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Solar Ranks
22 décembre 2009

(Father et Ondine)

 

La terre (fin des années vingt.)

 

 

2128  -  Terra  -  Quelque part en Chine du sud.

 Lors de leur fuite de la Base de nano Expérimentations Active RS 3 du Cambodge, les deux Majors intégrationnistes, Juan Muro et Takashi Onomoro avaient couru loin et longtemps. Au début pour échapper à leurs poursuivantes. Seuls trois sur les sept évadés avaient pu sauver leur peau. Ensuite, surtout, pour se fondre dans la nature. Une fois qu’ils eurent transmis leur rapport sur les évènements à leurs officiers traitants, les deux intégratios déguerpirent aussi vite qu’ils le purent, car il n’y avait plus rien à espérer de leurs anciens patrons, sauf peut-être une pièce avec quatre murs. Muro était peut-être bien intransigeant, il n’était pas fou, ni idiot. Ils se séparèrent à partir de là. Onomoro resta quelques temps en Chine du sud, il y connaissait quelques personnes sûres et déconnectées de leurs activités de Ranks dans la Flotte Jovienne. Muro lui avait dit qu’il allait tenter sa chance, lui, en Sudamérica.

 Takashi Onomro venait justement de parler à Juan Muro, de l’autre coté du pacifique. Les nouvelles étaient mauvaises. Il avait pris le risque de contacter l’ancien Major qui se planquait en Amérique lusophone. Ils s’étaient d’abord retrouvés par le biais du Voile, ce nouvel avatar de l’antique Web dont la Toile n’avait pas pu résister aux craquages du siècle dernier. Le contrôle de l’espace informationnel avait tué le contrôle de l’espace informationnel. Un nouvel acteur était né : Le Voile Mondial.

 Une fois connectés, le japonais n’avait pas reconnu Juan. Les moyens d’identifier un ami de longue date, même à l’apparence modifiée, providentiellement, existent. Lui-même d’ailleurs ne songeait plus à son ancienne apparence que rarement. Il s’était vite accoutumé à ce nez plus busqué que l’original et aux nouveaux contours que les chirurgiens Biotechs chinois avaient réalisés avec son visage 18 mois auparavant.

 « La voix, les yeux et les empreintes génétiques. » Avaient dit ses amis toubibs chinois. Les trois portes d’entrées de l’identification moderne. Ils avaient procédé à de légères modifications sur les trois. Les Biotechs commençaient à passer de l’ère de l’Amélioration à celle de la Modification, lentement, pas à pas, mais sûrement. Le tutoiement eut un petit peu de mal à s’instaurer entre leurs deux visages inconnus. Il leur fallait également éviter noms, allusions directes, etc. Un ensemble d’ordinateurs Vaev puissant sait écouter tout seul ! Et si le Voile était moins surveillé que le réseau Vaev proprement dit, il n’était pas sûr à ce point.

 Onomoro - « Avez-vous une idée l’ami, même vague, de la situation dans laquelle nous sommes ? »

 Muro - « Oui, nous sommes des parias. Je crois que c’est le seul terme qui convienne, non ?»

 Onomoro - « Exact…T’es tu éloigné suffisamment de nos anciens confrères ? »

 Les procès de la haute cour de la Charte les concernant, en cette année 2128, venaient de se terminer et les verdicts avaient été rendus publics, relayés par l’ensemble de la médiasphère, leurs anciens visages s’étalaient partout. Les primes locales pour leur capture, sur la planète, montaient vertigineusement.

 Muro - « Affirmatif.  Ils auraient bien voulu garder le fil à la patte du caméléon, mais je les ai séchés et semés. »

 « On a fait des progrès depuis le Cambodge hein ?»

 « Obligés ! Tu ne regrettes pas trop ton seppuku ?»

 L’ex Major Onomoro San sourit, et Muro, malgré les modifications morphologiques reconnut cette fois à 100% l’expression de son interlocuteur.

