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Solar Ranks
15 janvier 2010

(Meï)

 

Ville de Chengdu  (9 millions d’habitants) –  Province du Sichuan – (Chine centrale)

 

« Les différentes cliques régionales en Chine, les Ouigours, les Tibétains et les Mongols, les responsables Chartistes des installations administratives de l’Outre terre au Tibet…Tout était en place pour libérer un espace Chimp sur les versants Nord du plateau tibétain et dans la dépression entre Nan Chan et Kun Lun Shan. Le plus dur, fut la négociation avec la Région autonome de Shanghai. Avec une population terrestre de Singes modifiés Amélios de près de 40 millions d’individus au total, la perspective de nous laisser camper à une encablure des sources d’altitude de cinq fleuves géants de Terra en inquiétait plus d’un chez les glabres.»

 (Mémoire secret du Colonel Hornak rendu auprès des instances du CLIC en 2382).

 Mai 2371

 Le prince Min Jiang, ses fluides ayant dévalé les contreforts Est du plateau tibétain, entamait son long périple de 5000 Kms à travers la Chine. Chengdu était la première ville d’importance sur son cours. Deux autres rivières allaient confluer avec lui plus bas, dont son frère aîné Yangtzé Jiang. Il n’était pour l’instant qu’une rivière, assez large et puissante. Ensemble, ses frères et lui, après la ville de Yi Pin, ils deviendraient l’Empereur Jiang et ils écraseraient les provinces baignées de leur omniprésence de fleuve-Dieu, aux berges hautes qui inspirent crainte et respect. Historiquement, sur Terra, le Nil n’est pas le seul fleuve-Dieu. Le fleuve, donc, traversait la capitale de la province du Sichuan, ce condensé des autres Chines au particularisme un peu mystérieux. Cela faisait plusieurs siècles, patiemment occupés par les forces souterraines à accumuler de l’énergie cinétique profonde en prévision de l’évènement, que le prince cadet Ming Jiang n’avait plus trouvé Chengdu aussi changée que ce jour là.

 Là où, hier, les rues égayées d’innombrables commerces bruissaient d’animation, ne subsistait plus ce matin que ruines et désolation. Des incendies dus à des conduites de gaz rompues ou à des produits inflammables allumés par écrasement/friction laissaient monter leurs panaches de fumées vers le ciel chargé. Distinguer avec certitude quels endroits l’asphalte et le ciment tapissaient il y’a moins d’une heure le sol de la grande cité, était devenu malaisé.

 Loin du fleuve, silhouette claudicante au ras de cet horizon de malheurs en déploiement, un être velu aux vêtements bleus dépenaillés dégringolait d’un remblai vers l’un des rares espaces resté dégagé de la banlieue nord de Chengdu, le boulevard de maître Kong. Le Chimp s’approcha prudemment des groupes d’autres êtres – éparpillés -  sur le seul trottoir épargné.

 « Par les Mos, j’ai eu une de ces veine ! ». Le Chimp Amélio, harassé, se tâta prudemment les avant-bras et les jambes, en évitant de palper aux endroits où des morceaux de verre s’étaient fichés ou incrustés sous la peau. Une de ses pattes postérieures le lançait et c’était miraculeux de n’avoir que cela à déplorer corporellement. L’échelle d’évaluation sismique de Richter est imprécise pour les séismes exceptionnellement puissants, puisqu’elle est exponentielle.

 « Pour araser à ce point un paysage, le niveau 8 semble toutefois s’imposer. » – Songea t’il.

 Hornak venait d’errer vingt minutes entre les décombres informes de la ville. La secousse tellurique l’avait surpris à un second étage, pendant qu’il conversait avec les responsables locaux du cadastre régional. Il n’avait pas su s’intégrer par la suite auprès de équipes qui s’étaient mises à fouiller avec acharnement les bâtiments effondrés de la vaste cité administrative, aussitôt la terre revenue à un équilibre indécis. Les fonctionnaires survivants avaient l’air d’avoir peur de l’éternel ressentiment populaire qui suivait en général les catastrophes naturelles de ce genre, plus que du dragon tellurique lui-même. Même en 2371.

