(Schkoklan)

 Mars « la Verte »  – planète Rouge  -  2151

Site de Schkoklan – Chantier du futur Centre hospitalier Spécialisé de Mars

 Voilà un an que la Protectrice Placek avait quitté la Planète rouge. Issa tourna et retourna entre ses mains le nouveau modèle de Sculpteur qu’il venait d’essayer sur un bloc dans son atelier personnel. L’objet n’était pas disponible ailleurs que dans les antres des Taupes. Il coiffa son casque de protection, heaume relevé. La résille de son scaph était finement travaillée et ses insignes de Colonel pouvaient s’y lire, en plus des endroits habituels, répétés sur l’ensemble du corps en de longues  nervures qui se ramifiaient dans des dessins aux motifs complexes. Il enclencha sur sa ceinture, elle aussi ouvragée, le système de champs répulsif qui les protégeaient des nanos lorsqu’ils travaillaient. La légère vibration sonore se stabilisa puis disparut. Issa engagea sa main droite dans le manchon du sculpteur moléculaire et se dirigea vers le chantier.  

 Il sourit en croisant Mourna qui allait vers l’atelier de traçage. Lorsque Mourna avait eu la première version de Sculpteur entre les mains, elle était tellement enthousiasmée par ces nano tunneliers miniatures et portatifs qu’il avait pensé qu’elle allait s’évanouir. Avant que Zdenka ne reparte, Mourna avait touché deux mots à propos de ces outils très particuliers à la Colonelle Placek en lui demandant expressément de ne pas parler d’eux sur Terra.

 Les Taupes sculpteuses et sculpteurs juraient le secret à ce propos sur Mars. Ensuite ils étaient déclarés aptes à devenir haute-taupe. Exemple de pari/défi que Serge, Mourna et lui se lançaient à l’époque : « Un Sculpteur dans chaque main, le dernier de l’autre coté de la paroi de 30 mètres d’épaisseur paye le dîner. ».

Avec le modèle d’alors, le premier, ils avançaient de 10 mètres/heure environ, en creusant manuellement. Avec celui-ci peut-être iraient-ils encore plus vite ? Le goût de la nouveauté aurait disparu quand même. « Il faudra trouver d’autres défis. » Se promit Issa, qui se sentait dans un bon jour.

 Le hall du grand salon du neuvième  avait été vidé de ses échafaudages. La première passe de sculpture murale était terminée. Une dizaine de personnes, toutes revêtues de scaphs nanos, visières ouvertes mettaient la dernière main à la pose du joint intérieur de la baie en plex épais. A ce jour, il s’agissait de la plus grande baie d’une seule pièce jamais posée sur un bâtiment martien.

 L’activité météoritique sur Mars, est suffisamment importante pour y réfléchir à deux fois avant d’établir où et comment procéder à de telles poses. Malgré le surplomb massif de roche qui protégeait la baie, il y’aurait dans quelques semaines un écran de force autour de cette partie de l’édifice. Une météorite assez massive se contrefout toutefois des champs de force. Haute comme trois hommes et longue de vingt mètres, courbe et légèrement concave, le transport avait posé des problèmes de logistique plutôt ardus. Issa s’était fait engueulé devant témoins  par Sergueï, qui s’était coltiné la corvée de convoyage de  l’énorme plaque de Plex.

 « Schkoklan qu’ils l’appellent ce foutu endroit ? » Avait-il demandé en visant la hauteur de l’édifice rocheux. « Ben, ça colle assez bien ! »

 Lorsque avec l’aide de toute son équipe il avait mis en route les palans, Issa avait grimpé par l’intérieur pour la réception avec des nœuds dans l’estomac.

 « Trop d’efforts ! » Avait tonné Sergueï en déposant enfin la verrière au neuvième étage du site. « Faut te calmer avec ça, mon p’tit vieux. Si tu continues ainsi à danser sur le fil, je préviendrai personnellement Eboshi du coût global réel de la clinique avant qu’elle ne revienne de Terra. Prince ou pas Prince ! »

 Serge avait récupéré la version russe de son prénom. Le petit lobby russophile était influent sur Mars. Parfois il faisait des siennes.

De grandes feuilles de papier local, couvertes de dessins et de schémas étaient disposées le long des murs et aux pieds des colonnes du hall. Issa salua amicalement tout le monde et lorsque la responsable du jointoiement fit signe que c’était fini, chacun et chacune rabattit son heaume de plex et de résille. Les ouvriers, l’un après l’autre levèrent leur pouce pour signaler que leur champ répulsif était opérationnel.

 « Nous allons commencer par les colonnes, si vous voulez bien. » Leur dit le Prince. Il s’avança et, après avoir réglé les paramètres de taille sur le Sculpteur à sa main droite, il monta dans la nacelle d’un module élévateur. D’autres nacelles s’élevaient dans le hall, elles hissèrent leurs occupants à leurs postes à sept mètres de haut. Issa et les autres commencèrent à attaquer la roche magnifique striée de bruns et de violet en haut des colonnes. Issa constata que les nouveaux outils dont ils venaient d’être dotés, étaient d’une précision et d’une rapidité de taille impressionnantes. Les chapiteaux et les linteaux prenaient forme sur les dix colonnes. Eboshi avait bien stipulé que les décorations du grand hall ne devaient pas comporter de motifs animaliers, même fortement stylisés. Ils se contentaient donc de formes végétales et d’abstraction. Ils travaillèrent quatre heures, avec des pauses où certains passaient parfois les sas, après une décontamination rapide, pour sortir un peu de la pièce de un demi hectare au sol, la moitié du travail d’ébauche était terminé sur les 37 colonnes. Tout le monde se déclara satisfait. « Prochaine session dans huit heures. » rappela Issa.

 Ils sortirent afin de laisser les Pexs démarrer la décontamination nanos de la pièce en semi  automatique.

 La construction du Centre Spécialisé de Schkoklan avançait bien, il serait fini pour le retour de la Psy japonaise l’année prochaine. La santé mentale, une source récurrente de soucis dans la communauté verte, méritait bien d’avoir son propre château sur la Planète rouge, non ? Issa avait vu de ses yeux, sans parler des accidents, deux suicides sur les chantiers de forage martiens. Un homme qui déverrouilla sa combinaison répulsive, mort affreusement en trois heures, et un autre qui réussit à sauter à travers le front de coupe d’un nano tunnelier. On n’avait pas retrouvé la plus petite molécule du deuxième. Depuis, les chefs d’équipes disposaient d’un système de verrouillages à distance des équipements des autres membres. Cette option donnait lieu à d’autres problèmes, cependant c’était mieux que rien.

 Issa finit d’ôter son scaphandre anti-nanos et il invita quelques sculpteurs et sculpteuses à venir avec lui dans ce qui serait d’ici peu les appartements du Docteur Eboshi Takuzawa quand elle prendrait ses fonctions de directrice du Centre.