.

 « Toutes les alliances, tous les contrats, sont les lieux et l’occasion rêvés de suspicions et de méfiance, Ser Khan… » - Décréta cette Commandante aux longs cheveux clairs passés au henné, avant de demander d’un ton plus doux – « Alors, sœur martienne, que pensez-vous, à titre personnel, de cette proposition d’ouvrir notre recrutement aux femmes Chimpes des hauts plateaux dans l’avenir ?»

 Kara fronça les sourcils puis le nez, et prit l’air le plus imperturbable qu’elle put trouver.

 « J’en pense que vous avez prit cette décision avec de nombreuses arrière-pensées. » - Admit la commandante Khan, druidesse verte de son état. Pour continuer – « Vous nous en laissez regarder miroiter certaines, juste pour mieux dissimuler celles que vous tenez secrètes… »

 Toutes les cheffes guerrières éclatèrent ensuite de rire avec Kara.

 « Sacrées vertes ! » - S’esclaffaient les sœurs Léopards.

 « À propos, les Chimps de là-haut n’ont toujours trouvé de nom à leur pays, Ser ? »

 « Ils attendent d’être sûrs de le vouloir... » - Répondit Kara Khan d’un air attendri et alangui. Son esprit  pensait à présent à sa nouvelle patrie d’adoption terrienne et à ses habitants. A trois d’entre eux, en particuliers. Pendant qu’elle dansait ainsi sur le fil, dans cette magnifique portion de semi désert, entre remises en question et mission de confiance, Orland (« son » Orland !) et Hornak, là-haut, avaient fini par mettre la main sur Sherghi à Londres.

 ………………………………

 « Désolé, je ne peux pas venir immédiatement, Major Hornak. D’autres promesses me lient jusqu’à l’an prochain. » - Disait l’agronome Chimp depuis son appartement londonien.

 Hornak prit sur lui malgré sa déception relative : « Cela ne vous est pas demandé, Sherghi. Pouvez-vous et voulez-vous venir quand vous le pourrez ? Voilà ce que je voudrais savoir… »

 « Écoutez, à partir de juillet 2373 je devrais être disponible pour une durée suffisante. Je vais préparer l’envoi de quelques uns de mes élèves les plus doués pour commencer à défricher le chemin…au sens propre comme sens au figuré…à ce propos…cela bouscule t’il votre approche si certains d’entre eux sont des humains ? »

 Le Chimp Amélio Horn, cloué dans son fauteuil, au Tibet, se dit que ce Sherghi était apparemment un type qui avait plus de ressources sous les pattes qu’il ne l’avait cru un instant auparavant. Il ne s’attendait pas à une si belle proposition. Ses soupçons en revanche sur l’étonnante coïncidence qui voulait que Strhashna se trouvait habiter en ce moment même dans la même ville européenne que ce Môssieur l’agronome en revanche...monta en flèche des plusieurs crans. La situation des collectifs de Velus qui continuaient à affluer dans leur pays en recherche de lui-même était assez préoccupante pour les responsables d’ici. D’un point de vue tout a fait objectif et alimentaire en particulier. Hornak se reprit immédiatement. « Pas du tout ! » – Répondit-il avec empressement – « Tous les humains sont les bienvenus en tant que soutiens. Nous voulons juste éviter de donner à penser aux glabres que nous ouvrons cette région au peuplement anarchique de tous. Merci pour votre franchise et votre aide. A bientôt et bonne chance à vous, Sherghi ! »

 « Envoyez-moi le maximum d’informations que vous pourrez réunir sur votre situation. » - Répondit chaleureusement l’autre – «  J’en tiendrai compte. Bonne chance à vous. Je vous rappelle dans une semaine. ». Avant de couper la comm. Hornak se tourna vers Orland qui était resté à côté de lui après lui avoir passé le velu de Londres. L’air dubitatif du glabre lui arracha un sourire. « Raté, mister Newth. On n’a pas toujours raison. Ni ce que l’on désirait au départ ! » - Songea t’il. « Ce Singe viendra. Sur ce point vous aviez raison Orland. J’en suis sûr. » - Lui signala t’il sur un ton qui déstabilisa un peu l’humain.

 « Vous me vouvoyez à présent ? » - S’étonna l’ancien Surfacier reconverti. L’infirme Chimp Velu lui posa une main amicale sur l’épaule. « J’ai mes raisons, Orland... » - Fit-il en guise de réponse, avant d’enjoindre le jeune humain à remonter dans le side de son fauteuil.

 ..…Plus tard…Collège d’enseignement du District 8 : agglomération « de Ritter »…….

 Voilà six mois que les premiers « professeurs anglais » étaient arrivés chez eux. Les cours agraires en direction des colons Chimps Amélios s’enchaînaient à un rythme effréné autour de l’agglomération  Les deux types de terroirs retenus pour les exercices d’application couvraient déjà plus quatre cent hectares entre agriculture de substance en milieux forestiers et mise en cultures de prairies proches. Ils s’étaient posés avec un dirigeable qui restait encore à la disposition de la communauté Chimpe Amélio. Au nombre de vingt : 12 Chimps de Terra et 8 glabres, accueillis avec reconnaissance par tous, ici. L’engin servait à présent à de nombreuses tâches. Et était amarré pour l’heure à un jet de flèche du Collège.

 Les pionniers chimps étaient bien décidés à ne pas bâtir de bâtiments en dur sans raison valable. Des constructions en matériaux légers, convenablement ignifuges et traités contre l’usure leur paraissaient infiniment supérieures en plus que d’être agréables. Ce genre d’habitats, selon eux, était mieux adapté à une existence digne de ce nom. Le Collège d’enseignement était, en conséquence, un ensemble de pavillons à deux étages reliés entre eux par des passerelles de bois et de filins assemblés. Un petit groupe d’élèves/filles étaient assises un peu à l’écart de l’ensemble. Sous l’ombre du gros aéronef fragile, justement...

 - «…À la maison, mes arrière grands-parents et ma mère disent regretter la vie semi nomade en Mongolie… » - Approuva une grande ado velue au pelage fauve. Les cartes s’abattaient en cadence sur le billot, la partie de tarot Chimp battait son plein. Les six jeunes commères, brillantes élèves à part Ferhgha qui était trop indolente pour montrer son intelligence, avaient posé leurs sacs sur un tertre pentu à l’écart des salles de cours.

 - « Et, bien sûr, ton père rumine des arguments en faveur de votre droit à avoir un pays à vous, qui lui sortent parfois des crocs en faisant des étincelles avec de la fumée… » - Plaisanta Meï avant de ramasser le pli.

 - « Eek, oui ! » - Confirma la velue, faisant rire ses camarades.

 - « La moitié des maisonnées sont comme ça !» - Signala Ferhgha en ramassant le pli.

 - « Ça me paraît vrai qu’il faille avoir des lieux à nous quelque part sur Terra…Les humains en ont bien : eux. » - Dit une autre des comparses sans regarder vers Meï.

