Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Solar Ranks
15 janvier 2010

(Aria)

 

 

Chapitre 19

 

« L’Aria des héros d’airain»

 

Juin 2372 - Epave de l’ Arctic Bird - Rebord des banquises littorales – Nord du canada.

 

Revenu dans le ventre de « Birdie », Jdeyfsh alluma les systèmes de comm radio et les cala en mode de réception ouverte. Les circonstances semblaient moins calamiteuses qu’il ne l’avait cru deux semaines plus tôt en se sentant ciblé par le sonar des bipèdes. Il ne pouvait pas - même en ce début d’été - laisser trop longtemps les systèmes de l’épave sans réajuster quelques paramètres. La centrale à énergie solaire, en plus que d’alimenter les complexes équipements scientifiques, servait aussi à rééquilibrer les pressions exercées par les glaces sur la coque, afin qu’elles ne la broient pas comme une noix. Les senseurs montraient déjà quelques secteurs de la coque qui tentaient de résister aux déformations. « En à peine 20 jour/nuits, en plein solstice… » - Songea t’il. Ce n’était pas uniquement par goût de la posture monophysite qu’il ne s’éloignait plus jamais hors des eaux arctiques. Il redirigea les fluides thermiques dans la triple enveloppe externe du corps de « Birdie ». La banquise ne gagnerait pas cette fois-ci, pas encore ! La radio ne recevait toujours aucune impulsion du voisinage proche…En venant, il n’avait pas été tellement surpris de découvrir le gros bateau océanographique au mouillage. Un sondage prudent sous les épaisseurs de banquise littorale lui avait permis de localiser avec exactitude le petit campement de tentes, lui aussi. « Aucun hydro P immergé, pas de sonar pour le crocher à nouveau, aucune radiation, ni onde invasives. » - Avait-il conclu de cette première inspection. Il était venu croiser plus près du « Reykjavik Seafox ». On le suivait à la jumelle depuis le mât d’observation et à vue directe depuis le bastingage. Les scientifiques et les marins le saluaient avec des signes de la main.

 Il avait émergé au niveau de l’échelle de coupée que les marins venaient de descendre. Une Chimpe était descendu jusqu’au raz de l’eau. La mer était étale comme une huile. La velue tenait le dispositif Flex dont les Spés cétacés bipèdes se servaient pour converser avec eux en « privé » si ils l’acceptaient. Il siffla qu’il était d’accord pour parler – « Un peu, et pas longtemps. » - précisa t’il ! Il vit bien que d’autres que elle et lui comptaient écouter et mettre en boîte leurs échanges. « Combien ? » - Cliqueta t’il, en s’écartant un peu de la paroi d’acier.

 La Chimpe remonta de deux marches pour s’asseoir convenablement, elle signa en simiesque mimé -  Cela faisait bien des années que Jdeyfsh n’avait plus utilisé tout cela. Les premiers niveaux de mimé velu, ceci dit, étaient quasi impossible à oublier, tellement simples. « Seulement Toi, moi et la patronne de l’expédition – Pas d’enregistrement. » - Fit la velue dans sa combinaison mono avec ses mains. C’était très satisfaisant comme conditions !

 « D’accord. » - Répondit-il en sifflant avant de venir poser sa tête sur la première marche.

 Le dauphin avait vaguement entendu parler de Zoun Ramdzong, la Bio qui avaient prolongé l’Amélio Chimpe. La bio martienne apparut au bastingage, au-dessus d’eux deux. Les autres curieux se poussèrent, puis il ne resta plus qu’eux trois en vue sur le pont supérieur et sur toute la façade tribord. Ces gens voulaient vraiment mettre toutes les chances de leur côté afin de lui parler - se dit le Tursiops. Après s’être assurée aux rambardes, Zoun descendit quelques marches. Elle s’assit au-dessus de la Directrice velue du CSR. Son visage était ridé et chauve – «  Elle ressemble aux gens du nunavut ! » - Constata Jdeyfsh. La vieille glabre lui plut.

 …………………………………….