 Le grondement inattendu, énorme, suivi de la danse ondulante du sol terrestre, avait mis les six bipèdes présents dans le bureau d’accord pour poser leurs quatre extrémités sur le plancher. Horn le Chimp, tout comme ses compagnons d’infortune espérait avant tout que cela s’arrête ! Voyant en un éclair le moment où l’immeuble dans lequel ils se trouvaient allait commencer à verser vers l’aval de la pente, il n’avait eu que le temps de bondir à travers une fenêtre, en la brisant au passage. Du moins ainsi reconstituait-il - à grand’peine - l’enchaînement des quelques secondes qu’avait duré la secousse maîtresse du tremblement de terre du 24 mai 2371 au Sichuan. A l’heure qu’il est, les cinq humains avec qui il parlait juste avant, étaient, selon toute vraisemblance, écrasés, aplatis sous les tonnes de béton et de parpaings amoncelés du bâtiment effondré. À moins qu’ils n’agonisent lentement, piégés au cœur de la ténèbre sous quelque dalle « protectrice ». Les glabres l’avaient vraiment regardé de travers, dans les minutes qui suivirent, alors qu’il tentait d’ausculter les monceaux de débris avec son scann. Les Chimps Amélios étaient très rares par ici, et absolument inexistants dans ces secteurs voués au contrôle social. Mieux valait s’en tenir au rôle de la victime de base ! Il avait donc plus ou moins fui le quartier dévasté de la cité administrative – pourtant bâtie selon les normes les plus sévères - pour se fondre dans la masse des réfugiés civils. Escaladant mille barricades, enjambant coudée après coudée des aires d’éboulis, au hasard, espérant enfin aboutir là où on ne le regarderait pas ainsi par en dessous.

 Maintenant, cette modeste, quoique très fervente prière exaucée, les rangées de corps allongés, hâtivement recouverts de linges, alignés à un jet de pierre de lui, attestaient amplement de l’étendue de la catastrophe « ordinaire ». Trois sauveteurs improvisés passèrent devant lui en transportant un corps à l’aide d’une couverture. Un bras dépassait, inerte et sanglant.

 Quelques adultes, prostrés, étaient assis sur le rebord d’un agglomérat de gravas qui s’étaient répandus jusqu’au milieu la chaussée. Certains, comme dans un ralenti, essayaient de laver les blessures de leurs voisins de la saleté qui les recouvrait. L’absence de tout bruit sur les décombres vrillait l’esprit. Une femme, élégamment habillée quoiqu’en haillons, s’appuyait d’une main à un pan de mur lézardé, courbée en deux, et vomissait interminablement. Des adolescents rescapés, complètement perdus, allaient de l’un à l’autre, quémandant une réponse ou s’invectivant entre eux sans qu’on puisse vraiment en deviner les raisons. Plus loin, on commençait déjà à égratigner à mains nues quelques tas de matériaux en vrac, en tentant de déceler des signes de vie dans ces amas.

 Hornak se laissa lui aussi tomber, sur un tas de madriers, et il entreprit d’ôter les éclats de verre fichés dans son épiderme. – « Qu’avaient-ils donc pu emporter, ces cinq humains qui étaient avec lui à ce bureau du deuxième étage, comme dernière image du monde des vivants ? Figés qu’ils étaient sous les chambranles de porte ainsi que le conseillaient toutes les consignes para sismiques en vigueur ? Une silhouette de quadrumane, écumante de terreur, hors de lui, se précipitant vers l’extérieur de leur futur tombeau dans un inconcevable bond animal ?... » - Se demanda t-il, abattu et nauséeux de frayeur rétrospective.

 

La poussière soulevée par les effondrements, omniprésente depuis une trentaine de minutes, venait tout juste de finir de retomber. La visibilité alentour redevenait un peu plus nette sur le champ de ruines…à perte de vue. Le Chimp de Mars, quittant des yeux son environnement immédiat, désespérant, se reconcentra sur ses blessures. Tandis qu’il extrayait patiemment de sa chair les morceaux de la vitre ainsi traversée en l’espace d’un instant - réflexe exempt de toute pensée rationnelle, il entendit geindre au loin. Hornak se redressa pour mieux écouter.