 - « Si c’est une bonne chose, alors pourquoi est-ce que les mâles, même les tout petits, en profitent pour rouler des mécaniques comme si ça les rendait supérieurs à tout ? » - Demanda sa voisine velue, agacée d’avoir perdu cette manche.

 - « T’en fais pas, nénette, ça leur passera avant que ça me reprenne… » - Lança Ferhgha.

 « Comment est ton « oncle » chez toi, Meï ? Il rumine, lui aussi ? » - Blagua une des filles.

 Meï sourit. Hornak était à la fois un infirme et un héro. A la fois un velu Amélio mâle comme les autres, ordinaire, rassurant, et une personne Singe complexe, avec ses contradictions, ses questionnements et ses innombrables parts d’ombres et de lumières.

 - « Si, si ! Il rumine ! Toutefois, toute sa famille est sur Mars…Comment aurait-il la nostalgie d’une autre vie sur Terra ? » - Fit  remarquer finement la jeune chinoise.

 - « à quel âge est-il parti pour Mars ? » - Demanda Ferhgha.

 

Lorsque toutes ces jeunes velues, avec leur pareille glabre, auraient mûri, elles allaient changer la face du monde intérieur des Amélios Velus de cette planète, et même au-delà. Mais pour l’instant, elles se contentèrent de terminer leur tournoi de Tarot et retournèrent sagement apprendre, sous la férule bienveillante de leurs aînés.

 

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15 janvier 2010

(My name's Bshannan)

 

Terra  -  Janvier 2372  -  Londres – Docks – (Quartiers sud).

 

Le réchauffement global brutal et les sécheresses avaient modifié les climats, il est vrai. L’ensemble des îles de l’archipel britannique, au petit large du continent européen, demeurait quand même soumis à un régime de type pluvio maritime, avec brouillards fréquents.

 Parfois, aux périodes un peu fixistes – souvent riches en espérances diverses – voire en gestation  d’un nouvel état du monde, les générations montantes et les classes d’âge plus mûr oeuvrent chacune selon leurs inclinations respectives. Il ne s’agit pas toujours là uniquement de différences d’âge, du reste…Le résultat, lui : jamais acquis d’avance.

 S’agirait-il d’un changement ou d’un gel ? Les tâtonnements de tous, jeunes et vieux, normalement, y auraient leur part. Les descriptions encore maladroites d’un jeune poète velu martien, jadis, depuis longtemps disparu, faisaient allusion à cela dans son premier recueil.

 « Heek ! Ce week-end : concert velu en cavité Bio, Anti ! Prends une couverture et en avant !

On ne va pas rester ici ! À attendre que les flics viennent nous taper amicalement sur l’épaule.

En nous parlant, entrecoupés de soupirs, des beautés de l’endroit où ils sont devenus flics !

Je préfère : imaginer comment on peut faire des chose à deux dans un sac de couchage. »

 (Egon de Mars – tiré de : « Swings lointains et petites agaceries. » - (Traduit du simiesque par Rowana Steinbeck) - bibliothèque martienne – 2212.)

 Le vieux pont autoroutier enjambait les voies d’eau artificielles. Le crachin londonien tombait dru, serré. Le velu de Mars sur Terra déambulait le long du petit canal, jetant de grosses miettes de pain rassis aux mouettes. Sous le tablier du pont, il s’assit au bord de l’étroite berge cimentée. Au sec, les pattes arrière ballant dans le vide, comme n’importe quel promeneur qui baguenaude et en profite vite fait. Un moment de répit entre les larmes fines du ciel anglais.

 - « Vous ne devriez pas vous montrer ainsi en pleine capitale, Sir Bshannan. » - Siffla t’il.

 L’ombre du pont maintenait dans une semi obscurité l’eau paresseuse sous ses pieds. Tout contre la paroi brute, un évent apparut, laissant juste émerger quelques empans de peau, grise sur gris.

 - « Aucun de mes Implants n’est plus d’origine, mon bon Sherghi. Comment vas-tu ? »

 - « Je ne suis pas très sûr. Bien, je suppose… » - Répondit le Chimp, jetant un coup d’œil.

 Un très léger caquètement monta -  « C’est le sort de cette humaine qui t’inquiète, hein ? »

 - « Kassandra ? Non ! A présent qu’elle a mystérieusement décidé de retourner sur Mars, je ne m’inquiète plus tellement. Je me demande si nous agissons de la manière correcte ou seulement poussés par la nécessité. Cela me dérange l’esprit quand il est au repos. »

 - « Les glabres à deux pattes doivent accepter que la Liberté est à tous. Mes recherches à Woolwich avancent bien ?» - Demanda le Tursiops en se soulevant un peu plus de l’onde.

 - « Vos recherches avancent bien, oui. Vos associés sont très efficaces. » - Fit le Chimp.

 - « Hyfron a encore de quoi payer les loyers des bassins de vifs ? » - Demanda Bshannan.

 - « Ce cher Hyfron ! Je le préfère à tout autre…L’argent manque, dit-il… » - Fit l’autre.

 - «  Vous avez l’air morose, Sir Sherghi… » - Remarqua le dauphin.

 - « Nostalgique, Bshannan, nostalgique. Cela doit venir de votre sacré climat britannique. »

 - « Courage, ami. Nous regretterons peut-être sous peu toute cette eau…si…mouillée ! »

 Sherghi rigola. Le cétacé clandestin s’y complaisait un peu, mais il endossait à merveille son rôle d’agent occulte qui fait voyage incognito. Bshannan lui indiqua l’endroit en cliqueté.

 - « J’ai disposé ce qu’il faut sur les marches, à cent mètres d’ici. A bientôt Sherghi. » - Fit-il.

 Le mammifère disparut sans un clapot sous les eaux du canal comme une apparition fantomatique de roman victorien qui s’esquive dans le fog. Sur la première marche immergée d’un escalier d’appontage, le paquet lesté attendait Sherhgi. Les loyers et les consignes d’orientation des recherches en biologie marine parviendraient tous à leurs destinataires. Il jeta l’emballage étanche dans une poubelle proche. Puis, Sherghi le velu, capuche sur le front et sac sur l’épaule, entre les hautes façades et les palissades recouvertes de tags criards ou délavés, prit tranquillement le chemin de ses trois pièces au campus de l’Université inter espèces de Woolwich.

 Peut-être quelqu’un l’avait-il aperçu sortant son petit paquet de l’eau… Vu le taux de trafics en tous genre dans cette partie des docks, ça n’avait aucune importance ! Strhashna serait-elle encore à Paris à cette heure de la matinée ? Il accéléra son allure pour attraper le premier tramway, dès qu’il parvint sur les trottoirs de la grande cité sur la Tamise.

 

15 janvier 2010

(élan)

 

2372 - La tourbière – (Les isbas) -  Centre de la Finlande.