 Après peu de phrases. Après leur avoir signalé qu’il devait en premier lieu régler deux ou trois choses chez lui, il lui proposa de venir le rejoindre à bord. La radio restait muette, inerte. Il comprit que ses visiteurs désiraient aussi peu que lui laisser de grosses traces voyantes de leur passage ici et de leurs échanges. Il émit : « Venez, Ser, attention : pont glacé. » sur la comm Vaev. Après une demi-heure, un zodiac déposa l’éthologue verte sur les superstructures penchées et pleines de glace du navire échoué sur les brisants. Le dauphin, lui, avait passé un harnais vocodeur. Il guida la biologiste venue de Mars à la voix, patiemment, en la suivant sur les senseurs de masse, à l’écran, à travers les coursives inclinées du bord. Il n’avait allumé que les veilleuses de coursive du trajet et sa voix sortait de quelques interphones à chaque intersection. Lorsqu’elle déboucha enfin dans la salle des bassins, Zoun s’engagea sur les praticables qui les cintraient. Elle ôta avec soulagement ses semelles antidérapantes. La température dans cette partie de l’ancien « Arctic Bird » était fort douce.

 Un solo de saxophone Jazz en sourdine nimbait l’espace de la grande salle, en fond sonore.

 « Bonjour Jdeyfsh. Je m’assois, après cette longue marche dans la pénombre ? ». Deux screens colorés s’allumèrent derrière le Tursiops alangui de guingois sur son harnais. Lignes oscillos et diagrammes apparurent. La translation voix/cortex Implanté du dauphin démarrait.

 « Bien entendu ! Heureusement que vous n’êtes pas tombée, Ser. Vous êtes venue à titre de spécialiste biologiste ? » - Dit la voix synthétique après un moment de latence.

 « Je suis la nouvelle Déléguée Générale de la communauté verte martienne sur Terra/Aqua. »

 « Fichtre !... La dernière Déléguée en poste n’a pas vraiment brillée par son souci de la partie Aqua de notre planète bleue, Ser ! Vous me voyez honoré par la visite et l’intérêt de la part d’une si haute autorité dans mon humble cabinet de travail…Bienvenue à « Birdie » ! »

 La sino-mongole laissa passer encore quelques trilles du saxo qui éclaboussaient le hall. Tout en dressant un inventaire mental rapide des coûteux équipements qui les entouraient.

 « « Birdie » à cause de Charlie Parker, évidemment... Vous avez sacrément bien réaménagé ces installations, Sir cétacé. Pour un humble cabinet de travail, je le trouve plutôt bien appareillé et vaste. Depuis quand avez-vous réinvesti ces lieux déserts, sans indiscrétion ? »

 « J’ai assisté à son échouement en 2357. J’ai frappé à la porte une fois l’évacuation finie. La centrale Vaev m’a ouvert. Je ne suis retourné qu’une fois hors de cet océan depuis lors. Les installations me permettent de traverser les hivers polaires sans finir en sorbet de Tursiops. »

 « Vous êtes une sorte d’ermite en somme… »

 « C’est ainsi que l’on me désigne dans le coin, effectivement. Je suis perçu comme l’original delphinidé du bled. Fantasque et aussi un peu limité du bonnet. Enfin, jusque récemment. Je ne m’ennuie pas vous savez, les alentours sont très intéressants ! C’est la partie de carnage de l’été dernier qui vous a amenée ici, Ser Déléguée Ramdzong ?» - S’amusa Jdeyfsh.

 « En partie. Le fait que les baleinoptères se soient brusquement mis à communiquer avec vos peuples est sans doute encore plus important à mes yeux. »

 « Avec deux membres individus de nos peuples pour être précis, Ser. Dont votre serviteur. »

 « Félicitations ! Et Shwafhna ? » - Tenta la Biologiste martienne.

 « Je ne vous permettrai pas de joindre Shwafhna, madame la Déléguée Générale. Je tente de la protéger depuis bien des saisons. Je continuerai à être un filtre, un écran entre vous, les bipèdes, et elle. Jusqu’à ce qu’elle reparte. Elle doit rejoindre les territoires maritimes chartistes dans quelques mois. C’est du moins ce dont m’ont assuré les chanteuses géantes.»

 Assise sur une caisse sur le praticable, Zoun changea ses jambes de position et soupira.

 « Vous êtes vous immiscé dans les combats de l’an passé, ermite Jdeyfsh ? » - Demanda t’elle.

 Le dauphin cliqueta un rire joyeux à l’énoncé de son « titre » traditionnel de gloire locale.