 Il s’orienta au son grâce à ses Implants auditifs et découvrit une petite fille au sommet de la partie branlante d’un improbable édifice de brique qui avait dû être un haut bâtiment une demi heure auparavant. On ne distinguait que la tête et les épaules de l’enfant, couchée sur le flanc. Elle semblait être coincée au niveau de la partie inférieure de son corps. La gamine l’aperçut et cessa ses gémissement en ravalant sa morve, puis elle lui fit un pauvre petit signe des ses bras ballants dans le vide. A ce simple mouvement, pourtant si léger, plusieurs fragments se détachèrent du surplomb où elle gisait. L’enfant émit de longs piaillements de peur et lança un regard hébété dans la direction de ce qui avait été une des rues de ce vieux quartier de Chengdu. Hornak, un peu hagard lui aussi, jeta un coup d’œil soucieux vers la nuée.

 Le soleil ne s’invite pas toujours après un séisme. En l’occurrence, de gros nuages gris plomb semblaient sur le point de craquer pour venir déverser leurs cargaisons liquides sur les lieux de l’universel sinistre. Le Chimp de Mars décida qu’il ne pouvait pas laisser les pluies finir le brutal travail de sape de la puissance tectonique sans tenter quelque sauvetage de cet être encore vivant, accroché au rebord du néant. « Si je rameute des glabres, la pluie aura eu le temps de mettre à bas cette tour instable. » - Calcula t’il avant de s’élancer. En dix minutes, arrivé au niveau du surplomb de poutres et de briques suppliciées, il fit une halte et scanna rapidement la structure interne de l’amoncellement. De la hauteur à laquelle ils se trouvaient à présent tous les deux, il survivrait probablement à une chute, sauf ensevelissement ou projectile imprévisible, pas l’enfant ! L’entrelacs de détritus qui maintenaient prisonnières les jambes de la petite glabre ne semblait pas solidaire du mikado insensé qu’était devenu l’immeuble. Précautionneusement, Horn les lui dégagea en posant doucement les morceaux de charpente et de plâtre derrière lui, sans rien jeter en contrebas. L’enfant, qui semblait être plus âgée qu’il ne l’avait cru d’en bas, respirait par petites saccades entrecoupées de sanglots de douleur. Il la soutenait d’une main ferme passée sous sa nuque tout en déblayant de ses autres pattes - « Tes jambes ont l’air cassées. Accroches tes bras à mon cou. On redescend ! » - Lui chuchota t’il à l’oreille une fois que le dernier gros fragment de plâtras fut enlevé.

 

Il se laissait glisser le long d’un éboulis qui recouvrait les escaliers éventrés, la gamine sur son dos qu’il maintenait d’un bras, lorsqu’un craquement venu des cieux, nettement identifiable au milieu du silence ambiant, précéda les trombes d’eau redoutées. Le velu de Mars, épuisé, s’accorda une courte pause. Il étendit précautionneusement la petite victime contre ce qui restait d’une cloison. Il y’avait encore quatre étages avant de rejoindre le sol. Au dessus de leurs têtes s’ouvrait une large brèche dans le plafond de la cage d’escalier. Échancrure sombre, obscure, par où on apercevait un coin du ciel qui pissait allègrement sur cette terre meurtrie.

 

« Que faire une fois que le substrat sur lequel on marche, dressés à l’insouciance par une longue - et trompeuse, habitude, nous dit : attrapes-moi si tu peux ? » - Lui vint-il inutilement à l’esprit, pendant qu’il regardait, affolé, les grosses gouttes s’écraser dans la couche pulvérulente qui recouvrait tout autour d’eux. Des filets de ruissellement se formaient déjà. La dernière partie de la descente serait la plus difficile ! Hornak hésitait sur la conduite à tenir.