 Onomoro - « La vie est une très belle chance, non ? Nous étions des soldats. ».- Takashi eut encore une lueur de malice dans l’oeil -  « Et toi Juanito, tu ne regrettes pas trop le confort de ton intransigeance passée ? »

 Muro - « Non, pas du tout. Mes yeux sont au contraire mieux ouverts maintenant. Presque trop parfois. Comment va-t-on faire Taka ? »

 Onomoro - « J’ai des amis qui m’orientent sur des filières pour pouvoir retourner chez moi. »

 Juan - « Ce n’est pas un trop gros risque ? »

 Takashi - « Je ne sais pas comment vous, vous vous débrouillez avec votre pays natal, mais nous, au Japon, quand on a le homesick’Blues, le mal du pays….. Le pays m’est égal en fait, c’est une question de culture. Je prends mon temps. »

 Juan - « Je crois que je peux comprendre ça. »

 Takashi - « Ecoutes. Si nous avons réussi à leur glisser entre les doigts jusqu’ici, il n’y a pas de raison pour que ça coince. Les Caciques joviens ont autre chose à faire que de nous alpaguer. Ils vont essayer naturellement ! Mais leur seul réel désir est de continuer à pouvoir garder la haute main sur la partie Jovienne des tractations avec la Charte. »

 Juan - « Toujours adepte du Zen et réaliste à ce que je vois ! Je vais aller tenter ma chance en zone amazonienne je crois, quant à moi. »

 Takashi – « Toujours. Bonne chance Juan. »

 Juan – « Bonne chance à toi mon ami. »

 Takashi éteignit son unité Vaev. Il alla s’allonger sur sa natte, les mains sous la tête.

 Il allait mettre trois ans, en réalité, à rallier les îles japonaises avec un niveau de discrétion et de furtivité suffisants pour pouvoir s’y installer sans regarder derrière son dos trois fois par semaine. Après quelques contretemps. Il se laissa aller à rêvasser un peu, la tête au creux des mains: Demain, sa semaine de travail serait finie.

 « J’ai bien envie de retourner voir Father en zone grise la semaine prochaine. » Se dit-il.

 Non loin du chef-lieu chinois où il avait planté ses pénates, se trouvait une de ces fameuses zones grises d’où l’Amélio est exclue. Onomoro y était allé à plusieurs reprises : une région collinaire et escarpée, avec un plateau énorme en son centre. Des membres de quelques peuples allochtones et de nombreux EVO s’y partageaient l’espace. Takashi n’avait plus que quelques implants insignifiants à présent et l’Amélio prolongation n’est pas inscrite sur votre faciès. En faisant un tout petit peu attention, il était tout à fait possible de s’y rendre.

 ……………………………………………………..

 La femme avait jaillit comme un serpent venimeux, le projetant sur le revêtement caillouteux du chemin. Seuls ses réflexes de réception au sol lui évitèrent de se faire vraiment mal. Takashi se releva pour se retrouver nez à nez avec la bouche d’un revolver très réel. La femme, cran relevé, braquait son encéphale à trois pas, l’autre bras en parade avec une aisance qui trahissait son militaire à des kilomètres. Elle lui enjoignit de redescendre au sol assis et de mettre ses mains sur la nuque, ce qu’il fit.

 « Qu’est-ce qu’il y’a ? La promenade est un crime grave par ici ? »

 « Je vous reconnais ! » Dit-elle en japonais avec un accent gaijin à couper au couteau.

 Onomoro, sans se relever, s’installa un peu mieux sur les bords d’herbes sèches du chemin. La femme le laissa faire et, voyant qu’il semblait ne pas vouloir bouger davantage, elle ajouta :

 « Il y’a quelque chose dans les démarches que l’on ne peut pas changer. »

 Il la regarda bouche cousue. Un ange, ou peut-être plutôt un dragon céleste de chine du sud passa, silencieux, entre les nuages au-dessus d’eux. La femme reprit.

 « Vous vous souvenez de votre copain, au village, à la frontière Laotienne ? »

 Takashi décida que se taire ne menait à rien, sauf au pire. La malchance, c’est comme ça.

 « Je me rappelle bien. Il vous retardait. Qu’est-il devenu ? »

 « Il est mort lui aussi. Deux heures après, à l’antenne de secours.» Dit-elle sans s’émouvoir.

 La femme s’assit sur une pierre à l’autre bord du sentier, face à lui. Onomoro ne bougea pas. Ils avaient dû faire une halte, deux ans auparavant et étaient restés dans un minuscule village entre la Thaïlande et le Laos. Des poursuivantes Lysistratéennes l’avait investi. Seuls juan et lui avec une des Ranks intégratios avaient pu fuir. Les deux autres leur avait taillé un chemin à coups de gun, Takashi en avait vu un se faire descendre. Pas de nouvelles.