 « En aucun cas ! La mère de mon fils et ce dernier - ce jeune fou - s’en sont largement chargé… Je m’intéresse aux géantes depuis des années et prendre parti ne me tentait guère.»

 « Vous n’approuvez guère la leçon sanglante infligée aux baleines par les autres cétacés…»

 « Certainement non ! Une telle disproportion dans la riposte lors d’un conflit après tout sans caractère de gravité immédiate ne pouvait naître que dans des esprits d’orques. Il y’avait sûrement d’autres moyens de s’opposer, moins violents. Je ne les connais pas et ne désire pas m’en mêler. Je suis prêt toutefois à désavouer tout cétacé qui prétendrait le contraire. »

 « Quel était le véritable objectif des Killer Whales, selon vous, Jdeyfsh ? » - Questionna encore Zoun, savourant à sa juste valeur la note d’ingénuité ambivalente de la mise au point.

 « Rouvrir les passages libres de l’arctique et diviser les géantes en deux factions. Isoler les récalcitrantes à nageoires dans tous nos peuples, gros ou petits, et cantonner les irréductibles dans l’autre hémisphère aquatique. Vous deviez bien vous douter de tout cela, n’est-ce pas ?»

 « Peut-être…seulement je suis une éthologue bien plus qu’une politique. Je ne crois qu’aux sources authentifiées. Quels idiomes utilisent les géantes pour communiquer avec vous ?»

 « Je croyais - jusqu’aux 2 dernières saisons - qu’elles se contentaient du vieux cétacé. »

 « Or ? »

 « Or, certaines savent utiliser le sonar reconstitué. Les échanges entre interfaces Implantés depuis plus d’un siècle étaient sans doute espionnés par les géantes. C’est un réel problème ! »

 « Psch ! La situation est beaucoup plus complexe que je le pensais en entrant dans votre home, jeune cétacé. Accepteriez-vous de continuer nos échanges de vues durant les jours à venir ? »

 « Si vous promettez de laisser tranquille la petite Shwafhna, j’y consens, Ser Déléguée. »

 Zoun se permit un sourire qu’elle adressa au dauphin.

 « Je m’y engage ! Elle vous tient à cœur cette enfante orque, n’est-ce pas ? »

 « Lorsque vous la connaîtrez, elle vous tiendra à cœur vous aussi, Docteur Ramdzong ! »

 « Et cette histoire de Princesse ? D’Infante d’Aqua à son propos ? » - S’enquit Ramdzong…

 « Cela ressemble à nos anciennes légendes et autres prophéties…Aux vôtres aussi…Je me demande si je ne suis pas en train d’y accorder quelque crédit moi-même. A demain Ser ! »

 « À demain, Jdeyfsh O’Feysh, de l’île de Man, merci de m’avoir parlé. »

 « Vous pouvez revenir avec la Directrice Chimpe si vous le voulez. Je ne trouverais pas inutile d’avoir un avis de velu lors de nos conversations. »

 « Elle en sera heureuse. » - Zoun se leva et ressortit prudemment sur le pont glacé du navire.

 …...mêmes lieux, le lendemain………

 « Avez-vous eu connaissance de « l’incident Fuégien », Sers ? » - Demandait Jdeyfsh.

 « Non. De quoi s’agit-il ? Cela a eu lieu en Terre de feu ? » - Fit Zoun.

 « Oui. A la suite des combats ici, en arctique, les principales nations disposant des grandes flottes baleinières modernes ont suspendu la chasse. Il le fallait, car les mégères étaient très remontées. Peut-être savez-vous que des Tribus amérindiennes des côtes de la Colombie britannique continuent cette chasse traditionnelle en groupe. Leurs peuples se tiennent toutefois très au courant des évènements mondiaux via le Voile, ils ont également arrêté de taquiner les géantes. Malheureusement, les tribus de Fuégiens et d’Araucans de Patagonie sont semble t’il beaucoup plus mal informées, leurs flottilles artisanales ont été attaquées par des baleinoptères antarctiques, les morts par noyades y ont été très nombreuses. »

 « Comment êtes-vous au courant ? » - S’enquit la Chimpe Biologiste marine.

