(fatigués)

Terra – 2163 – (suite)  - Les héros sont fatigués.

Fatou Jamsaya – Ouagadougou – Burkina Faso

 A leur descente du transport lourd de la Flotte Mauve de retour de Titan, Fatou avait invité Suong et Nam à venir passer quelques temps chez elle à Ouagadougou. Leur père et leur mère viendraient les y rejoindre, d’ici un ou deux mois. Après autant de temps passé dans l’espace et sur d’autres corps célestes, le choc du retour était sérieux. Fatou l’avait vécu quatre fois et elle connaissait suffisamment son propre pays, sa propre ville chéris, pour proposer cette solution aux deux jeunes Ranks 3.

 Elle avait trouvé un appartement mitoyen du sien pour loger les jeunes gens. La jeune fille et son frère allaient faire de longues promenades de plusieurs jours en brousse, enfin dans ce qu’il restait de brousse épargnée par l’avancée des sables dont la pression sur le pays ne se relâchait guère. Les Burkinabés n’avaient plus de problème d’alimentation en eau potable de consommation. En grande partie grâce à leur travail à eux, les Mauves, aux confins du système solaire. Le pays restait pauvre selon les standards d’autres nations, ceci dit la vie quotidienne de ses habitants était d’une qualité meilleure que dans bien des concentrations urbaines modernes. Les quatre principales villes offraient des possibilités de logements spacieux, des quartiers ombragés, et une vie sociale et culturelle animée sans être excessive.

 Fatou reçu chez elle Pham arrivée d’Asie. Les deux femmes s’entendirent aussitôt comme deux commères et la vietnamienne loua bientôt un hangar pour y installer un atelier où se bousculèrent très vite de nombreux citadins et citadines de tous âges, attirés par la perspective d’un lieu où s’exprimer librement aux côté d’une étrangère qui retrouvait toute son énergie et sa vigueur. Les matériaux et les architectures du cru, anciennes et modernes passionnaient la sculpteuse et architecte. Lorsque Kim arriva le mois suivant, il entreprit immédiatement une cours assidue de sa propre épouse, revenue à la vie comme un désert après un orage.

 Pham le laissa engager son manège, puis après quelques semaines règlementaires de courtoisies, lui sauta dessus et le laissa pantois et épuisé pour quelques jours histoire de lui rappeler qui était la patronne et qui était le patron dans leur couple. C'est-à-dire tous les deux. Leurs enfants profitèrent de cette occasion inespérée pour retourner deux mois à Haiphong afin d’y réveiller l’appartement Nguyen délaissé. Fatou s’habituait à peine à toute cette activité autour d’elle lorsque l’appel de Juan Muro lui rappela les lourdes réalités de l’histoire en marche.

Takashi avait demandé à l’ex Major de reprendre contact avec elle. Il avait appris que Shaarka irait passer quelques jours avec les deux jeunes gens au Vietnam. Il pensait que la générale Mukherjee n’aurait pas l’idée de chercher aux côtés de sa meilleure amie la trace de Willario et la sienne. Ils arrivèrent à Ouagadougou, lui par avion, et Willario par train depuis le Mali voisin. Ils restèrent cinq semaines ensemble, ensuite le duo se sépara et Will retourna en zone grise chez Father. Takashi, lui, reprit le chemin de son Dojo. Où l’attendaient Zdenka et Yacine. Rappelons que notre histoire ne se déroule plus dans un univers aliéné par la course au temps à tout prix. Les voyages de toutes ces personnes n’utilisaient plus l’avion à tous bouts de champ. Trains, dirigeables et autocars à hydrogène avaient reconquis le transport de passagers.

 De l’avis de tous, après en avoir collégialement débattu entre eux, Ser Shaarka Mukherjee était en train de péter un câble dans les grandes largeurs. Et tous se déclarèrent requis pour l’aider à surmonter l’épreuve que constituait pour elle son éviction provisoire des prises de décisions et de responsabilités durant ce passage difficile.

 « Moi je ne peux absolument pas y aller – impossible - elle m’a à moitié rendue folle en m’annonçant mes contenus de mission en 2130 – Rappela Zdenka Placek à Magda – vas la voir, toi. Elle t’écoutera peut-être, au nom du passé. »

 Magdalena Jagelska, une fois de plus, se dévoua et alla jouer les utilités. La Commandante Lysistratéenne détestait l’apesanteur, donc, elle fonça vers Haiphong en vedette rapide.

 « Il faut réintégrer Takashi, Shaarka ! Même s’il reste sur le côté et se contente de son dojo et de missions ocasionnelles. What you Did - Quite not fair ! » Dit-elle, dès la porte de l’appartement Nguyen franchie. Un nouveau chat pêcheur, acheté le mois précédent par Suong, paressait sur la vigne du patio à nouveau inondé de clarté solaire.

 Shaarka n’avait plus la force de riposter à cette entreprise collective diffuse et bienveillante. Elle n’était pas assez ossifiée dans son breakdown pour ne pas sentir l’inquiétude de ses amis.