 Le Chimp cherchait désespérément des yeux un linge, ou une corde, qui seuls lui auraient permis d’assurer la gamine contre son dos ou son ventre pour la suite. En vain. A ce moment là, les étages survivants se mirent à frémir avec d’inquiétantes oscillations, sans doute alourdis déjà par le poids de l’eau. Tout l’immeuble grinçait. Il jeta à nouveau la petite humaine sur son dos en urgence sans tenir compte de ses hurlements perçants.

 « Dans ce quartier pentu, la plupart des constructions semblent avoir glissé vers le côté aval lors de la secousse…Décide-toi vite, Horn ! » - Hurlait son conscient de veille. Son scann radar trouva enfin la faille de charriage principale, juste sous leurs pieds, qui cisaillait déjà. Sur trois membres, il se rua vers le fond du couloir et sauta directement dans le vide une fois l’ouverture atteinte, il n’était plus temps de réfléchir. Les étages supérieurs fluèrent vers le versant de la colline derrière eux, s’écrasant dans un fracas qui recouvrit tout. Maintenue plaquée contre son dos par un bras robuste, la gamine avait cessé toute plainte. Il tombait, d’une dizaine de mètres, vers un inextricable fouillis hérissé de nombreuses tiges métalliques.

 « Je vole ! Pourvu que rien ne blesse la gamine. » - Eut-il le temps de penser avant de prendre contact avec du dur. Sa tête heurta violemment et il perdit connaissance.

 « Quelle drôle de journée ! » - Songea t’il avant de sombrer dans le noir.

 Hornak ne rouvrit les yeux et les oreilles que deux jours plus tard, le 26 mai 2371. Son corps avait merveilleusement amorti la réception de la jeune fille sur son dos. Meï, 12 ans, s’était traînée vers les secours après leur chute. Couverte d’une boue sale, elle ressemblait à une grosse limace lorsque enfin elle avait trouvé de l’aide après une heure passée à ramper sous la pluie à l’aide de ses seuls bras et muscles abdominaux vers ce qui restait de l’avenue du coin.

 « Il faut sauver celui qui m’a sauvée- il est blessé là-bas - C’est un grand singe habillé en bleu ! » - Répétait-elle à l’envi aux visages penchés vers elle qui la mettaient à l’abri en nettoyant du mieux qu’ils pouvaient la gangue de poussière détrempée qui lui enveloppait tout le bas du corps. A ses implorations si pressantes fut enfin donné une suite et deux habitants avaient fini par retrouver Horn avant qu’il ne se noie dans une des innombrables flaques qui à présent gonflaient un peu partout et criblaient les décombres de leur présence malfaisante.

 A la radio, relayée par des haut-parleurs dans les rues, les autorités parlaient de 280 000 morts. A peine réveillé, Hornak sentait un vent rafraîchissant lui caresser le visage, venu de la fenêtre grande ouverte. Une femme entra et l’aida à s’asseoir – une infirmière ? – elle apportait une gourde emplie d’un bouillon léger qu’elle lui tendit en lui faisant signe qu’il le boive.

 « Le docteur dit que vous ne devez pas manger pour l’instant. » - Signala t’elle avant de tourner une molette sur l’antique goutte à goutte lorsque qu’il eut terminé. L’afflux de neuroleptiques replongea Horn dans un profond sommeil. Juste à temps pour lui éviter de se rendre pleinement compte que ses jambes ne répondaient plus à aucune sollicitation neuro musculaire. Son second réveil n’allait avoir lieu que deux jours plus tard et Meï serait là.

 ………..28 mai 2371 – Hôpital provisoire des quartiers Est de Chengdu…………

 Cette fois-ci, l’esprit du Chimp Amélio nommé Hornak, venu de si loin sur Terra la douce, son esprit donc, un peu remis de sa commotion cérébrale, due au choc, put rêver…

 « Te revoilà ! Quand comprendras-tu donc enfin que tu n’as pas d’ailes ? » - La panthère clignait des yeux. Hornak et elle étaient installés sur une des branches maîtresses d’un arbre aux innombrables feuilles, charnues, et appétissantes. Adossé au tronc, à califourchon, Horn ressentait une étonnante joie à retrouver celle qui s’invitait à nouveau dans ses songes.