 

Une simple feuille de papier à petits carreaux. De celles dont on se sert pour la liste des courses au village. Plié en trois, avec dessus : « 17/07/2372 - Pour Miss Zoun Ramdzong. » :

« Chère Déléguée Générale, chère Zoun. Je griffonne ce mot à la hâte, pendant que mes fidèles « sbires » finissent de fermer les deux isbas, avant de sauter dans la voiture. J’ai le pressentiment en sentant l’accélération impulsée depuis ces…six dernières minutes, que je dois vous informer de certaines dispositions (d’ordre tout à fait privé) que j’ai prises pour  semblables cas - Que les imbéciles pensent ce qu’ils veulent des prémonitions chez les vieilles femmes.  Si j’ai eu tort, j’en serai quitte pour déchirer ce mot - Toutefois, ma résolution en resterait inchangée, elle prendrait seulement une tournure moins mélodramatique, plus amicale…J’aime à le penser.  Je suis la dernière ayant droit de ces bicoques perdues aux glorieux et humbles passés et je vous désigne officiellement à la succession de leur devenir. 

 Libre à vous de répartir au gré de vos instincts et de votre désir les parts (Six en tout) dont se compose ce « vaste fief » terrien à l’histoire tourmentée pleine de fieffés Ranks et autres Chimps Amélios…Vous trouverez les paperasses officielles à mon bureau de Vancouver. J’entends l’auto qui sort de la grange, j’y vais ! Adieu Zoun. Soyez ce que vous êtes, c’est le pire qu’on puisse vous souhaiter. 

Suong Nguyen. »

 

Zoun avait ouvert la porte avec la grande clef de fer forgé que le jeune lieutenant de la sécurité verte venait de lui tendre. « Tenez, Ser. La Générale avait bien spécifié que vous seriez à présent la seule et unique propriétaire de ces clefs. Nous vous laissons, nous serons dans l’ancienne isba si vous avez besoin. » - Avait-il dit avec un salut militaire Rank plein de raideur et de chagrin rentré. Elle avait franchi le seuil dans la pénombre des volets de bois fermés de la première pièce. Une fois ses yeux ajustés, elle avait découvert ce papier plié sur la table au milieu du salon salle à manger. Après lecture, elle alla ouvrir une fenêtre et poussa sur les battants des volets, laissant entrer un premier flot de lumière estivale dans la pièce.

 « Lieutenant ! » - Cria t’elle en direction des fenêtres de l’autre isba, à une trentaine de mètres.

 « Ser ? » - Demanda le type, apparu en un clin d’œil dans l’embrasure, tel un culbuto.

 « Finissez d’ouvrir ces deux maisons, je vous prie. Nous allons rester quelques jours. »

 « Bien, madame. » - Deux membres de son escorte et deux autres Ranks de l’ancienne équipe de surveillance rapprochée de la Générale Nguyen sortirent sans précipitation et commencèrent à s’affairer autour des bâtiments, tels d’obéissants valets.

 Zoun sortit. « Besoin d’aller m’isoler en marchant !... » - Marmottait-elle intérieurement en prenant le sentier vers la tourbière.

 ……………………………..

 « Trajan Louniecko, Magda la druidesse, devenue Mo, Tsourhna, la « grande » - pendant féminin de ce cher Haskar, tant aimé de moi, pour tous les Chimps Amélios de Mars - son mari Egon, les deux Nguyen, Zdenka Plackova et aussi Issa l’africain, et les deux anciens : Vikrash et Fiona, découvreurs et « inventeurs » du site qui ont formé mon père, le grand Yacine jadis et que j’aurais tant voulu connaître…Mais ma famille n’a jamais appartenu qu’au second cercle. Même si les Cahiers de Yass ont connu un tel succès…Il faut que je me reprenne ! »

 Les pas de la biologiste chauve la portaient de plus en plus profondément à travers les sentes dans les parties les plus intimes de la vaste tourbière, qu’elle ne songeait même pas à regarder, longeant des marais aux flaques boueuses où des bulles crevaient la surface brune du liquide, s’enfonçant à travers des halliers d’épineuses et de chardons. Au détour d’un chemin bordé par de petits talus herbeux, elle tomba nez à nez avec un élan, animal gigantesque s’il en est.

 Incapable de faire un pas de plus, épuisée par cette longue marche empressée, l’esprit obscurci par ses préoccupations entêtantes, Zoun se laissa doucement tomber sur le talus. Un lynx se débusqua sur la gauche du grand ruminant qui tourna le mufle dans sa direction.

 Il ne s’agissait pas d’un de ces Lynx martiens, surgonflés aux implants biotechs, aux yeux avides de prédation, comme ceux de la Cavité 13 de Votam – non – C’était un brave lynx terrien, tout étonné de trouver en ces lieux si hautes compagnies. « Un mâle ! » - Constata la biologiste Ramdzong, les fesses sur l’herbe sèche du talus. L’élan frappa du sabot sur le sol humide, sans hargne, comme ça, pour voir…Le félin recula de quelques pas, puis se ravisa et revint à mi distance s’asseoir en attendant la suite. La chaleur n’était pas étouffante, ni orageuse. Les moustiques semblaient partis en vacances loin d’ici. La respiration de Zoun se faisait plus ample. Les allers et venues erratiques de sa course à travers la nature s’estompaient comme une brume. Elle desserra ses mâchoires et parla à voix douce et basse.

 « Mes amis…Je suis contente que vous soyez ici. » - Murmura t’elle. L’élan balança sa tête incroyablement massive de droite et de gauche, puis la fixa des ses énormes yeux de ruminant. Le lynx, lui, se léchait les coussinets d’une patte avant, le regard en coin.

 « Il me rappelle quelqu’un… » - Pensa Zoun en observant le prudent félin – « Ah oui ! Mon chef de cabinet de la Délégation de Vancouver…il a le même regard… » - Se dit-elle, amusée. Les services de la Délégation Verte étaient prévenus d’assurer l’intérim en son absence pendant encore au moins 15 jours. Elle se frotta le visage et le cuir chevelu à deux mains, ce qui eut pour effet de faire reculer le grand herbivore de quelques pas. « Oui. » - Ajouta t’elle pour elle –même – « C’est cela que je dois faire : Je vais rentrer afin de ne pas prêter le flanc de la communauté verte aux critiques et je vais démissionner au plus tôt de mon poste de Déléguée. Je ne suis pas faite pour cela. Mon avenir immédiat est ici. Je vais me laisser apprivoiser par Terra, ici même, depuis cette petite portion de terre. Jusqu’à ce que j’en sache plus sur la conduite à tenir dans cette drôle de vie ! ». Comme s’il avait senti que ses réflexions avaient reprit une tournure « humaine », le lynx bondit de ses quatre membres sur les sphaignes humides d’un air effrayé, et il détala en un clin d’œil dans les fourrés.

 « Et toi, grand homme ? » - Demanda Zoun au lourd élan à l’encolure immense. Un seul coup de ses bois, le plus léger effleurement d’un de ses sabots aurait suffit à la faire passer de vie à trépas. Elle attendit patiemment qu’il se retourne et elle lança sur ses jarrets un petit morceau de bois trouvé à ses côtés. Bandant les muscles de sa croupe étroite, l’orignal démarra dans un galop magnifique et il disparut sous les frondaisons, à l’autre bout de la prairie humide.