 « Les relais de communication sonars portent très loin à travers l’élément liquide, madame, surtout chez les baleines. En trois heures à peine, les géantes arctiques peuvent être averties d’évènements ayant l’antarctique pour cadre…Ce qui est particulièrement préoccupant c’est que les attaques se sont poursuivies sur plusieurs jours. Il ne s’agit pas d’une poussée de colère irraisonnée  Les Fuégiens sont terrorisés. Les Flottes de guerre chiliennes et argentines ont dépêché des Frégates et Croiseurs légers sur la zone, avec deux brise-glace nucléaires.»

 « Comment se fait-il que nous n’ayons pas été prévenus, Ser Directrice ? » - S’exclama Zoun.

 « Notre présente expédition se déroule sous le double signe de l’anonymat et de la discrétion maximum, Ser Déléguée. En outre, à ce que j’en sais, les mœurs…euh…politiques dans l’extrême sud Patagonien sont assez particulières…. » - Répondit la Chimpe, mal à l’aise.

 « J’appelle la générale Nguyen ! Il ne s’agit ni plus, ni moins que d’une déclaration de guerre. Elle doit se rendre au plus vite sur site !» - Zoun se sentait très véhémente.

 « Vous pouvez utiliser la radio GO de cette nef immobile, Ser Ramdzong. » - Fit Jdeyfsh en désignant des pupitres émergés de son bec. Suong Nguyen, une fois briefée, quitta les isbas finnoises en urgence, sauta dans une voiture et fonça à Saint Pétersbourg en Hydro Ferry. Une station de diffraction - peu utilisée - orbitait au-dessus de la grande métropole baltique russe. Elle y grimpa via la stratostation Aurora 3 dite « Octobre » et elle arriva en Amérique du sud le soir même. L’état-major de la Flotte polaire Chilienne était le plus accessible depuis le stratoport. La vieille générale prit un taxi, paya le triple d’avance, et s’y précipita aussitôt.

 …..Quinze heures après les isbas….Valdivia  - (côte chilienne) – 40ème parallèle sud…..…

 (État-major de la Flotte polaire du Chili.  Bureau de l’Amiral)

 « Moi ? Je vis au centre d’une petite boule de papier froissé plus solide que mille prisons. Mes sœurs mes frères sont morts, pourtant ils vivent en mon cœur tant qu’il bat. Aucun de mes pas ne me porte plus autrement que vers un horizon que nul ne m’a choisi. Vibration fugace suscitée par le crin sur un violon vendu pour deux sous, je me réfugie, parfois, silence dans le pli du sourire d’un bouddha. Sans me lasser, mes beaux, passant de l’une à l’autre d’entre vous deux, comme en rêve au sein de l’universel fracas des mondes, j’honore vos flots dorés sous la lumière de notre étoile. Je suis : moi. »

 « Ode au fleuve rouge et à la Vltava » – par S. Nguyen (Extraits)

 

Suong s’était imposée. Elle s’incrustait dans le bureau de l’Officier depuis une demi-heure, l’Amiral était sous pression maximale. Il fixait son édifice pileux blanc d’ivoire, furieux.

 « Qu’est-ce que vous fichez dans nos pattes, madame ? » - Grondait le sud-américain.

 « Mais voyons...Je suis venue vous aider à aider les malheureux membres d’un des tout derniers peuples premiers de Terra, monsieur. Malmenés par des mammifères marins colériques. Et essayer d’éviter un embrasement dans les eaux antarctiques… » - Susurrait Suong en tétant sa bomba de maté comme un félin joue avec sa souris préférée.

 « Vos lettres de créance, elles sont où ? Générale Nguyen. C’est un territoire souverain, ici !»

 L’évocation des fameuses « lettres de créance Chartistes », qui constituaient le sésame ultime pour faire s’ouvrir des portes nationales devant soi, rappela sa lointaine jeunesse à la tchéco/vietnamienne. Des images de Fatou Jamsaya et elle, bataillant sur Base Titan, lui revinrent en tête. Elle agissait pour l’heure sans filet – certes ! - mais ses fonctions militaires et politiques (opérations secrètes vertes), lui conféraient un tel pouvoir dans la haute hiérarchie Chartiste, qu’elle aurait pu elle-même rédiger et éditer presque toutes les lettres de créances qu’on voulait…sauf pour elle-même bien entendu ! Elle en eu soudain assez du visage buté en face d’elle, derrière son bureau. L’officier supérieur avait besoin d’être recadré, avec ses chers jouets à gros moteurs et ses petits soldats du grand froid  Elle posa son maté.