 « Et toi, panthera, as-tu des ailes ? » - Voulut-il savoir.

 « Non, sauf en rêve…je ne m’amuse toutefois jamais à tomber de onze mètres de haut avec un humain de 40 kilos sur le dos, mon cher Horn. Sais-tu seulement comment tu es parvenu sur cette fourche ?». Étirant son corps, le félin se mit à gratter l’écorce de ses griffes puis elle s’assit tranquillement sur son postérieur, en équilibre, à deux mètres de lui, semblant attendre.

 Hornak se vit brutalement, comme dans un mauvais flash-back, dédoublé de lui-même, et s’observant : La panthère l’empoignait et le soulevait par la peau du cou entre ses mâchoires puissantes, puis elle l’aidait à se hisser, à bras, le long du tronc du gros arbre en progre ssant des toutes ses griffes. Pour le déposer ensuite délicatement, à la manière dont les mères félines déposent un chaton, là où il était à présent assis, sur le départ d’une grosse branche à l’écorce lisse, le dos appuyé contre le fût végétal du tronc.

 « Mes jambes sont mortes ! » - S’écria t’il.

 « Tes jambes ne fonctionnent plus - serait plus exact, ami Chimp. » - Fit doucement la magnifique bête soyeuse et noire sur un ton chuintant de consolation murmurée.

 « Et la petite fille qui est tombée avec moi ? » - Demanda Horn, la voix en alarme.

 « Ses jambes à elle ne sont que brisées…elle est jeune. Les médecins disent que cela se remettra rapidement. Je le prédis également. Comment avance le Projet Chimp, Hornak ? »

 « C’est pour veiller à ce que votre nourriture ou plutôt vos proies préférées ne vous échappent pas trop que tu veux le savoir, Panthera ? » - Fit le Chimp, soudain hargneux.

 « Ts, Ts, Ts !....Tu te trompes sur mon compte, cher quadrumane vagabond stellaire. Je ne représente point ici ma propre espèce. D’autre part, nous autres, les panthères, nous n’avons pas de conscience collective - née de nos esprits, je ne suis que curieuse, vois-tu. De plus – faut-il te le rappeler ? : Mon nom n’est pas Bagheera. Ni le tien Rudyard Kipling, je crois,! - Pourquoi donc avoir choisi la Chine et les plateaux tibétains, Hornak ? »

 « Nous avons lancé deux projets d’établissements en Northamérica et Sudamérica aussi ! » - Répondit Horn de mauvais gré. Ses deux mains empoignaient fermement la branche coudée.  Il regardait, interdit et stupéfait, ses membres inférieurs pendre grotesquement de part et d’autre. Son humeur - à présent basculée, l’aurait facilement conduit à réduire en une purée très fine le félin noir en face de lui s’il en avait eu le moyen. La façon dont cette fichue panthère inquisitrice se léchait les babines ressemblait par trop à un sourire de satisfaction !

 « Dis-moi un peu…Peux-tu éprouver des sensations dans ton bassin, l’ami ? » - S’inquiéta pourtant sa vis-à-vis pelue, une fois réintégrée sa longue langue dans sa gueule.

 « On le  dirait, oui. Mes jambes, elles, sont complètement flasques. » - Répondit Horn, se rappelant qu’il rêvait et un peu honteux de sa réaction de violence dans ce contexte onirique.

 Le Félin noir réfléchit intensément, avant d’ajouter : « Alors,  sais-tu ? Je gage que les lésions dont tu souffriras seront sans doute rémissibles, à terme. Sans le recours à de lourdes prothèses. Mais je te laisse, Hornak. Je reviendrai plus tard. Il faut que nous discutions de tout cela…Quand tu seras tout à fait apaisé ! ». Elle se retourna sur la branche, offrant brièvement son râble noir à ses regards, et elle sauta à travers le feuillage, hors du rêve.

 Chengdu  -  Camp de regroupement provisoire n° 7    Place de la Grande Porte

 (Quartier Est – Sous-secteur des tentes médicalisées)

 Hornak écarta de son lit le premier plateau repas auquel il avait droit depuis l’accident. La toile qui servait de porte dans cette grande tente hôpital où il avait été transféré deux heures auparavant se souleva, laissant passage à un jeune homme en blouse aux traits tirés.

 « Bonjour monsieur Hornak ! Je suis le Dr Xi’an Loi, Quelqu’un demande avec insistance à vous voir. Il s’agit de l’enfant que vous avez arraché aux décombres, la jeune Meï. Acceptez-vous de la voir maintenant ? »

 « Est-elle au courant de mon état de santé ? ». Le toubib leva les sourcils d’un air étonné.

 « Et vous ? » - Demanda t’il en anglais.

 « Sans être intégralement paraplégique, ma moelle épinière ou un trauma neuro m’interdisent de mouvoir mes membres inférieurs. » - Résuma Hornak avant de boire à son gobelet d’eau.

 « Votre première impression diagnostique est la bonne – Murmura le toubib – C’est le bas de votre épine dorsale qui a été affectée par votre chute. Je viens seulement de recevoir les résultats de tous vos examens des quatre derniers jours….nous reparlerons de votre devenir après votre sieste, monsieur. Désirez-vous rencontrer tout de suite votre petite rescapée ? ».

 « Ses jambes sont très abîmées ? ». Malgré la fatigue, un large sourire fendit le visage hâve du médecin chinois.

 « Heureusement non – Dit-il - Elle est brochée, mais il n’y a pas de perte osseuse à redouter. »

 « Dites-lui d’entrer dans ce cas, merci Docteur Xi’an Loi. A tout à l’heure. »

 Le jeune toubib, l’expression de lassitude revenue sur sa face étroite, sortit un instant et tint ouvert le rideau d’entrée. Un fauteuil roulant franchit le seuil de son alvéole entoilée et Hornak put voir la mine réjouie de la jeune fille qui poussait elle-même sur les bandages de roues de son engin. Un type plutôt petit suivait le fauteuil roulant et salua poliment le Chimp avant de positionner la tablette et quelques bretzels avec du thé entre le lit et le fauteuil.

 « Enchanté Sir, je suis affecté à l’aide à cette jeune personne - que je vous remercie d’avoir sauvée, et de quelques autres éclopés dans cette annexe hospitalière de « campagne ». » - Dit le gars en mandarin. Il n’avait pas l’air des gens d’ici, il semblait plus japonais que chinois.

 « Comment vous appelez-vous, monsieur ? » - Demanda Horn dans cette même langue en se redressant un peu à l’aide de la potence au dessus de son lit.

 « Je m’appelle Yoshida, Sir… » - Le type eut comme un moment d’hésitation bizarre avant d’ajouter en anglais : « Je suis journaliste indépendant en temps normal. J’ai proposé mes services ici le surlendemain de la catastrophe. Je vous laisse. A plus tard, Meï. ». Et il ressortit.

 Meï servit adroitement deux tasses de thé et en tendit une à Hornak. Alors qu’ils portaient les récipients à leurs lèvres un sourd grondement monta des entrailles du sol. Sur la tablette, la théière en alu faisait des embardées de droite et de gauche, son couvercle tombé sur le sol d’asphalte de la Place de la grande Porte. Puis le tout cessa, après quelques secondes. « Il y’a eu beaucoup de répliques depuis que je suis tombé dans les pommes ? » - S’enquit Horn en avalant ce qu’il restait de thé dans sa tasse. Il avait utilisé une vieille expression, fort poétique, en chinois ancien, pour évoquer son évanouissement. Meï lui demanda même de la répéter.

 « Au moins cinq ! » - Dit Meï en ramassant le couvercle – « Comment cela se fait que vous utilisiez des tournures d’ancien chinois ?» - Fit-elle ensuite en fronçant les sourcils avec un pli vertical interrogatif au front.