 Se relevant, Zoun Ramdzong s’orienta quelques secondes à l’aide de ses Implants et elle reprit le chemin des isbas.

 

15 janvier 2010

(songeries)

…Trois jours plus tard…..Bourg de Djuria (cavité 13)  -  Votam (Nuevo Tampico).

 

« Écoutez Zghirni, j’estime qu’il est inutile de vous acharner dans ce procès interminable et inepte. » - Lui avait dit Suong Nguyen un mois avant sa mort – « Dorénavant, dès lors que les Chimps de Terra se constituent ici en communauté souveraine, cela me parait franchement n’être qu’une perte d’énergie. ». Zghirni n’avait rien répondu sur le coup. Elle n’en faisait pas une affaire de « justice » et Ser Nguyen l’avait bien compris. Sur Mars, elle avait son cabinet, où elle recevait des Chimps. Elle aurait juste préféré pouvoir s’appuyer sur un diplôme validé avant de laisser des glabres, même verts et vaccinés, être « consultés » par ses soins.

 « J’étais encore indécise ! Consulter uniquement des patients de Schkoklan qui le demandaient me semblait plus prudent pour le moment…» - Songeait Zghirni en marchant à travers la petite bourgade. La mort et surtout les circonstances de la mort de la générale Nguyen avaient provoqué le déclic définitif dans sa décision actuelle de passer outre les oukases et les chicaneries de la Faculté de médecine de Bornéo/Kota Kinabalu.

 « Quoiqu’on fasse, malgré toute la stabilité intérieure du monde dont on dispose, acquise ou naturelle, les premières fois que l’on dit « entrez ! » à quelqu’un et qu’il s’assied ensuite dans l’intention de vous parler en tant que thérapeute, on balise et on se pose des questions. Sinon, il vaut mieux admettre que l’on est soit un peu con (Ce qui n’est pas contradictoire avec la fonction), soit un peu à la mauvaise place et au mauvais endroit ! » - Se rappela t’elle en songeant à ses premières « armes » de psychiatre. « Il y’a plusieurs premières fois et quelquefois, (certains praticiens apprécient ces moments, d’autres les redoutent), chaque patient est une première fois ! ». La Chimpe rit en solo sans faire de bruit et frappa à la porte. 

 « Entrez ! » - Entendit-elle, suivi d’une course rapide à l’intérieur. La porte s’ouvrit et une grande blacke mince aux yeux d’un noir intense de type érythréenne apparut dans l’embrasure.

 « Madame Hughes, enchantée. Entrez Docteur ! » - Lui dit-elle.

 Zghirni, comme toute les personnes Chimpes, mâles et femelles égaux entre eux sur ce point, pourrait vous décrire par le menu tout endroit fermé ou clos dans lequel elle avait été ne serait-ce qu’invitée à passer quelques moments dans l’année écoulée. Elle tâcha toutefois de rester concentrée sur son hôtesse qui marchait devant elle. Les humains martiens étaient collectivement beaucoup mieux adaptés aux Chimps Amélios que les glabres de Terra, et fureter du regard n’était point considéré comme outrageant chez eux, mais tout de même.

 « Mon mari revient dans quelques instants, il est sorti en courses avec notre fille. » - Dit la femme. De nombreux objets chimps attiraient l’attention dans cet intérieur constata la veuve de Sgharn. Toujours choisis avec goût et/ou en fonction de leur caractère utilitaire supérieur.

 « Vous appréciez ? » - Lui demanda, mutine, la haute humaine avant de lui ouvrir la « porte » du salon. Devant la tenture, Zghirn croisa le regard avec elle comme si elle avait été une chimpe. Voilà encore une possibilité socio qui était diablement agréable sur cette planète ! En cavité comme en Ruche.

 « Oui. Je suis de Terra, vous savez… » - Dit la visiteuse en découvrant ses canines.

« J’ignorais…Où étiez-vous ? » - Lui demanda poliment miss Hughes avec un geste élégant à sa chevelure tout en lui maintenant la tapisserie/tenture ouverte.

 « Loin de tout ! Dans un secteur morcelé et très agréable, ma foi…Un peu trop Chimp peut-être. » - Fit la visiteuse sans trop se mouiller.

 « Des îles ? Ou des monts ?» - Dit l’autre en réitérant son invitation à passer sous l’huis.

 « Des îles ! » - Dit Zghirn avant de s’engager. « Entre Philippines et Indonésie si je m’en souviens bien. ». La tenture retomba et elle se retrouva provisoirement seule dans le salon. Après l’incident des Célèbes qui avait vu, en dehors de son mari et de trois autres Singes, douze humains tomber sous les balles chimpes, Zghirni ne faisait état de son lieu de villégiature terrestre exact qu’après un petit moment d’évaluation…Parmi les humains fréquentés sur Mars, seuls Audeline Jonkmann et les praticiens de Schkoklan ayant eu un accès direct à son dossier savaient exactement qu’elle s’était trouvé là-bas, ce jour-là.

 La tapisserie de la porte se plissa en bordure du chambranle et une petite tête brune apparut.

 « B’zour, m’dame, t’es qui ? » - Dit l’apparition enfantine en Grec simiesque. Dans cette maison apparemment à moitié chimpe, ce fut sans formalisme que Zghirni répondit : « La mère de Jachra et aussi de Ferhn… ». Elle avait utilisé le vocable velu en dialecte simiesque martien, prononçant : « Morh » pour « mère ». De même, elle avait utilisé la déclinaison « et aussi » qui ne s’applique qu’à des jumeaux en grec et dans d’autres langues (Désinence du duel). La petite bouille disparut un instant, puis elle revint, au même endroit. (Ce que peu d’enfants glabres auraient su faire) : « Un p’tit garfon et une fille ? En même temps ? »

 « En même temps pareil ! » - Fit Zghirni avec le plus grand sérieux.

 Il y’eut un bruit de couverts agités qui provenaient d’une cuisine dans le couloir.

 « Hah ! » - Dit le gosse avant de refermer en extrayant sa bouille de la tapisserie.

 

La tenture s’ouvrit en grand et la maîtresse de maison revint avec son air de ne-pas-y-toucher.

 « Excusez-le, il est terriblement curieux de tout. » - Dit-elle.

 « Parfois, je me dis que je vais me consacrer entièrement à la pédopsychiatrie…Heureusement ou non, je préfère encore communiquer avec eux dans le quotidien. » - Répondit Zgirh.

 « Mon prénom est Harara. Dois-je vous appeler Docteur, docteur ? »

 Zghirni opina sans trop insister - « Pour l’instant, oui. » - Signala t-elle doucement.

 « Okay. » - La femme s’assit et elle croisa ses mains sur ses genoux.

 « Mon mari m’a dit que vous êtes une personne directe. Je constate une fois encore que son sens naturel ne l’a pas trompé.» - Dit-elle. La doctoresse, à ces mots, sursauta et elle lui dit :

 « Les sens ne sont pas là pour nous tromper, Harara. Ce serait trop facile si tel était le cas. »

 L’humaine sourit - « Voyons….Puis-je vous présenter ma fille, je l’entend qui est rentrée ? »

 Zgirhn fit signe que oui. Harara, puisque tel était son nom, tapa ses mains l’une contre l’autre.