 « Où alliez comme ça, le nez au vent ? Chez les gris ?» Lui demanda le cobra d’aujourd’hui.

 « Dans cette direction, oui. – Répondit-il avec un ton irrité – Je ne sais pas ce que sont ce que vous appelez les gris, moi je dis les habitants et ça va bien. »

 « Pour les mains aussi ça va bien. Relachez. Mais restez calme. »

 Takashi décroisa les doigts et regarda le chemin à droite et à gauche. Personne.

 « Vous m’observiez depuis longtemps ? » Demanda t’il à la femme.

 « Quelques centaines de mètres, mais je vous ai repéré le mois dernier. »

 « Vous êtes patiente. »

 « Les druidesses sont patientes. En principe.»

 La femme remit son arme dans la poche intérieure de sa veste.

 « Comment vous appelez-vous maintenant ? Les…habitants n’ont pas su me le dire. » L’interrogea t’elle.

 « Hiro. »

 « Je vous propose une chose Hiro – dit la Lysistrate – nous nous retrouvons une prochaine fois ici même. – Takashi écoutait, elle précisa un peu – Vous me dites un jour, une heure et je ne vous dénonce pas. Compris ? »

 L’ex Major Onomoro posa ses mains sur ses cuisses et étendit le dos, il lui dit :

 « La semaine prochaine, c’est assez près pour vous ? » Il épousta la poussière sur ses cheveux.

 « Quel jour ? »

 « Comme aujourd’hui, même heure. »

 La femme se leva et s’éloigna dans la forêt. Takashi/Hiro se releva et il reprit sa marche jusqu’à la route asphaltée qui menait à la zone grise. Father l’y attendait. Ils montèrent dans l’autocar qui arrivait et rallièrent doucement Hoaxuang la deuxième ville de la zone grise.

 Ces zones d’exclusion géraient leur frontière de diverses manières. Si les Lysistrates empêchaient les gens d’entrer, le plus souvent « les gris », eux, vous dissuadaient d’y venir. Ici, le système reposait sur un glacis de franges territoriales sans routes de liaison. Takashi avait marché sur 6 km avant de rejoindre cette petite route qui s’arrêtait en pleine campagne. Les contrevenants à l’interdiction de pénétrer sans y être invités dans les zones étaient reconduits après avoir fait l’objet d’une plainte en bonne et due forme auprès des autorités et avertis que s’ils s’obstinaient, les plaintes, s’amoncelant, finiraient par s’écrouler sur leur tête. En clair : transmises à l’extérieur. La communauté humaine terrestre ne rigolait pas avec les relations Amélios/EVO. Si votre mauvaise foi était patente ou bien si vous faisiez du grabuge en zone grise, ça pouvait aller jusqu’à retomber sur les reins de vos proches par le truchement d’amendes assez rédhibitoires, au pro rata des revenus de votre foyer.

 Father, un type d’une trentaine d’année, venait d’une famille mixte, européenne et hmong khmère. Il avait lui-même décidé de son surnom. A vingt-et-un ans il avait déjà trois enfants et devant les moqueries incessantes dont il avait fait l’objet, même dans la zone, il avait pris les devants. Les « gris » avaient la réputation à l’extérieur d’être très prolifiques. Les plaisanteries racistes des autres terrestres avaient trouvées là un nouveau terrain d’expression : « Ces imbéciles de Gris, qui doivent pondre des enfants comme des lapins… ». C’était parfaitement inexact en plus que d’être insultant et d’une rare bêtise. Father toutefois, devant les regards amusés ou chargés de sous-entendus de ses voisins et de ses collègues, avait ramassé le torchon. Il revendiquait avec fierté ses trois gosses, sa femme aimée et son surnom.

 « Qu’est-ce que je suis content que tu sois là, Hiro ! » Dit-il.