 « Je vais vous dire, Amiral : la troisième Charte ne remonte pas les limites du territoire international de l’Antarctique uniquement pour ne pas interférer dans les sales petits conflits que vous et les argentins - et accessoirement les britanniques, jouez à soigner dans les parages. Je vais vous dire encore une autre chose, parce que je n’ai rien contre vous personnellement : Vous voyez ces doigts aux longs ongles d’asiatique décadente ? Eh bien, si je les faisais claquer suffisamment fort, cet état de fait, ce statu quo anormal, imbécile et obsolète pourrait bien prendre fin. » – Elle releva la tête, son auréole laiteuse frémissait – « Et alors, les limites d’exclusion nationale dans cet hémisphère remontant brusquement vers le nord, vos fonctions en ces lieux d’Amiral de la Flotte polaire sud seraient annulées, purement et simplement, pour cause d’inutilité fonctionnelle radicale. Je suis actuellement un personnage beaucoup plus puissant que vous sur cette planète…Est-ce que je me fait bien comprendre ? »

 Le visage congestionné de l’officier supérieur s’empourpra encore davantage.

 « Que voulez-vous que nous fassions ?! Que je rappelle nos vaisseaux ? » - Grogna t’il.

 Suong reprit sa bomba en le regardant d’un air froid : « Ce n’est pas nécessaire. Contentez-vous de renoncer à mouiller les champs de mines maritimes qu’ils se préparent, à n’en pas douter, à égailler un peu partout au large du grand continent antarctique : démilitarisé ! Et qu’ils ne jouent pas aux cow-boys non plus avec les bâtiments de la Flotte argentine…cela devrait suffire pour l’instant. Vos homologues de Buenos Aires reçoivent d’ailleurs en ce moment des directives identiques, apportées en personne à leurs services par le Délégué Régional à la Charte du Rio de la Plata. A vous revoir, monsieur l’Amiral. Portez-vous bien et… ménagez-vous, surtout !…» - Dit-elle, sarcastique, avant de ressortir du bureau.

 Miss Nguyen remonta aussitôt à la stratostation et elle arriva en orbite de diffraction juste à temps pour recevoir l’appel transnational crypté de Kassandra Newth - la bien nommée… Lorsqu’elle prit sa décision, là haut, dans la Station Cordillera, la Générale Suong Nguyen jeta un long regard au magnifique panorama des Andes, en contrebas, et elle se dit qu’il se pouvait bien que ce soit la dernière fois qu’elle admirait ainsi la planète bleue depuis l’espace.

 

Terra – Ottawa – (Province de l’Ontario) – Statut associé aux états de Northamérica.

 Des emballages divers, des couverts sales et des canettes de soda vides ornaient à peu près tous les dessus de meubles. Lorsqu’on se nourrit principalement de Junk Food issue de tous les points de vente de restauration rapides de son quartier métropolitain depuis plusieurs mois, l’espace vital privé peut s’en trouver modifié assez conséquemment. Nul besoin de sombrer dans des addictions aux produits pour parvenir à ce résultat. Un bon gros malaise existentiel bien obsessif, y pourvoit très bien sans rencontrer d’obstacles particuliers ! L’appartement était donc en grand désordre. Kassandra, lorsqu’elle passait ainsi une demi journée/jour à dialoguer avec l’hologramme de Janet et l’IA de celle-ci, n’avait plus la force ensuite que de se blottir dans sa couette sans éprouver la nécessité de ranger quoi que ce soit autour d’elle.

 A l’autre extrémité du grand continent qui hébergeait pour l’heure la puissante Fédération des états de Northamérica, ce n’était encore que le début de l’après-midi. Quoiqu’il n’y ait plus eu d’embrasement guerrier d’importance entre les principaux ensembles régionaux de Terra depuis bien longtemps, les grandes puissances entretenaient toujours bel et bien des aviations militaires. Ainsi, à côté d’un tout petit patelin du Nevada, un homme et une femme, le diadème de pilotage Implanté ajusté à leurs fronts s’en allèrent prendre ce que leurs officiers pensaient être un simple tour de veille aérienne classique. Ils se sanglèrent et la tour de contrôle leur fit machinalement passer la traditionnelle autorisation « d’y aller ».