 « Voici Lilith. » - Dit la mère avec une visible fierté, alors qu’entrait une longiligne jeune personne au teint bistre avec des cheveux d’un blond paille très particulier. La grande enfant regardait Zghirni avec d’immenses yeux d’ambre roux. Un visage tout à fait extraordinaire.

 « Bonjour, jeune personne d’exception... irais-tu chercher, afin de me le présenter, ton petit frère ? » - Ne put-elle s’empêcher de demander quand bien même la silhouette tranquille de celui qui - selon toute apparence, était celui qu’elle était venue visiter s’encadrait déjà dans l’ouverture de la tenture relevée. La haute enfant tourna casaque, et elle revint bientôt avec son frangin qu’elle tenait devant elle en protection de ses bras. « Voici Ylian, c’est lui mon frère, Morh Zghirni. » - Fit la sœur aînée avant de retourner l’enfançon et de disparaître avec lui dans le couloir. Leur père entra dans la pièce pour de bon.

 « Je vois qu’il n’y a plus personne dans cette maison, alors je m’installe. » - Dit l’homme en s’approchant de leur hôtesse. Zghirni, naturellement relevée, lui tendit la main par-dessus le canapé, à la mode de certains humains. Lewis s’en saisit et la serra amicalement.

 « Il n’y a pas de danger à redouter, monsieur Hughes. » - Fit Zghirni, avant de se rasseoir – «  Je sais plus ou moins qui est votre patron… ma belle-fille l’a croisé, non loin, en 2365…».

 « Voilà qui me rassure. Quoiqu’il n’aille pas bien du tout ! » - Répondit le père Hughes.

 « Pourquoi sinon, diable serais-je venue ? Irons-nous lui rendre une petite visite ? »

 Lewis se détendit - « Assurément. Mais avant cela, faisons un peu connaissance ! »

 « Je ne déteste rien tant que l’expression : Bien dressés ! À part la chose elle-même. » - Lança Harara. Elle était contente. Car, pour une fois, le congé de Lewis, qui travaillait selon le rythme hebdomadaire terrestre, coïncidait avec le rythme de douzaine des enfants. De plus, cette personne thérapeute velue qu’elle attendait avec plus d’angoisse qu’elle ne voulait bien le laisser voir, lui semblait aussi sympathique que ses amies Chimpes d’ici. Sherghi, le collègue Chimp de Lewis, amenait souvent des amies chez eux lors de ses visites et Harara, travailleuse sociale et éducative auprès des glabres du voisinage trouvait en général les Chimps très….reposants au quotidien ! La mère de famille Hughes commença à patiemment peigner ses cheveux sans plus se formaliser. Elle avait amplement préparé le « week-end » de congé de la famille en cuisine. Lilith et son esclave occasionnel de frère se chargeraient de les approvisionner….Lewis et son invitée commencèrent sans barguigner une conversation sur des sujets absolument autres que mister Paul/Gloan Newth. Zghirni était déjà conquise par ce noyau familial glabre qui lui semblait si bien naviguer entre intelligence et décontraction ! Il faudrait leur faire rencontrer Audeline un de ces jours – Songeait-elle. Elle cohabita durant une petite semaine avec eux avant de rentrer chez elle au Terrier Oméga Pi – alias Mégapi.

 L’ouvrier agricole Hugues, (agronome géniticien de formation) retourna tout d’abord en éclaireur à la Ferme Newth. Puis - quatre jours après - Zghirni, à son tour, se rendit à la cavité 13 de Votam. Cavité qui, avec son exploitation agricole à nulle autre pareille sur la planète rouge, commencerait presque à éclipser la cavité 20…avec son célèbre Cottage Gomez.

 ………………Ferme Newth…………………..

 En vertu du beau principe d’infusion, le simple fait que Lewis se sente mieux, soulagé, eut en ces quelques jours le mérite de calmer son patron dépressif. Gloan se remettait au travail de ci de là, s’occupant à droite ou à gauche, rangeotant, nettoyant les recoins oubliés. Il cessait de fureter partout pour rien. Sur les talons de son ouvrier pour commencer…et il mangeait à nouveau de façon un peu moins erratique. Quatre jours, donc, après la reprise de boulot du Rank 3 martien Lewis Hughes, 87 ans d’âge réel, aux alentours de l’heure du déjeuner - comme convenu - Zghirni Sgharnova, velue des Célèbes, se dirigeait à pied vers l’exploitation.

 « Tu connais cette personne qui s’amène, Lewis ? » - Demanda Gloan, les mains en coupe.

 Lewis fit mine de jeter un coup d’œil - « C’est une velue ! » - Di t-il.

 « Je le vois bien que c’est une Chimpe, Bon dieu ! Tu la connais ou pas ? »

 « Ouais…Elle est invitée chez moi. Elle s’appelle Zghirni, Paul. Et c’est une très chouette nana…Je vous conseille de ne pas trop faire le clown avec elle, Sir, c’est une sainte femme. »

 « Hell ! Les Chimps ont des saintes femmes – Nous sommes perdus ! » - Lança l’ancien.

 « Z’êtes con des fois, patron… » - Pouffa Lewis.

 « Ay, Ay. Je confirme… » - Fit le vieux Newth en grimaçant son assentiment.

 ……… (Cour de la ferme Newth, un petit quart d’heure plus tard)…………….

 « Bonjour maître. » - Fit Zghirni en s’inclinant avec légèreté devant Gloan.

 « Bonjour, maîtresse Zghirni. Je ne suis maître de rien du tout, depuis un moment. »

 « Puis-je, malgré tout entrer chez vous, me recevrez-vous ? »

 « Je vous y invite, madame.» - Le vieux Gloan s’inclina en poussant la porte.

 ……..… (Trois heures plus tard, maison de la Ferme Newth)…………………

 La longue table était encombrée des reliefs du buffet campagnard improvisé.

 L’ancien finissait d’évoquer son second ouvrier agricole, pour l’heure absent, le Chimp Sherghi et les excellentes relations qui unissaient ses deux travailleurs. Il était, sans le dire trop haut, très fier de la mission d’enseignement de quelques années que son employé velu avait réussi à décrocher à l’Université inter espèces de Londres.

 « Il m’a écrit que Kassandra n’allait pas bien la dernière fois qu’il l’avai t vue. Sans doute ai-je commencé à vraiment paniquer à partir de ce moment là…Il y’a onze mois. » - Expliquait-il.

 « Bien, nous avons beaucoup parlé, Sir. » - Signala son auditrice – « Ainsi donc selon vous, elle vous hait ? » - Revenant au fil rouge de leur discussion, Zghirni finissait son premier entretien d’évaluation avec Paul/Gloan Newth.

 « Je ne sais pas si elle me hait, madame. Je me borne à constater que Kassandra a coupé les ponts et qu’elle….me bat froid à chaque tentative de contact émanant de moi. »

 « Il y’en a donc eu ? »

 Gloan se renfrogna.

