(isba)
Chapitre 6
Terra - La tourbière – Finlande. 2151 – mois d’Août.
Trajan et Magda allèrent passer cet été 2151 dans l’isba de Finlande. Vikrash et Fiona leur rendirent visite peu après, au début Août. La nouvelle les atteignit au soir du deuxième jour.
« Oui, il y’a 40 ans, c’est nous qui avons vendu les protocoles de contrôle actifs nano 5/6 aux intégrationnistes. » Disait Vikrash, assis sur un banc devant la maisonnette de bois à un étage. Il débattait depuis une heure avec Magda.
Fiona et Trajan étaient allées en cueillette aux abords de la tourbière. Ainsi que les deux anciens le leur avait appris - à Trajan il y’avait bien des années de cela et, la veille, à Magda, Fiona et Vikrash étaient non pas des Amélios Sauvages précoces, mais bel et bien des Ranks 1 précoces. Ils avaient miraculeusement échappé à leur assassinat par des tueurs à Ciudad Juarez, en 2045. L’immeuble dans lequel ils tenaient une réunion clandestine avait été réduit en poussière. Tout le monde les croyait morts depuis plus de cent ans. Un contretemps imprévu les avait tenus éloignés du lieu de l’explosion. Plutôt que de se faire connaître, ils avaient choisi d’utiliser les circonstances pour continuer leurs parcours en indépendants, incognito. Vikrash était spécialiste en écologie et Fiona ingénieur experte en nanotechs.
Ils constituèrent patiemment un petit noyau de chercheurs sous couvert de monter une troupe itinérante. Ils étaient même à présent sponsorisés par la délégation à la Culture et à l’enfance de La Charte. Leur entreprise pédagogique et de collecte artistique sur le globe ainsi que leurs spectacles étaient fort prisés. En tant que baladins ils se déplaçaient librement en ramassant et réorientant les résultats de leurs travaux de modification clandestine de biotopes. La tourbière, ici même, était leur tout premier site d’expérimentations.
« Voyez-vous, Magda, l’approche des experts de la Flotte de Jupiter était avant tout prédatrice. Ils auraient découvert les actifs nanos 6…un peu plus tôt, un peu plus tard. Notre approche à nous est beaucoup plus respectueuse. »
« 17 de mes compagnes en sont mortes. »
« Et je le déplore. C’était des militaires, elles assumaient sans doute ce risque. »
« Peut-être… Comment imaginez vous la suite de toute cette histoire, Vikrash ? »
« Notre expérience en matière de biotopes assistés par nanos permet de constituer des climax viables sur Mars. Certains de nos jeunes chercheurs sont là bas et ils y veillent. »
« Ce n’est pas exactement cela que j’avais en tête. » précisa Magda en guettant le sentier où les ombres s’allongeaient.
Fiona et Trajan revenaient avec les doigts tâchés par le suc des baies dont ils avaient empli quatre paniers. Vikrash continuait avec passion.
« Vous savez Magda, les gens que nous avons placés sur Mars nous ont fait parvenir des récits nombreux et variés sur la colonie verte. Certains d’entre eux partageaient la vie de notre troupe depuis longtemps. La collecte de renseignements culturels, sociaux et artistiques, ils connaissent ! Eh bien, savez-vous : c’est fort intéressant. Nous pensons, Fiona et moi, que si la colonie ne doit pas trop grossir bien sûr, afin de ne pas peser sur la Terre, ce qui est en marche là bas semble, somme toute - du point de vue humain - positif. »
« Trajan n’a pas des souvenirs aussi agréables de Mars, je crois… » Remarqua Magda.
Vikrash se mit à rire doucement, il posa son calot pourpre sur la table de bois brut, puis demanda avec une moue chaleureuse à la commandante ses lèvres étirées en largeur :
« Chère Magda. Citez moi trois choses conceptuellement claires et définies que Trajan déclarerait spontanément trouver agréables à son goût…en dehors de vous, naturellement.»
Magda regarda de loin Trajan qui se lavait soigneusement les mains au dessus de l’évier extérieur. Il était comme à son habitude terriblement concentré sur ce qu’il faisait.
« Bon d’accord, vous m’avez piégée – admit-elle - Trajan est souvent bougon, prudent, et il est peu enclin aux enthousiasmes faciles… C’est ce qui fait une grande part de son charme, à mes yeux en tous cas. »
« Aux nôtres aussi…soyez en sûre. Plus simplement, votre compagnon a eu à affronter l’essentiel des tragédies martiennes, puis il en est revenu ventre à terre, c’est le cas de le dire. Les développements positifs…il ne les a pas vus. »
Leurs deux partenaires respectifs revinrent s’asseoir autour de la table en se vantant de leur cueillette. Ils devisèrent encore une demi-heure tout en triant les baies. En soirée, Fiona qui aidait à préparer le ragoût de renne aux airelles, eut une Comm longue distance en crypté. Elle s’isola dans le cellier et revint avec un visage assombri parmi eux.
Vikrash qui pratiquait Fiona depuis cent ans savait déjà « quoi » et il attendait pour savoir « qui ». Jon, averti par Shaarka la semaine précédente avait jugé bon de prévenir à son tour Vikrash et Fiona, dont il était l’un des rares à savoir qui ils avaient été.