 « Les Chimps de ma planète – Mars - utilisent le Chinois antique parfois…les autres préfèrent le Grec…antique lui aussi. C’est pour cela que je n’ai eu aucun mal à venir ici, parmi vous. »

 « Sans vous, je serais morte, Sir. Je vous remercie pour la vie. » - Dit Meï en joignant les mains devant son visage incliné. Horn leur resservit deux tasses de thé.

 « Qu’ont dit les docteurs pour tes jambes ? » - Demanda t-il.

 « Ils ont dit que je pourrai me lever avec des béquilles dans un mois et demi…et vous ? »

 « Je ne sais pas encore. Je dois voir le médecin ce soir. Je ne remarcherai sans doute pas avant des années de toutes façons, si je remarche un jour - je crois. ». Le Chimp regarda attentivement la gamine aux jambes plâtrées dans son fauteuil roulant. Elle n’avait pas - lui sembla t’il - cette expression altérée, ou atterrée, d’une enfant qui vient de perdre les siens.

 - « Que font tes parents, Meï ? Ils sont à Chengdu ? ».

 - « Non. Non. Ils sont à Wu Han - là où j’habite - Loin en aval du fleuve. Ils ont pu me téléphoner hier. J’étais chez mon oncle et ma tante, ici, en vacances. Ils sont morts, eux ! »

 - « C’est indiscret, je sais, mais qu’est-ce qu’ils font tes parents ? »

 - « Maman est institutrice et mon père travaille dans la carbochimie. »

 - « Ils sont Amélios ? »

 - « Un peu…maman a déjà 76 ans et elle est très belle. ». Horn sourit intérieurement : « un peu Amélio », voilà bien une tournure typiquement terrienne.

 « Quand retournes-tu à Wu Han, Meï ? » - Demanda t’il.

 « Je ne sais pas, Sir Hornak – les docteurs m’ont dit votre nom, ne leur en veuillez pas je les ai embêtés jusqu’à ce qu’ils me le disent, c’est moi – pour l’instant, je reste pas loin de vous. »

 « Je me sens fatigué Meï. Excuses-moi, je vais dormir un petit peu…Tu veux bien appeler l’infirmière pour moi en ressortant, s’il te plait ? » - Dit le Chimp.

 Opinant du bonnet, la gamine fit pivoter son fauteuil. «  À bientôt, Sir Hornak. ».

 « Tu peux m’appeler Horn tout court, Meï, c’est mon diminutif habituel. A plus tard.»

 Avant qu’il ait pu se retourner sur le flanc pour s’assoupir après que l’infirmière lui ait délivré un calmant, Horn entendit une voix étouffée, dans la langue de Shakespeare, de l’autre côté de la toile extérieure de la grande tente : « Sir Hornak ? Vous m’entendez ? C’est Yoshida ! ».

 - « C’est pour une interview exclusive, Yoshida ? Si c’est cela : la réponse est non ! »

 - « Justement pas ! Une collègue va venir et en demander une, d’interview, je l’ai appris incidemment. Je suis venu vous prévenir. » - Chuchotait la voix à travers le tissu ignifuge.

 - « Ah…Vous la connaissez cette journaliste ? » - Bailla t’il.

 - « Certainement, elle n’est pas blanc-bleu ! Écoutez, je sais que vous travaillez sur des projets Chimps…un peu particuliers et que vous aimez la discrétion. Cette personne, elle, travaille très souvent pour une officine gouvernementale de Shanghai où elle émarge régulièrement. »

 Horn se redressa sur un coude : « Elle voudrait instrumentaliser mon histoire pour me manipuler ensuite ? C’est ce que vous insinuez ? » - Demanda t’il.

 « Je n’en sais rien. Méfiez-vous, c’est tout ! Je dois aller rejoindre mes petits blessés. À une autre fois, Sir Hornak…Vous avez payé bien cher votre courage, et il m’ennuierait que l’on utilise ce genre de faits divers à faire pleurer sous les chaumes de riz à des fins politiques. »

 « Je ne vous donne pas tort sur ce point. A bientôt Sir Yoshida. » - Fit Horn, la voix pâteuse. Il retomba sur le lit et se retourna enfin. Cinq minutes plus tard, il dormait à poings fermés.

 

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  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
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