 Malgré ses 65 ans d’âge, Takashi/Hiro ne paraissait guère plus vieux que Father. Il se détendit. « Father saura quoi faire. Je suis son invité.» se dit-il. Le « gris » était au courant de son âge réel, ce n’était pas une zone fascisante, ici. L’Amélio n’était pas la bienvenue et on ne désirait pas d’installation durable, de passage elle était tolérée. Quant à l’ami de Takashi, qu’il avait rencontré il y’a 6 mois, il lui avait carrément sauté dessus en s’apercevant que « Hiro » était Amélio. L’Amélio prolong le fascinait comme le serpent hypnotise sa proie. La région concernée, celle où habitait Father, était grande comme ce que les français nommaient autrefois départements. A trois des points cardinaux, des routes y menaient, avec des postes de contrôle doubles. Douanier gris était une position sociale…reposante. L’essentiel du trafic consistait en véhicules de marchandises et de transports en commun pour les habitants qui travaillaient à l’extérieur ou s’y déplaçaient. Dans les deux villes importantes, assez peuplées, il y’avait des liaisons aériennes, courtes et moyennes distances.

 « Alors tu es encore passé par le chemin des écoliers hein ? Tu es plein de poussière.» Dit Father après qu’ils eurent montré leurs Pass à la barrière interne.

 En fait, les zones grises protégeaient leurs habitants autant de l’emprise exagérée du système de libre-échange, ainsi que de celle de la course aux technologies inutiles qu’elle les garantissaient sur le reste, c'est-à-dire sur le refus de l’Amélio. Pas partout, ni de façon très serrée, mais tout de même.

 « Je suis tombé, ce n’est rien. – dit Hiro – Tu as ta journée ? »

 « J’ai jusqu’à ce soir et demain matin aussi si tu veux rester. Les gosses seront à l’école et je ne travaille pas. » – Dit Father en écartant les mains. Il désigna l’espace environnant par les vitres du car : « Belle vie à Evistan, n’est-ce pas ?». Il était temps, la campagne disparut. Ils arrivaient en vue de la banlieue de Hoaxuang, qui n’avait rien d’une merveille urbanistique.

 Evistan était le nom qu’utilisaient les « Gris » pour désigner l’ensemble des zones d’exclusion. « Espérance de Vie Ordinaire ? Espérance de Vie Améliorée ? C’est pas notre histoire. – disaient-ils.- Nous n’achetons pas ! Nous on est pour l’ EV : l’Espérance de Vie tout court. ». D’où le nom, EV = Ev – istan. Dans les faits, la moitié des zones, pratiquaient le recours à des Biotechnologies de prolongation soft. Ainsi qu’une médecine d’excellente qualité. On y vivait en tous cas mieux et plus longtemps en moyenne que dans les quartiers pauvres du reste de la Terre lorsque l’on était EVO. C’était d’ailleurs l’un des problèmes mondiaux du moment.

 Chez Father régnait un joyeux bordel, sauf dans les chambres qui étaient méticuleusement tenues par leurs occupants, y compris par les plus jeunes. En dehors de Father et de « Hiro », il y’avait trois autres habitants invités dans le salon. Takashi les salua aimablement, il en connaissait déjà deux.

 « Tu as vu aux News cette histoire de zone grise en Australie, Father ? »

 « Ouiii ! »

« Et vous, Hiro ? »

 « Aussi, oui. »

 « Ces dingos d’Australiens ! »

 Les habitants d’une zone grise d’Australie s’en étaient pris à des Amélios Lysistrates venues chez eux voir des amis. Apparemment, les échanges verbaux, plus que les coups échangés,  avaient été assez loin. Vexées, les druidesses avaient déversé des carcasses d’animaux pourries sur les maisons de leurs agresseurs depuis trois de leurs hélicos. Les médias des TVids mondiales étaient sur place comme une nuée de taons. Les journalistes interrogeaient les habitants de la zone en question, afin qu’ils s’expriment. Bien entendu, ces derniers n’avaient pas grand’chose à en dire. L’agression n’avait mis aux prises avec les druidesses qu’une vingtaine d’entre eux, à peine. Peu importe, l’information doit passer. Father était plié de rire. L’une des deux invitées ajouta gaiement :

 « Une des druidesse Amélio, une belle maori, a raconté aux reporters qu’ils les avaient accusées lors de la bagarre de : « trahir leur chair » – Alors on leur en a apporté de la vraie, voilà ! – A-t-elle répondu très sérieusement aux micros et à la caméra. Tatouages superbes ! ».

 « Father ? » Dit l’autre femme, celle que Takashi ne connaissait pas, et qui avait entendu la vanne, déjà tout à l’heure, avant qu’ils n’arrivent.

 « Quoi ? » Fit l’autre épuisé de rire en la regardant avancer à genoux vers lui.