 « Okay, j’ai merdé Magda ! Je ferai le nécessaire. Merci d’être venue. ». - Dit la générale.

 « Vous savez Shaarka, vous devriez lever le pied, un peu ! » Lui dit la druidesse. Magda ajouta pour son information, autant que pour finir de s’acquitter complètement de sa tâche : « Le Professeur Willario Somson est avec Zdenka, Yacine, Takashi et Ondine à Kanazawa. Ils vérifient scrupuleusement le contenu de son texte… avec son plein assentiment. »

 Shaarka regarda longuement Magda Jagelska.

 « Est-ce que Trajan va bien, Magda ? » - Lui demanda t’elle soudain, battant des paupières.

 « Trajan en a un peu marre – et tu connais suffisamment Trajan pour comprendre que cet « un peu » signifie en réalité qu’il en a profondément assez de ce qu’ils appellent tous vos manœuvres épuisantes à toi et à Zdenka. En dehors de ça, il va bien, je te remercie. Il sera flatté de ta question. »

 « Je suis une si affreuse bonne femme que cela, ma chère Sœur druidesse ? »

 « Parfois, comme nous toutes…Il est inquiet pour Fiona et Vikrash aussi. »

 « Que se passe t’il avec nos deux chers anciens clandestins ? »

 « Fiona est très malade Shaarka, un cancer des os. »

 « Shit ! »

 « Ils se sont posés dans l’isba de Finlande pour le moment, mais Fiona a exprimé le désir de retourner mourir là où elle est née, en Californie. Vikrash a promis. »

 

« J’en ai le cœur retourné, déchiré. C’est une page qui se tourne, Magda. Notre temps à tous est compté, les générations montantes vont devoir être mises au parfum. »

 « Incorrigible. Tu es véritablement incorrigible, Shaarka Mukherjee ! » – cria, exaspérée, la lithuanienne en levant les deux bras vers le plafond – « Mais quel parfum ?! Nom de dieu !? »

 Shaarka fit un geste d’abdication du poignet, et jeta enfin l’éponge. - « Tu as raison. Ils se sont battus, ils se sont lancé plus loin que nous n’étions jamais allé…même en rêve. Je vais aller dormir un peu, je crois. Ça vaudra mieux.»

 Suong se planta devant elles avec le gros félin dans les bras. – « C’est la chose la plus sensée que tu aies dite depuis que tu es arrivée chez nous, Tante Shaarka. » - Dit-elle en souriant de toutes ses dents avant de se diriger vers la cuisine pour donner à manger au petit fauve.

 …………………………Au même moment à Tanazawa………………………………

 Dans le jardin du Dojo des Onomoro, Willario Somson s’agitait comme un moulin à vent - « Je dois retourner chez nous sur Mars, la tâche que je m’étais fixée est échue. Je finirai la rédaction sur le Véga et je vous enverrais les épreuves. Vous devriez songer à venir bientôt vous aussi mademoiselle la Protectrice, si j’ose me permettre. ». Ajouta t’il en direction de Zdenka. L’ex Protectrice de la communauté verte aidait Ondine Onomoro à ranger le matériel de la séance de Viet Vo Dao pour adolescents qui venait d’avoir lieu. Elle s’approcha de Willario qui s’employait à réunir ses maigres bagages dans des valises trop petites.

 Zdenka fronça les sourcils - « Revenir vous voulez dire ? »

 « Non, non : venir ! Vous n’êtes jamais partie de Mars pour nous, Colonelle Placek. Votre présence sur Terra était nécessaire, requise, cependant, en quelque manière, vous êtes toujours là-bas. Il ne s’agit pas d’un retour mais d’une… seconde venue. »

 « C’est la fréquentation des non mammifères qui vous a apprit à raisonner de la sorte, Will ? »

 « Ah !! Un jour, je vous entrouvrirais peut-être un peu les portes d’accès à ma morphologie mentale…Mais pas aujourd’hui, désolé chère mademoiselle Placek. Il y’a urgence, voilà tout. Je retourne faire mes bagages chez Father et prendre congé de sa charmante famille.»

 « Takashi et Ondine vous acceptez d’escorter Willario en zone grise et le ramener sain et sauf à bord du Véga ? » Leur demanda Zdenka, épuisée par ce sémaphore ambulant de Somson.

 ………………………………………

 « Les mémoires d’un sale Vert », bientôt augmentées d’un second opuscule modestement intitulé « Moi : le sale Vert » allaient paraître un an plus tard, en 2164, simultanément sur Terra et sur le reste de l’espace humanisé. Le second volume abordait la question des enfants modifiés découverts dans les Fonds des Terriers verts.  La vieille Fiona eut encore le temps de lire les deux ouvrages. – « Ce type est impayable ! » - Disait-elle à Vikrash avant de mourir à San Francisco, à la fin de l’année 2164. Ne pouvant se résoudre à sa disparition, le vieux Vikrash se jeta dans les eaux glacées de la baie, du haut de l’antique pont du Golden Gate, la semaine suivante. Shaarka n’avait pas tout à fait tort : une page était tournée.