 « Peu…je le reconnais….je suis un horrible grognon ! »

 « Vous croyez cela ? » - Sourit Zghirni.

 « J’ai arrêté ce Chimp à l’esprit tordu et ….. »

 « Quel Chimp à l’esprit tordu, monsieur Newth ? » - Coupa la Doctoresse Sgharnova.

 « Ce Sir Kherlh. L’ancienne éminence grise de la Région Caldeira….Vous connaissez ? »

 « Assez bien, oui. Ma meilleure amie sur Mars et moi-même habitons au Terrier Ω π, tout à côté. Elle a rencontré ce monsieur : Sir Kherlh - maintes fois – elle lui doit sa fortune.»

 Paul/Gloan se sentait revenu dans le monde - « Elle est dans quelle partie, votre amie ? » - Demanda t’il.

 « Les Scaphandres Jonkmann ? : c’est elle. » - Informa la chimpe.

 Le vieux Newth faillit s’étouffer au souvenir du scaph pour touriste qu’il avait endossé avec tant de répugnance - « J’ai pratiqué…Une maison sérieuse et réputée...quand elle le veut ! En somme, elle l’appréciait, si je comprends bien… »

 Zghirn ne répondit pas d’une façon directe. « Pourquoi donc cet emploi de l’imparfait ? Sir Kherlh est encore vivant, monsieur, même s’il ne se trouve pas pour l’heure parmi sa communauté d’origine…et pour cause….. Accepteriez-vous de venir avec moi au Terrier Oméga Pi, monsieur Newth? » - Demanda t’elle par surprise au vieil homme.

 « Quelle drôle d’idée ! » – sursauta Gloan – « Je suis sensé trouver ça….thérapeutique ? »

 « Je ne m’occupe pas à proprement parler de vous sur un plan psychothérapeutique, monsieur Newth. Parce que vous le refusez… profondément ! Je me contente de vous faire une offre de personne à personne…une offre réciproque. J’aimerais vraiment beaucoup rencontrer moi-même certaines des personnes dont vous m’avez parlé il y’a quelques instants, et aussi vous en présenter d’autres…Vous acceptez ou pas ? Je m’en retournerais chez moi sans bruit, dans le cas contraire. Honnêtement, cela m’ennuierait beaucoup. »

 « Lewis dit de vous que vous êtes une sainte… directe….» - Essaya malicieusement le vieux.

 Zghirni regarda l’ouvrier qui tentait de s’éclipser sans se faire remarquer après avoir plié son couteau. Gloan avait parlé haut et fort, exprès. Lewis rougit avant de se retourner vers eux.

 Soupirant, il secouait la tête devant son patron. « Toi, tu n’en rates vraiment jamais aucune. » - Disait ostensiblement son regard. La Dr velue Sgharnova posa sa large main, aussi forte que celles d’un l’humain, sur l’épaule de l’ex Surfacier. Le vieux tourna des yeux étonnés vers elle. La Chimpe sourit, songeant que, sûrement, son ouvrier Sherghi ne le touchait jamais ainsi. Son long bras tenait la tension musculaire d’une assurance calme.

 Elle ne travaillait pas pour lui, elle. Zghirni ne se sentait pas obligée de toujours en tous lieux respecter l’étiquette qui prévalait entre glabres et velus sur cette planète forée de mille trous. Elle n’était pas là pour ça…Elle affermit au contraire son emprise sur son épaule et la secoua amicalement. Les chimpes femelles faisaient cela lorsque quelqu’un - peu importe qui - leur semblait exagérer sans pour autant avoir voulu être hostile. Son autre bras en appui, coude sur la table, une joue sur sa main pliée, elle riait de tous ses crocs : « Lewis veut sans doute dire une Mo…Je ne suis pas une Mo, monsieur Gloan, je suis une Chimpe vivante, c’est tout. Qui a charge de deux jeunes enfants. Donnez-moi votre réponse quand je reviendrai, je sors me promener dans votre Ferme, si adorable qu’elle semble la Terre.» - Dit-elle au vieil homme.

 Lewis, à présent ressorti, avait laissé la porte grande ouverte par laquelle la lumière vive de la cavité en ce début d’après-midi entrait à flots. La velue, dans sa robe légère et son pantalon d’indienne se précipita sur les traces du grand glabre blond en quelques bonds lestes, plantant là le patron de la Ferme Newth, bouche bée. « Eh ben ça !... » - Se dit le dernier occupant de la salle à manger. Après un moment d’expectative, il se leva et alla regarder aux Vaevs si – (« des fois, criss ! »)- Moïrah/Sorah Adams ne se trouverait pas du côté de la Région Caldeira en ce moment. La petite druidesse rousse était bien en poste à la Cavité K 37.

 

15 janvier 2010

(Lewis et Cie)

 

Chapitre 20

 

« Lewis et Sherghi »

 

septembre  2372 - Mars  -  Cavité 13 de Nuevo Tampico  -  (Ferme Newth).

 « Qu’est-ce que vous fabriquez là, Paul ? » - Laissa tomber Lewis en pénétrant dans la grange des animaux de bât. Le vieux Newth, assis au sol, avait posé son fusil de chasse à canons superposés (interdit en cavités bios martiennes !) à côté de lui, contre la paroi de planches.

 « Je médite, Lew… » - Fit Gloan/Paul, la tête entre les mains.

 « C’est ça, oui ! Et moi je suis le Roi des parfumeurs de la vallée de la mort !.... »

 « Laisse-moi, Lewis. »                                                              

 L’ouvrier agricole frappa un violent coup du plat de sa main contre la paroi de la vieille grange, jetant tout de même au passage un coup d’œil furtif aux bêtes pour vérifier si elles ne s’en effrayaient pas de trop - « Vous ne pouvez pas ainsi continuer à mettre en scène votre suicide trois fois par semaine, Paul !… Ce n’est absolument pas possible…» - Dit-il.

 « Soixante ans, mon vieux Lewis, soixante ans que j’avais quelqu’un à qui parler…Ce n’est pas rien 60 ans, même pour moi. Maintenant, elle me déteste…et je ne le supporte pas. »

 « Vous l’avez déjà dit mardi… » - Répondit l’autre en attrapant d’un geste rapide l’arme chargée. Il la cassa et sortit les cartouches, les faisant passer dans ses larges poches de pantalon, puis il la posa au dessus de lui, sur le plancher à claires voies encombré de paille.

 « Et ce nigaud d’Orland qui perd son temps à musarder sur Terre ! » - Gémit l’ancien.

 L’ouvrier vert mit les mains dans ses poches en fronçant les sourcils. Il aurait voulu encore taper dans quelqu’objet, avec le pied cette fois ! Il se força à garder une voix égale : « Vous avez pas mal musardé vous-même sur la terre, jadis, Paul, si je suis bien informé… »

 « Criss, Lewis ! 150 ans pour commencer, une vie de Rank 2 à bâtir un destin… que je m’imaginais pleine comme un œuf… Les années sur Mars, cette foutue planète, à voir, impuissant, mes descendants se faner, vieillir et disparaître tandis que moi - le pater familias de merde - je restais suspendu au firmament comme une vulgaire feuille d’érable sur un foutu drapeau... La fuite éperdue sur Terra avec cette aventure post Vénusienne de polichinelle dans le tiroir de la belle Janet. Le suicide de Sophro, les mensonges éhontés…le vieux tuteur qui devait être cadavéré depuis longtemps et qui élève cette enfant délicieuse… »

 Lewis l’empoigna d’une main par le revers, l’obligeant à se relever d’une traction ferme : « Personne ne prétend que vous n’ayez pas de raisons réelles de vous faire sauter le caisson, Paul. Je ne pense pas que vous en ayez suffisamment le désir, alors…cessez de me casser mon moral, jour après jour, avec votre cinéma ! » - Souffla t’il en remuant un peu le vieil homme.

 « Okay, Okay, camarade ! C’est que je me dégoûte tellement…. »

 « Pourquoi donc n’allez-vous pas voir Sorah Adams ? » - Fit l’ouvrier agricole glabre de la ferme de la Cavité 13, en sueur. Il s’essuya la bouche d’un revers de manche.

 « Elle ? Elle me hait encore plus que Kassandra ! »

 « Vous dites des bêtises ! J’emporte votre pétoire pour l’instant. Tâchez de dormir un peu. »

 

Lewis sortit de la grange en laissant un battant entrebâillé. Que devait-il faire ? De retour chez lui, en fin d’après-midi, au petit bourg de Djuria, il embrassa sa femme et ensuite ses enfants.

 « Tu embrasses toujours maman en premier. » - Lui fit remarquer son fils, 6 ans.

 « Ah…je suis content que tu me le dise. Parce que ça veut dire que tu grandis, mon fils. »

 « C’est parce que tu aimes mieux maman que nous ? »

 « Pas du tout. »

 « Pourquoi alors ? »

 « Ça te déplais quand je t’embrasse, après ? »

 Le gamin, pas trop habitué à ce type de questions, réfléchit un bref instant.

 « Non, j’aime ça. » - Décida t-il.

 « Tu as demandé à ta sœur si elle sait pourquoi je fais toujours dans cet ordre ? »

 « Non. »

 « Tu crois qu’elle l’a remarqué, elle aussi ? »

 « J’ai peur de lui demander des questions comme ça… » - Avoua le petit garçon en baissant le nez. Lewis sentit venir la crise de larmes chez son héritier mâle.

 « Bon, bon…ne pleure pas, ne pleure pas ! Je vais te le dire moi…Okay ? »

 « Okay. » - Fit son fils en ravalant un début de sanglot, soulagé et attentif.

 « Est-ce qu’on s’est rencontré au travail, toi et moi ? »

 « Meuh non, t’es bête… » - Répondit le gosse.

 « Meuh non, je ne suis pas bête - Je t’explique. Bon…On s’est rencontré au marché alors, tous les deux !?»

S’imaginant que la discussion voulait tourner à la blague, l’enfant se mit à rigoler. Voyant, d’un autre côté, que son père ne semblait pas prêt à chahuter, il se calma.

 « Mais…Papa…On s’est pas rencontrés, pisque tu es mon papa. » - Dit-il tout soudain.

 « Voilà, c’est ça que je voulais te dire ! Et maman, est-ce que je l’ai rencontrée à ton avis ? »

 L’enfant eut une moue et leva les mains - « Ben oui !... »

 « Eh bien voilà ! C’est parce que, elle, je l’ai rencontrée, que je l’embrasse en premier. »

 « Pourquoi ? »

 « Pourquoi ?....Parce que je veux qu’elle reste avec moi, mon chéri. Va jouer maintenant ! »

 

Le gamin repartit par la porte d’entrée en détalant dans la ruelle, forcément pleine de surprises. Sa mère, qui avait l’oreille qui traînait sur leur petite conversation se rapprocha de son mari.

 « Tu n’as pas l’air au mieux de ta forme, Lewis….qu’est-ce qui se passe ? » - Demanda t’elle.

 « Tu as raison - le vieux m’inquiète. Je ne vais pas pouvoir continuer à travailler chez lui si ça ne s’arrange pas bientôt. » - Fit Lewis en se lavant les mains.

 « Tu ne crois pas qu’il faudrait comm pour prévenir de son état ? »

 « C’est délicat…Paul n’est pas comme nous. »

 « Ah...Et pourquoi ça ?! » - Rétorqua sa femme en mettant les mains aux hanches.

 « Qu’est-ce que vous avez tous avec vos pourquoi, aujourd’hui ? On dirait des terrestres !»

 « Je suis sérieuse, Lew. » - Dit sa femme, pinçant les lèvres avec un air très déterminé.

 « Hm…Je vois ça… D’accord, je vais appeler Schkoklan ! » - Fit Lewis après un moment.

 « Schkoklan ? Il y’a des bons psys à Nuevo Tampico. »

 Lewis fit jouer sa langue contre ses joues en secouant la tête.

 « Tu es au courant. » - Signala t’il avec un soupir.

 « Beaucoup d’autres que nous sont au courant maintenant, Lewis. »

 « C’est que…Il vaut mieux qu’il y’ait du choix et du répondant avec un vieux comme lui. »

 « Ah ! Enfin ! Je retrou ve le Lewis que j’aime tant… » - S’exclama sa femme. Elle rit longuement et secoua sa crinière crépue pour faire plaisir. Puis, avec un geste terriblement féminin, elle fit claquer en l’air le torchon avec lequel il venait de s’essuyer après le lui avoir chipé. « Tu devrais aller consulter tout de suite leur cycle. » - Conseilla t’elle à son mari en lui relançant l’ustensile remis en boule. Avec un large sourire, elle retourna ensuite aider leur fille Lilith à poursuivre sa leçon de télé enseignement dans sa chambre.

 « Elle a raison. » - Songea Lewis qui alla s’asseoir devant les Dom Vaevs de leur salon.

 

Depuis que les « Taupinières » de Mars étaient en permanence soumises à des transferts d’énergie massifs entre elles, leurs synchronisations temporelles avaient pris du plomb dans l’aile. Dès 2250, les ingénieurs mathématiciens chargés de veiller à la coordination raisonnée des différents temps chrono climatiques dans les Terriers avaient tiré la sonnette d’alarme.

 « Impossible de continuer à privilégier la coordination horaire, ou même circadienne, entre les Taupinières de notre planète – Avaient-ils prévenu, preuves à la main – La dépense énergétique doit primer sur le désir d’imiter Terra. Le gaspillage est devenu beaucoup trop important. ». Jusque là, les Verts, au moins ceux des zones Ruches, savaient qu’ils pouvaient calquer le rythme des Terriers sur le rythme de la surface martienne. Les journées étaient très légèrement plus longues que sur la Terre. Malgré tout, il restait possible de calculer que si on appelait un interlocuteur habitant aux antipodes martiennes on le trouverait décalé d’une demi-journée par rapport à soi. Ce temps était loin ! Les terriens en visite avaient un mal fou à saisir le nouveau fonctionnement. « Pourquoi ? Pourquoi ? » - Demandait-ils à chaque fois à leurs potes de la planète rouge qui se contentaient en général de hocher en les renvoyant à leurs workscreens. « Vous tapez l’endroit et vous regardez où ils en sont : voilà c’est tout. » - Fallait-il sans cesse leur rappeler. Pour les plus patients, il restait l’explication standard :

 « Imaginez une jolie région souterraine de Mars, interconnectée, avec une dizaine de Séries Terriers de tailles diverses dont certaines qui comportent des cavités Bio - ou non. V’voyez ?! Bien ! Sur le plan énergétique, si on fait pomper tout le monde en même temps et que tout le monde va dormir aux mêmes heures – à envisager que l’on ait remplacé tous les systèmes vitaux par des pompes à vélo à main et à pied – Primo : Vous mourrez ! Secundo : - Plus grave ! - Vous mourrez en ayant gaspillé une l’énergie que la communauté ne récupérera jamais ! Capicce ? ». En effet, il était bien plus logique de faire travailler les uns en laissant les autres se reposer au sein d’un même réseau d’interconnexion énergétique. Le Centre Hospitalier de Schkoklan n’était aucunement une exception à cet ordre de fait.

 « Vous croyez quoi ? Qu’on a peur des fous sur Mars ? Si tel était le cas, croyez-moi ou non, on ne resterait pas sur cette planète… » - Répondait parfois un Vert, agacé par les remarques aberrantes de certains visiteurs ou de nouveaux immigrants pas assez dessalés.

 Au sein des cavités Bio d’une même série, la Cavité la plus proche de la Ruche et cette dernière étaient coordonnées (Puisque les enfants de moins de 11 ans y étaient scolarisés…).

 Les Ombilics profonds, sièges des centrales à énergie principales et aussi des maternités - rappelons-le - ne connaissaient aucune alternance jour/nuit.

 Entre les deux, le même système de répartition optimale des alternances circadiennes jour/nuit en fonction de la gestion énergétique prévalait entre Cavités, à une échelle plus réduite.

 En ce qui concerne les Séries Omega, qui n’étaient pas bâties sur le même modèle topologique que les « alphabétiques », la situation répondait aux mêmes critères prioritaires…

 

Tout ceci pour dire que Lewis avait intérêt à savoir au préalable si et quand Schkoklan était joignable avant de décider à quelle heure il les appellerait…Il y’avait naturellement un service de veille permanente, fort au point….lorsqu’il s’agissait d’un patient ordinaire.

 « Mais qu’est-ce qu’un patient ordinaire, n’est-ce pas ? Harara a raison. » - Songeait Lewis en attendant l’heure la plus propice avec plus qu’une légère appréhension aux tripes.

 ……………plus tard………….

 « Pronto ! » - Les fonctionnaires martiens au travail répondaient invariablement de cette façon.

 « Je voudrais m’entretenir avec votre service d’évaluation des proches. » - Dit Lewis.

 « Ils sont saturés. C’est urgent ?» - La voix était agréable.

 « Je peux attendre un peu. »

 « Il s’agit de qui ? »

 « De mon patron figurez-vous. Etonnant pas vrai ?»

 « Non. Inhabituel à la limite…C’est formidable ! Nous allons enfin résoudre des tas de problèmes sociaux et politiques si vous faites suffisamment d’émules… »

 « Vous êtes soignante ? »

 « Oui. » - Dit la voix au Centre Hospitalier spécialisé de Schkoklan.

 « Médecin ? »               

 « Aussi. Vous êtes certain de vouloir entrer en contact avec ces raseurs du service Proches ? »

 « Euh…non. Pas si je peux faire autrement.»

 « Alors allez-y, lâchez-vous mon vieux ! »

 « Appel au secours de type suicidaire. Isolement relatif. Grand âge. Euh…»

 « Vous le connaissez depuis longtemps ? »

 « 22 ans cette année…C’est un type un peu à part : Agriculteur à l’ancienne. »

 « Il y’a un épisode à venir dans sa vie qui pourrait expliquer la survenue de ses symptômes ? »

 « Oui : sa descendante préférée revient par la prochaine Rotation. »

 « ………. »

 « Et ils se sont salement tiré la tronche, depuis son départ. Il dit qu’elle doit le détester. »

 « Combien de temps est-elle restée absente ? » - reprit la voix.

 « Six ans. »

 « Hmm…..Sauf pépin en cours de route, elle arrivera donc dans deux mois…correct ? »

 « Oui. Ecoutez… il vaudrait peut-être mieux que vous me passiez au service Proches, non ? »

 « Si ce que vous m’avez dit est exact, et je ne vois aucune raison d’en douter, ils dépêcheront un travailleur médicosocial chez lui. Là, s’arrêtera plus que probablement leur capacité de proposition…Vous croyez que c’est ce qu’il souhaite ? Ce qui convient ? Votre patron ne s’est pas blessé, automutilé, pendu, n’est-ce pas ? J’ai bien compris ? » - Demanda la voix.

 « Non……..parbleu……non.  Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de procéder. »

 « Moi non plus. Quel âge a votre patron, monsieur ? »

 « Je ne sais pas exactement, il semble avoir entamé son dernier cinquième… » - éluda Lewis.

 « Amélio 3 bien sûr ? »

 « Oui : Rank 3. »

 « Bien. Je suis le Dr Sgharnova. Monsieur ?... »

 « Lewis Hugues. »

 « Monsieur Hugues, pouvez-vous me recevoir disons dans les jours qui viennent. Assez rapidement serait idéal…Si cela vous ennuie dites-le moi sans ambages. » - Demanda Zghirni.

 

« Vous pouvez vous absenter comme ça ? Pour un seul patient ? Sur un simple coup de fil ? »

 « Oui. Je suis consultante ici….à mi-temps. La manière dont vous avez exposé votre souci a retenti en moi. Rassurez-vous, je ne pense aucunement à en profiter pour faire de vous un futur patient que vous ne me semblez pas – au reste – devoir devenir pour l’instant. Alors ?»

 « Vous êtes plutôt directe ! »

 « Ah…ça : oui. » - Convint Zghirni, devant son poste du Central comm de Schkoklan.

 Lewis se dit que, peut-être, il commettait une bêtise, pourtant il lui dit : « J’ai trois jours de congés après-demain. Vous pouvez prendre les CM* de la Comm. J’appelle de chez moi. »

 « Merci. Le fait que je sois une Chimpe ne vous dérange pas, j’espère… ? »

 « Aucunement. Vous pouvez venir quand, Docteur ? »

 « Dans trois jours. Je vous remercie de votre appel, monsieur Hugues. A bientôt. »

 Et elle raccrocha.

 

 

* - (Coordonnées Martiennes.)

 

15 janvier 2010

(Tome 3 - titrage)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tome 3

 

 

 

« La Charte Solaire »

 

(2372 – 2500)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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