 Elle joignit ses mains comme une suppliante en proie à la ferveur religieuse :

« Fais-moi un petit Kangourou, Father, s’il te plait ! », l’implora t’elle.

 « Jolie mentalité ! » S’exclama Hiro/Takashi après le fou rire général.

 « C’est sûrement encore une de ces zones grises avec habitat individuel, lotissements coquets et autre. Tu parles ! On devrait virer ces gens-là d’Evistan ! » Dit un des gars après avoir reprit son souflle.

 « Si tu sais comment faire, je suis preneur. Ce n’est pas eux que je virerais en premier, cela dit. » Lui dit Father.

 Les habitants des zones d’exclusion Amélio avaient de gros ennuis les uns avec les autres. Evistan n’était qu’une commodité langagière, un mythe, inventé de toutes pièces. Près de 30% des zones grises sur la planète avaient glissé vers des comportements sectaires ou totalitaires. Lorsque les habitants allaient trop loin dans le retranchement, il était déjà arrivé que la Charte se décide en fin de compte à intervenir. Dans la majorité de ces cas, les autres zones grises se désolidarisaient des radicaux déviants, si ce n’était pas déjà fait. Les zones étaient alors ouvertes de force et leur reconstitution éventuelle soumise aux avis d’un conseil spécial. Dans le cadre d’un forum EVO de la Charte. Évidemment.

 Hiro/Takashi passa le reste du week-end sur place, puis il repris un dirigeable direct pour chez lui. « J’ai rendez-vous avec la druidesse dans 5 jours. » pensait-il.

 Terra – 2128 -  Chine du sud. Une semaine après, jour J, heure H.

 Takashi s’assit sur la pierre au bord du chemin forestier. Dans son attente, il méditait sur les conclusions qu’il lui semblait pouvoir tirer de la première rencontre avec la druidesse de la semaine passée : Le Cobra, ainsi qu’il l’avait surnommée dans son esprit. Elle était probablement officier de rang moyen, certainement lieutenante. Son japonais était déplorable. Elle n’avait pas l’air de courir après la prime promise par les chinois pour leur capture. Ses cheveux devaient sentir bon. Son esprit de corps de Lysistratéenne ne lui obscurcissait pas le jugement. Il semblait ne pas la laisser indifférente.Comment allait-elle être aujourd’hui ?

 Des bruits de marche dans la forêt se rapprochèrent derrière lui.

 ………………« Hiro ? »

 Takashi leva une main pour indiquer qu’il l’avait entendue. La femme lui imprima une légère poussée sur le dos. Il alla s’asseoir au sol, au même endroit que la semaine passée. Elle s’assit de nouveau sur la pierre, et choisit de converser en mandarin. Il était meilleur que son japonais.

 « Nous voilà revenus. » Commença t’elle.

 « Comment dois-je vous appeler mademoiselle ? Vous connaissez déjà deux de mes noms et moi je n’en connais auc… »

 « Madame ! »

 « Hein ? »

 La femme eut un sourire un peu contraint. Elle précisa le sens.

 « Madame, pas mademoiselle. J’ai été mariée déjà. Je m’appelle Ondine. »

 « C’est joli. C’est européen ? »

 « C’est français, c’est un très vieux nom. Les ondines étaient des esprits de l’eau vive.»

 Takashi l’imagina en esprit telle que ce patronyme l’évoquait. Il retint, fugace, un sourire.

 « Alors vous serez pour moi Ondine-le-Cobra ! » Lui dit-il.

 « Le cobra ? »

 « Vous m’avez sauté dessus en vous détendant d’un seul coup, la semaine dernière…comme un cobra. »

 La druidesse resta pensive un instant, pencha la tête. Son long cou en torsion, elle le regarda et baissa les yeux avant de lui demander :

 « Vous pensez quoi, Hiro, de ce que vous avez fait il y’a deux ans à mes compagnes ? » Elle toucha rapidement la légère bosse que faisait le revolver dans sa poche de veste.

 « Pourquoi voulez-vous savoir ça ? »

 Se redressant, elle croisa les pans de sa veste ouverte contre elle, sa poitrine tressaillit sous le coton épais.

 « Ça me regarde ! Je suis Lysistrate depuis 13 ans. Engagée pour me dépatouiller de mon ex mari, un imbécile ! J’en ai assez des Lysistrates. – elle se rassit sur la pierre - Il y’a encore 20 ans je ne dis pas, les druidesses faisaient sans doute quelque chose d’utile et de clair… aujourd’hui, nous dérivons comme des bulles de savon échappées de nos dômes étouffants. »

 « Je ne pouvais pas me désolidariser des mes camarades. » Lui dit Takashi.