 Les deux Guêpes terriennes décollèrent du Kosmodrome militaire. A leurs commandes, Daphné et Burt, les deux Pilotes, étaient contents d’avoir su faire jaillir leurs engins dans des rugissements aussi expressifs. Les deux nord-américains - pour des raisons parfaitement égoïstes, purement liées à leurs parcours individuels - s’imaginaient avoir des comptes à régler avec la race Chimpe Améliorée sur Terra. Ils s’étaient mis d’accord avec quelques autres fondus de leur mouvement d’extrème-droite raciste, disséminés sur le globe.

 La troisième Charte ne pourrait pas suivre leurs trajectoires aériennes, car ils avaient également infiltré les services de surveillance/contrôle des espaces aériens. Les humains n’allaient tout de même pas les descendre sur de simples rumeurs, eux qui étaient l’élite des astropilotes de plusieurs grandes et vieilles nations glabres pour couvrir le derrière pelé de quelques velus paumés sur le toit du monde au milieu des bouses de Yacks !

 Alignant leurs taxis vers l’azimut des îles aléoutiennes, ils enclenchèrent leurs blocs propulsion au maximum. Deux autres engins militaires les rejoignirent à la hauteur de l’Alaska. Dix intercepteurs supplémentaires devaient rallier leur squadron avant l’objectif tibétain. Suivant leur plan, ils volaient très vite et très bas. Pour l’instant, ils n’avaient aucun retour radio inquiétant des contrôles au sol. Ils prirent le risque de rebrancher prudemment la liaison de proximité entre leurs quatre appareils. Ils n’auraient pas dû. Repérés par certains réseaux de guets, ils ne firent que lancer un puissant mouvement de panique dans de multiples états-majors - dont le leur. Daphné et Burt avaient aisément pu quantifier les temps de réaction de leurs chefs. Même s’ils étaient pris en chasse et abattus au retour, aucune autorité n’aurait les moyens de les empêcher à temps d’accomplir ce qui – ils en étaient convaincus – devait être accompli ! Un seul esprit - non vivant – pourtant, s’aperçut avec assez de vitesse/précision qu’il se passait un truc de non autorisé. Et cet esprit déclencha sur le champ des mesures « appropriées » dès que leur objectif lui apparut clair et identifié à plus de 50 %.

 C’est ainsi que Kassandra Newth, dans son appartement d’Ottawa, fut réveillée par le signal d’alarme d’Unité Pensante artificielle n° 87 HY 74 qui - avec ses moyens propres - surveillait le globe terrestre en permanence depuis que « Ser Kass » lui avait demandé de le faire.

 « Ce que nous redoutions arrive ! » - Gueulait l’IA diadème Spetz en transmettant du data. « L’attaque sur les cibles Chimpes en cours de positionnement à bien lieu… Wake up ! » - Kassandra, bondissant de son pieu, attrapa ses connexions Flex en plongeant les doigts dans la machine. Elle ferma les yeux. Parcourut les trois premières conclusions, les pourcentages des probabilités. Elle lança aussitôt un long signal de détresse en direction de Suong Nguyen.

 « Que voulez-vous, Kassandra ? » - piaillait la vieille vietnamienne qui attendait la navette de jonction vers Base Soukouss d’un moment à l’autre.

 « Une escadrille d’intercepteurs se précipite au Tibet, madame la Générale. »

 La croisée des chemins, pour le peuple Singe Amélio de Terra, s’annonçait sous les signes évidents et inévitables de l’odeur des chairs brûlées et du fracas des armes. La sœur Nguyen eut une pensée pour son frère Nam – « Tu le disais fort bien, frangin : dans ce bizness, un jour arrive, jour inéluctable et imbécile. Celui où tu ne sauras pas si ta réaction est la bonne en étant sûr en revanche que tu ne sera sans doute plus là pour effectuer la vérification. ». 