Lorsque Xu, Fiona et Vikrash en 2045, avaient monté la mission qui allait aux yeux de tous coûter la vie du jeune couple, Jon était présent. Ils commençaient, un peu trop tôt, à fédérer les Ranks en vue d’une tentative d’élaborer un mouvement transnational. L’affaire avait vilainement tourné et tout le monde avait cru en la réalité du décès de Vikrash et de Fiona.
Jon avait été recontacté par les deux ressuscités vers 2080 afin qu’il aide leur troupe à accéder à un statut officiel dans l’aile culturelle de la Charte. Le mathématicien indo-malais n’avait avoué leur existence et donné de leurs nouvelles à Xu que cinq ans auparavant. Les Ranks « zéro » se comptaient entre eux avec constance, sauf en cas de divergences trop profondes. La vieille américaine aux yeux bleus pâle d’exil leva ses mains tavelées, dos vers eux et les rabaissa en un geste infiniment las.
« J’ai eu un coup de fil d’une de nos connaissances en Asie.- Dit-elle - Un de nos amis commun apparemment a rejoint ses ancêtres. Huan Xu est mort. La nouvelle ne sera officialisée que demain.»
Ils passèrent de longues heures après avoir fait un sort au ragoût à évoquer la mémoire de Xu. Magda qui était la seule à ne pas l’avoir connu personnellement monta se coucher au bout d’une heure. Au moment où elle allait enfin s’endormir, son braç-com sur la table de chevet se mit à luire en mode crypté, celui que seuls ses implants d’aide visuelle pouvaient en principe déceler. Elle se dressa sur son céans et un peu surprise attrapa l’objet. Une fois la liaison établie, elle lu le message dans l’obscurité de la chambre.
- Magda, c’est Zdenka. Je viens d’arriver à Haïnan. Viens-tu aussi à l’enterrement de Xu ? -
Elle sourit – Toujours aussi laconique cette fille-là - puis tapa pour une réponse en crypté.
- Oui. Signé : Magda. – à dans trois jours. Je t’aime. -
Et, gonflée de plénitude telle un ballon d’air chaud, elle s’endormit comme un bébé en rêvant aux étoiles dans la nuit d’hiver, bien qu’on soit en plein été. Trajan, plus tard dans la nuit, vint lui aussi se coucher à ses côtés. Heureux de la sentir dormir si tranquille, il en fit tout autant.
Le lendemain matin, Magda se réveilla avant les autres et après avoir avalé une assiette du ragoût de la veille, s’en fut faire sa marche matinale. Lorsqu’elle revint au bout de trois quarts d’heure, les trois noctambules étaient attablés devant une assiette, chacun dans un rayon de soleil différent. Elle salua ses invités, grimpa chercher son braç-com puis redescendit l’escalier en dévalant. Elle alla embrasser Trajan qui avait posé son assiette vide sur le sol et lui montra le message de Zdenka.
« On y va. » Dit-il après un court instant passé à observer l’horizon fumant de la tourbière matinale.
Fiona et Vikrash nettoyaient la vaisselle à l’évier extérieur. Ils allèrent les rejoindre et tandis qu’ils se saisissaient des deux assiettes et de leurs couverts, Magda leur annonça leur intention de se rendre aux funérailles du Général en leur nom à tous. Vikrash et Fiona finirent la vaisselle sans mot dire, puis s’éloignèrent un petit quart d’heure histoire de se mettre d’accord.
Ils revinrent et demandèrent à leurs hôtes de leur permettre de les accompagner jusqu’au Ferry de Turku. Trajan et Magda acceptèrent volontiers. Pendant qu’ils s’occupaient de fermer la maison, Vikrash alla chercher une de ses sacoches dans leur caravane automobile de modernes nomades. Fiona et lui en sortirent avec précaution deux petits ballots d’étoffe qu’ils entreprirent de dérouler sur la table extérieure. Fiona déposa deux poignées de fleurs et de feuilles séchées face à elle qu’elle recouvrit après les avoir mélangées sans les froisser. Lui, déposa trois petits flacons de poudre colorée sur les planches rabotées du plateau qu’il mélangea soigneusement dans un pot en grès de la taille d’un poing avec une brindille ramassée non loin.
Quand Trajan et Magda ressortirent avec chacun leur bagage, ils leur confièrent lui les poudres minérales, en fermant le pot par un bouchon en bois blanc et elle les fleurs séchées, remisées à nouveau dans leur enveloppe de tissu. Ils aidèrent ensuite à fermer les volets et tous les quatre montèrent dans le long véhicule des anciens Ranks reconvertis en saltimbanques. Deux heures plus tard, ils déposaient Trajan et Magda au môle d’embarquement de Turku. Le Ferry était à quai.
Le watcher Rank et la Lysistratéenne promirent : ils éparpilleraient les herbes confiées par Fiona et verseraient les poudres de roches données par Vikrash sur la tombe de Xu. Ainsi, ils honoreraient tous sa mémoire sans avoir à griller inopinément une couverture plus que centenaire. Ce que Xu aurait détesté plus que tout, à n’en pas douter.
Vikrash et Fiona les saluèrent de la main lorsqu’ils s’éloignèrent vers l’embarcadère, se retournèrent, et disparurent vers les ruelles encore brumeuses du port.
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