 « Ce n’est pas ce que je vous demande, Hiro. Vous étiez le deuxième officier en titre si j’ai bien entendu ce qu’on dit de vous ? »

 « J’aurais préféré une autre solution…mon chef était très rigide à l’époque. »

 « Ah…Il ne l’est plus ? »

 « C’est la seule et unique information que je livrerai sur lui. »

 Les coudes aux genoux, le regard de la druidesse revint sur lui. Des yeux bleu/verts et jaunes.

 « Quelle autre solution ? » Continua t’elle, insistante.

 « Je suis japonais… et j’étais membre responsable d’une armée en déroute. »

 « Ah… je vois… Bien que je n’étais pas à la bataille dans votre centre, mes camarades m’ont dit que l’un de ceux qui ont fait ça l’avait mise en pratique votre solution. Vous le saviez ? »

 « Non. Tout cela est classé. Top Secret. Vous êtes la première à pouvoir me parler de cela. - C’était Giuliano n’est-ce pas ? » Le ton volontairement sobre de Takashi ne parvint pas à masquer un tremblement dans la voix, sa gorge se nouait.

 Elle se releva en s’aidant d’un bras avec l’air las.

 « L’Italien, oui. L’autre était d’ailleurs. Nous le détenons toujours, lui, pour un bon moment.»

 « Je vous le laisse. »

 Toujours sur le versant opposé du sentier, Ondine enfonça ses mains dans les poches de sa veste de chasse au camouflage tigré. Elle pinça brièvement ses lèvres en tordant légèrement la bouche. Elle se décida.

 « Bon, Hiro. Je ne suis pas douée pour les manœuvres d’approche compliquées. Je pourrais vous asticoter et ensuite vous obliger à vous donner en spectacle bien sûr…mais si j’obtiens ainsi ce que je désire, vous ne me le pardonneriez pas. Les hommes sont d’une sensiblerie incroyable avec leur cœur. Même les japonais n’est-ce pas ? »

 Cette fois-ci, Takashi ne réprima pas son sourire : « Même les japonais. ». Confirma t’il. Impassible elle enchaîna : « Donc je vous dis les choses ? »

 « Je suis toute ouie. » Dit Takashi toujours assis en tailleur en passant sans prévenir du chinois au français. La femme le regarda, un peu étonnée, mâchouilla et continua dans sa langue natale.

 « Au village, lorsque nous nous ruions à l’assaut, j’ai vu votre attitude de loin quand votre subordonné a finalement été descendu par nous autres. – ne parlez pas sinon je ne vais pas arriver à finir – à 200 mètres votre expression restait lisible. Je voulais vous poser ma question de tout à l’heure, pour confirmer ce que je crois. C’est fait. Vous me plaisez et je voudrais quitter les Vestales à la fin de mon engagement dans 18 mois… Je voudrais que vous m’emmeniez avec vous. »

 Hiro/Takashi s’appuya sur une main au sol et lança avec défi : « Sinon ?! ».

 « Sinon rien. Tout le monde d’un peu plus vif d’esprit qu’un protozoaire voit bien que la Charte et vos employeurs vous ont commis au rôle de lampistes, et de victimes expiatoires sacrifiées sur l’autel de leurs seuls intérêts. Hiro, l’esprit de vengeance des druidesses ne concerne qu’une toute petite fraction d’idiotes dans nos rangs…et puis je suis une femme libre. Je prends mes décisions et ça ne regarde personne d’autre que qui je choisis. J’ai fini.»

 Takashi/Hiro aurait voulu pouvoir continuer la parole en tenue de samouraï.

 « Qui vous dit que je suis un homme facile à vivre ? »

 « Votre question… Et puis je ne suis pas venue à la vie pour chercher des hommes. Encore moins des hommes faciles, apparemment.»

 « Puisque vous le dites ainsi, je vous dirais que votre proposition m’agrée. Mais si vous m’accompagnez Ondine, il faudra suivre, car moi…je ne pourrais pas aller comme la plume au vent. »

 « Alors nous avons tout dit. Venez, j’ai une hutte de chasse pas loin d’ici. »

 

 

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  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
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