 « Combien de Guêpes Ultra Rapides dans les flancs du « Cosmic Gonçalves » ?! » - Demanda t’elle, plus pour signaler à son interlocutrice son accord tacite à une réaction musclée que pour vérifier ce qu’elle savait déjà…. Kassandra, à Ottawa, naïvement, consulta rapidement l’Unité Informatique qui piquetait sur ses mémos secrets comme un faucon - « Quatre, madame ! »

 « Il faudra que ça suffise ! Montez en orbite dès que vous pouvez, je vous rejoindrai. J’appelle Ser Kara Khan et Orland Newth. » - La générale coupa la liaison et fit ce qu’elle avait dit.

 Il s’agissait dès lors d’une question de calages/timings très pointus. Tout irait très vite, trop vite. Suong prévint l’ensemble du dispositif Chimp au Tibet. Des duos de Chimps montés sur leurs poneys, leurs bottes fourrées battant les flancs de leurs montures, les missiles portatifs anti aériens bien assurés dans leurs fontes, partirent au galop aux quatre coins de la steppe d’altitude. La soeur Nguyen, court-circuitant les politesses chiliennes, monta ensuite illico dans la navette orbiteur d’où elle vira sans égards l’équipage de quatre gus qui la pilotaient.

 

 La Frégate verte « Cosmic Gonçalves » se portait au devant d’elle. Hornak et elle, prévoyants, avaient pour les cas d’urgence fait assembler deux petits climbers d’orbite que les Chimps dissimulaient dans de gros camions lanceurs déguisés en Trucks montagnards ordinaires.

 Les terriens glabres étaient bien peu nombreux à se rendre compte combien d’argent et de compétences les Velus de Terra avaient accumulés depuis une centaine d’année…Kara Khan et Orland, au Tibet, se glissèrent dans les minuscules habitacles sans hublots. Les petites fusées non réutilisables les amenèrent en orbite basse juste à temps pour être récupérés par la Frégate martienne. Dans leurs combinaisons spatiales minimalistes, les deux verts soupirèrent de soulagement lorsque les sas de la Frégate, enfin, se refermèrent derrière leur dos.

 « Je ne suis pas claustrophobe, mais c’est la dernière fois… » - Lança le jeune Newth à Kara par-dessus son épaule une fois les casques déclipsés. Kara opina du chef avec conviction. Ils foncèrent à la salle d’implantation Vaev du bord y rejoindre la Générale qui s’équipait déjà. L’ouzbèke avait accepté d’en être. Elle pouvait guider et piloter les Guêpes nouveaux modèles, qu’elle avait conçues. Orland, lui, vaguement initié à ces nouveaux engins par Véviana, serait dans la position du néophyte que l’on balance dans la mêlée afin qu’il s’y débrouille du mieux qu’il peut. La générale Nguyen, enfin, n’avait connu que les anciens intercepteurs. Il faudrait qu’elle s’adapte ! Les trois Ranks - diadèmes ceints - sortirent leurs engins de mort des alvéoles. Il n’y aurait que trois engins de défense de première vague, Kassandra était trop loin.

 La Frégate se remit en orbite haute et s’en fut la récupérer au-dessus de l’atlantique nord.

 « J’interdis que vous confiiez une Guêpe UR à Mlle Newth, Colonel. Vous lui préparez un intercepteur ancien modèle ! C’est le seul type d’appareil de combat qu’elle maîtrisera. » - Transmit la Générale Nguyen, dont la Guêpe fut la première à atteindre la stratosphère.

 « Vos ordres seront suivis, madame…et…euh…Vous n’avez jamais piloté de GUR non plus, Générale Nguyen… » - Répondit le commandant de bord du « Cosmic Gonçalves ».

 « Écoutez mon vieux : il y’a des jours comme ça… » - Faisait Suong tout en tentant de trouver le meilleur axe de recherche de vitesse. Elle reçut un : « On vous dit m…. » à l’écran, en Crypt. Elle trouva la force d’en sourire entre deux tâtonnements sur ses commandes.

 « Lancez la stase, Ser Nguyen, et accélérez ! » - Lui conseilla Kara Khan dans ses écouteurs.

 « C’est ce que je fais…Bon dieu, quelle salsa de merde ! Ser Khan… » - se plaignit Suong.

 « Je sais, madame… »

 Orland, entré plus loin qu’elles dans les couches atmosphériques, s’était mis en rase-mottes et il filait droit vers la Mongolie intérieure.

