(monsieur le professeur)

Mars. Ruche du Terrier C – Bureau du responsable de thèses en sciences sociales.

Yacine ne détestait pas tout dans son rôle de Professeur chargé de mission auprès du département de recherche en sciences humaines. Le Terrier C gérait la moitié des recherches en la matière. Dans son bureau encombré de la Ruche, il recevait les étudiants et les chercheurs sans manières ni chichis.

 « Comment cela votre mémoire sur la toponymie comparée de Mars n’est pas prêt, jeune fille ? » Dit Yacine en fronçant les sourcils.

 « Non monsieur. »

 « Vous avez pourtant déjà bénéficié de deux délais supplémentaires. Alors ?»

 « Je n’ai aucune excuse à formuler monsieur, je suis désolée. »

 L’étudiante, une des rares natives de cet âge, avait refusé timidement son infusion de maté, elle baissait le nez. Yacine reposa sa bomba de facture locale sur la table en bordel.

 « C’est une question de collecte de données ? » Demanda t’il patiemment.

 « Euh…et bien oui, en grande partie, monsieur. »

 Monsieur le Professeur se repoussa sur son fauteuil en tripotant son stylet. Il y’avait des jours où sa brouette de saltimbanque lui manquait, se dit-il avec un brin de nostalgie.

 « À quel endroit achoppez vous ? »

 « Dans les cavités profondes Professeur. »

 « Ah…les Fonds…Il y’a une série particulière qui vous résiste ? »

 « Oui.» Fit la fille en opinant comme si on l’avait prise en défaut.

 « Laquelle ? »

 « Je ne dois pas en parler monsieur. Mes sources me l’ont défendu. »

 « Toute cette opiniâtreté vous honore, mademoiselle... Apportez moi donc votre mémoire tel qu’il est. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient. »

 « Aucun, aucun. J’en serai même soulagée. Merci monsieur. »

 Deux semaines plus tard Yacine prit un congé. Les Fonds l’intriguaient depuis longtemps, il était temps d’y retourner. Rien, dans le mémoire de la jeune spécialiste, ne laissait deviner où son raisonnement de chercheuse avait calé. Yacine en avait discuté avec Aül qui connaissait si bien les cavités bios.

 « Son projet était assez simple au départ…d’apparence. Elle étudiait de façon croisée les noms que Terra donnait aux sites de surface et les versions que nous en donnions nous : Taupes, Surfaciers, habitants des Ruches, les zoulous, les visiteurs, etc, etc. Elle a ensuite étendue son aire d’investigations aux termes propres aux terriers. Et là…» Yacine souffla sur le bidon de l’enfant qui rit aux éclats.

  Sur le bout de la grande table, il finissait de torcher leur fille, la petite Zoun. Bosh’aül fit passer une couche à Yacine et jeta l’autre dans l’ékopoubelle de la salle à manger. Une fois au sol,  leur fille de 20 mois les regarda en estimant qu’ils auraient quand même  pu la laisser cul nu un peu plus longtemps. Mais sa mère et son père parlaient ensemble.  Vu ce qu’elle connaissait de ces deux-là, elle décida de filer aussi sec dans la chambre de ses deux frères, histoire de les emmouscailler.

 « Passe-moi donc les parties de ce mémoire que je suis en droit de lire, au lieu de pérorer ainsi, Yacine. » Lui dit sa femme.

 Il courut à son bureau et revint avec son workscreen. Bosh’aül s’assit dans le canapé et commença à lire et à consulter les archives avec attention.

 « Tiens… » Dit-elle au bout d’un moment tout en se massant le crâne d’une main.

 « Quoi ? » Fit Yacine.

 « Ses conclusions sont parfois étonnantes…une fille spirituelle, on dirait. Ah ! La série C, ma favorite. » Dit-elle en tapant du doigt sur l’écran avec une grimace. « Vas donc voir ce que fiche Zoun s’il te plait, les garçons crient, je les entends d’ici. ». Pendant que Yacine allait posément assumer ses hautes fonctions de pater familias, elle continua sa lecture. La fille qui avait pondu ce mémoire devait valoir le déplacement, elle avait étendu son champ de recherche de façon raisonnée en vraie scientifique. Son mémo comprenait une étude linguistique fouillée des pratiques relevant des cultes locaux, un mémoire dans le mémoire.

 « Je la nommerais tout de suite à un poste de chercheuse et ensuite je l’enverrais vite sur Terre, fignoler sa formation, si j’étais son Directeur de thèse. » Dit-elle à son mari lorsqu’il revint, la gamine sur la hanche.

 « Oui, mais c’est moi son directeur, ma chérie… »

 « Tu veux mon sentiment, il parait ? Et bien, je crois qu’il s’agit des Fonds de la série C, la nôtre…Il s’y passe probablement quelque chose. Voilà.» Elle lui rendit son workscreen et redescendit Zoun qui se mit à brailler.