 Sept intercepteurs jaillis des cosmodromes de Sibérie orientale arrivaient en secteur Est. Il en descendit quatre et s’évada en secteur zénithal ce que son taxi supporta très bien.

 Les trois survivants ne virent pas la Guêpe Ultra Rapide de Suong qui fonçait sur eux en mode furtif. Deux furent détruits, rabaissant drastiquement le niveau d’enthousiasme de l’escadrille d’attaque au sol, réduite à un seul coucou qui attendait ses cinq petits copains en approche.

 « Ça va trop vite, ces furieux sont plus nombreux que ce que je croyais. Ils balancent des hélicos dans la mêlée aussi ! » - Signala Suong en virant à bloc vers le secteur du Nan Chan, tous ses leurres largables épuisés. « Prévenez les Dômes des druidesses du Takla Maklan. »

 Avant qu’elle ait eu le temps de s’échapper en secteur sud, une seconde bordée de fusées venues de plusieurs de ces redoutables plates-formes aéroportées que sont les hélicos de combat lourds, rattrapa son intercepteur. La générale hurla dans sa Guêpe foudroyée en plein vol. L’écho du cri se répercutait encore dans leurs écouteurs tandis que Orland et Kara Khan se ruaient vers le secteur ciblé par leurs ennemis. « On va tous les effacer, Kara ! » - Fit Orland. Exclamation suivie à l’autre bout de la ligne par un murmure tout à fait mortel. Les six intercepteurs restants furent prestement réduits en petits débris insignifiants. Kara et lui passèrent encore une demi heure à poursuivre et dégommer des hélicos avant l’arrivée des Ailes Lysistrates des Dômes du Takla Makam et de leurs propres hélicoptères de combat.

 Kassandra était partie avec beaucoup de délai, elle arriva trop tard sur le champ de bataille aérien. Plus aucun engin hostile ne volait plus au dessus du Tibet lorsque sa G 211 arriva.

 Suong Nguyen, le dernier témoin en activité d’une époque révolue ? Avait vécu.

 Quelque part sur ces hauts plateaux du Tibet, au sol, la jeune Meï, se redressant sur ses plâtres dans son fauteuil, posa une main sur l’épaule de Horn. Ce dernier, sans parvenir à s’arrêter, sanglotait comme un môme, assis dans le sien : « Nécessairement, quand j’aurais grandi, je remplacerai la générale Suong, Sir Hornak. » - Dit l’enfant chinoise, le visage grave.

 Dix jours après cette cascade de catastrophes ultra rapides, inaugurant une paire de béquilles toutes neuves, la jeune Meï, accompagnée par Kara Khan, regardait depuis une seconde embarcation brûler un gros Ghe, sur la barre de marée du fleuve rouge en aval de Hanoï. Elles avaient disposé ce qu’on avait pu retrouver dans les débris de la GUR 19 de la plaque d’Id militaire de la générale Nguyen dans la cabine arrière avant d’allumer le brûlot flottant qui faisait ainsi office de dernier véhicule emprunté par la défunte sœur de Nam.

 De retour chez elle à Ottawa, Kassandra eut une longue scène terriblement orageuse avec l’avatar de sa grand-mère Janet. « Je t’interdis de te servir à nouveau de mon IA, Kassandra ! Et je ne veux plus que tu me sollicites. Je t’aime. Rentres sur Mars où tu es beaucoup plus à ta place qu’ici et donne-moi à Gloan !» - Finit par conclure l’hologramme, à bout d’arguments intelligibles, avant de se zapper. Kassandra essaya de réactiver les accès vers l’IA. La véritable maîtresse de la machine avait tout bloqué. L’hologramme, enfin : la partie mémorielle de l’IA qui le gérait… avait l’intention ferme et définitive de ne plus se manifester avant qu’un certain Gloan Newth, sur Mars, décide d’utiliser un code de déblocage, que seuls elle et lui connaissaient, ou non ! La petite fille de Gloan Newth prit la première Rotation martienne disponible et elle arriva sur la planète rouge des Terriers à la fin de l’année 2372 à bord du « Cosmic Gonçalves » de retour à sa base d’attache.

 Orland (et Kara Khan), eux, étaient restés sur Terra. 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Solar Ranks
  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité