(Bshannan et Shwafhna)

Chapitre 16

Terra (Aqua)….. Printemps  2364…....Mer d’Irlande  -  autour de l’île de Man……

 Le bébé, en 2345, n’avait pas été une femelle. Le jeune dauphin, fils de Zwyzy, avait un nom celtique. Dans le clan O’Feysh on l’appelait Bshannan - Sa maman se contentait de Bshan. Elle venait le visiter tous les deux ans environ. A 19 ans, le dauphin tursiops à qui elle avait donné le jour ici même, le long des rivages rocheux de l’île de Man, était superbe. Une Implantation et une Amélio prolongation lui avaient été allouées six ans auparavant.

 « Je n’habite plus ici, Zwyz » - Sifflait son fils en surfant sur la crête écumante d’une vague.

 « Et où es-tu alors ? » - Interrogea sa mère – Curieux de tout, Krtk, qui croisait non loin, s’approcha de leur conversation. « Tu habites où – clek – jeune cétacé, alors ? » - Cliqueta t’il.

 « À Londres ! » - Fit ce dernier – « Je me suis inscrit au premier cursus en aquaculture pour cétacés ouvert dans une Université de Terra/Aqua. » - Leur cliqueta fièrement Bshannan.

 « C’est comment – clac - de loger en ville ? » - Demanda le gros orque.

 « Pas mal…la Tamise et les canaux sont très propres maintenant. Surtout dans le quartier des campus cétacés. » - Répondit le jeune Tursiops à l’énorme bête noire et blanche. Bshannan connaissait Krtk depuis sa naissance et il le considérait presque comme un oncle. Un oncle monstrueux, mais un oncle tout de même.

 « Il y’a des épaulards à ton université de Londres ? » - Interrogea Zwyzy. Le jeune dauphin émit un long rire saccadé – « Non !!! Les bipèdes citadins ont trop la trouille des orques. Les cursus réservés aux Killer Whales sont installés à l’écart des grandes villes. » - Signala t’il.

 « J’ai envie d’aller voir cela de mes yeux ! » - Dit Krtk, avec un rictus de grand carnassier.

 « J’ai parlé de vous à certains de mes professeurs. Je suis sûr qu’ils vous accueilleraient avec joie pour une visite et même pour une réception officielle. Vous êtes des vedettes ! »

 La semaine suivante, les trois cétacés filèrent en trace directe vers Liverpool. Les britanniques avaient réaménagé et remodelé le réseau de canaux Est – Ouest. Alors qu’ils croisaient dans le chenal à hauteur de la ville de Stoke, des hordes de gamins des écoles, prévenus de leur arrivée, se massaient le long des berges du canal avec leurs enseignants et de nombreux parents d’élèves. Les orques n’empruntaient qu’exceptionnellement cette route fluviale. Elles préféraient forcer leur allure et contourner par les rivages maritimes. Krtk était un mâle très imposant, il n’acceptait de se faufiler ainsi au milieu de la campagne des Midlands que pour accompagner ses amis le long du chemin. Les adultes observaient leur passage à la jumelle.

 « Regardes comme il est gros ! » - Criaient des petites filles à couettes en courant sur les berges. L’une d’elle glissa et tomba à l’eau. La gamine savait nager un peu, mais la rive était boueuse et glissante. Elle ne parvenait pas à remonter à pied sec. Un adulte tenta de se pencher, retenu par la ceinture par d’autres, pour lui attraper la main.

 « Laissez ! Je vais y’aller ! » - Cliqueta en sonar Krtk à ses amis tursiops qui observaient la scène. Il arrondi le dos, souffla puissamment un long jet vers le ciel et sonda. L’homme ripa à son tour et se retrouva à l’eau. Les enseignants criaient, affolant les mioches par leurs gesticulations éplorées. « L’orque a plongé, il va les manger ! Que quelqu’un aille chercher une corde, vite ! » - Hurla une femme. Deux grands gaillards en shorts, aux genoux osseux, très typiques, se ruèrent vers la maison la plus proche. La tête gigantesque de Krtk resurgit à deux mètres dans le dos de la petite fille. L’homme s’interposa entre lui et l’enfant humaine. L’orque étira sa bouche et cliqueta le son dont il avait apprit, à force de fréquentations des bipèdes, qu’il ressemblait à leurs rires. La gamine s’était retournée et, elle, comprit que l’énorme bête ne lui voulait aucun mal. L’homme essayait toujours de rester entre lui et elle.

« Cet humain ne comprend rien – Krtk – Méfies toi, ils pourraient revenir avec des fusils, ces idiots ! » - Siffla Bshannan depuis l’autre bord du canal. Le nageur involontaire fit alors un geste très insensé, il cogna sur la gueule de Krtk en essayant ensuite d’atteindre ses yeux de ses poings serrés. Zwyzy fut sur lui en cinq battements de caudale, elle coinça délicatement un biceps dans sa fine gueule et l’entraîna ainsi, en le tractant de force, vers la rive opposée.

 Krtk pencha la tête et hissa la petite fille, ses couettes pendaient piteusement de chaque côté de son visage. Un type moins débile que son coreligionnaire se saisit d’elle par la taille et la déposa sur la berge, l’entourant de sa parka. « Merci, grand chef ! » - Lança t’il en direction de l’orque qui sonda à nouveau en « riant ». Zwyzy maintenait le quidam aux nerfs liquéfiés le long de la rive d’en face. Cette fois, Krtk jaillit et, envoyant un modeste coup de front aux fesses de l’homme, il l’envoya valdinguer sur le rebord herbeux à un mètre cinquante au dessus de l’eau. Les trois mammifères marins reprirent fissa leurs sillages vers Nottingham.

 A la nuit tombée, ils débouchèrent dans l’estuaire de la Humber. Une équipe de marsouins occupaient la zone d’eaux mêlées, jouant au polo marsouin - « C’est vous qui fichez un boxon pas possible dans les canaux des Midlands ? » - Cliqueta une femelle Implantée de leur groupe, délaissant leurs jeux de lancers de morceaux de bois pour s’avancer vers eux trois.

 « C’est nous – Couina Bshannan – Lâches nous la dorsale avec ce ton de gardien de bassin ! »

 « Eh oh ! Toi, on te connaît ! Tu passes souvent par ici. Mais le gros lard, là – Il devrait éviter de faire du grabuge chez les bipèdes de l’intérieur des terres. » - Répondit la nenette en retournant réceptionner les lancers de ses copains. Krtk s’approcha des marsouins. Il sortit le côté droit de sa tête hors de l’eau. « Hep ! Les artistes de cirque ! Vous voyez mon œil ? Ce type m’avait poché avec un punch parfaitement déplacé ! » – Son oculaire arborait une ecchymose bleue violacée – « Et puis, par toutes les tornades. Savez vous qui je suis ?! » - Tonna le Colonel épaulard en sonar profond.

 « Nan ! Et on s’en fout ! » - Osa un mâle interface marsouin en sonar reconstitué.                            

 « Mauvaise réponse ! » - Cliqueta vivement Zwyzy, résignée à ce qui allait suivre.

 « Regardes moi ça, oncle Krtk, ils sont tous Implantés, ceux là ! C’est sûrement des pro chartistes. Vendus !» - Siffla Bshannan avec mépris. Le gros Krtk fonça sur les marsouins et dispersa en cinq minutes leur attroupement à coups de tête et de nageoire caudale. La troupe fila dans toutes les directions en s’ébattant dans un accès de trouilles tout à fait satisfaisantes. Les trois voyageurs reprirent leur nage et s’orientèrent vers les côtes du north Norfolk. Le lendemain, à l’aurore brumeuse du petit matin, ils arrivaient en vue des faubourgs de Londres.

 « C’est pourtant vrai que l’eau de la Tamise est propre ! » - Siffla Zwyzy, étonnée.

 « C’est la Sgharn Compagnie qui fournit vos quartiers du campus en nourriture, Bshannan ? » - Voulut savoir « l’oncle » Krtk, qui sentait la faim lui tenailler les entrailles.

 « Pour l’instant, oui. J’espère que ce sera bientôt moi ! Avec mes potes, on commence à dumper le marché.» - Répondit le neveu tursiops. « Venez, on va passer par nos bassins de stockage en passant ! » - Le jeune dauphin obliqua vers un canal qui s’enfonçait dans la zone des Docks. Il émit un long signal cétacé pour prévenir ses acolytes de leur arrivée. Une petite écluse s’ouvrit devant leurs becs, puis une seconde. Quelques poissons de belle taille se faufilèrent dans le sas entre les deux vantaux. Krtk laissa les delphinidés se charger d’eux.

 « Je me réserve pour la suite. J’ai – clek – très faim. » - cliqueta t’il en se pourlèchant à l’avance. Les deux autres laissèrent les secondes portes s’ouvrir suffisamment pour lui livrer le passage. L’orque se rua à travers le bassin de rétention des vifs, y faisant un quart d’heure de carnage en s’empiffrant d’au moins cinq races différentes de gros salmonidés qui fuyaient vers les parois du large bassin, bouillonnant de terreurs croisées. Zwyzy et Bshan se contentaient de croquer les individus qui se réfugiaient dans le sas, rendus fous de frayeur.

L’orque revint vers eux et les portes se refermèrent avec miséricorde sur les malheureux détenus de l’autre côté qui se chargèrent de nettoyer eux-mêmes les miettes du festin en finissant les restes épars de leurs frères et sœurs laissés par la furie du Killer Whale affamé.

 « Excellente qualité, ces vifs ! » - Signala Krtk en se passant la langue dans l’intérieur de la bouche. Trois cétacés les attendaient à la sortie de l’écluse, une jolie tursiops, un vieux béluga ventru et – Oh surprise en ces lieux ! - un jeune mâle narval à la courte dent. Fine équipe !

 « Enchantés, Colonel Krtk – charmés, Colonelle Zwyzy ! » - Les politesses fusèrent en cliquetis joyeux. Les amis citadins de Bshannan faisaient fête aux deux célébrités parmi les peuples cétacés d’Aqua. Ils emmenèrent ensuite leurs invités aux bassins de repos, où les voyageurs digérèrent et s’assoupirent un peu sur leurs harnais hamacs immergés.

 À 8 heures du matin, Hyfron, le vieux gardien béluga préposé à l’entretien et à l’ouverture, ouvrit leurs mangeoires et grignota quelques bouchées de viande reconstituée avant d’aller prendre son service à leur série de bassins d’exploitation et d’élevage. Les quatre autres mammifères après quelques bouchées, remontèrent paresseusement le fleuve jusqu’au quartier de Woolwich où la troisième Charte inter espèces avait choisit d’établir le campus cétacé de l’université de Londres.

Zwyzy et Krtk furent impressionnés par l’étendue des bassins d’étude. Deux d’entre eux étaient même disposés en amphithéâtres sur plusieurs niveaux. La réception en leur honneur n’était prévue qu’à 11 heures. Le vide des lieux accentuait encore leur gigantisme.

 « Approchez - n’ayez pas peur - je vais vous présenter à notre prof de technologie appliquée cétacée. » - Indiqua malicieusement le fils de la vaillante Zwyzy. Une femelle orque déboulait d’un couloir aquatique et nageait vers eux en couinant des sons de bienvenue.

 « Ça alors, Vrsha ! Tu es revenue depuis quand ? » - Siffla Zwyzy en faisant des bonds de joie.

 « Chère Colonelle, c’est – clek – plaisir que de revoir votre – clic – doux minois. » - Fit Krtk sur une onde obséquieuse, attendant de nageoire ferme la femelle revenue de Région/Saturne.

 « Je suis redescendue depuis un an, Colonels - J’enseigne ici dorénavant. Et vous chers Revizors des étoiles ? » - Siffla Vrsha dans un delphinidé au charmant accent épaulard. Elle et Krtk se croisèrent plusieurs fois en nage lente, laissant frotter au passage leur deux corps l’un contre l’autre. C’était de la haute politesse Orque qu’ils s’échangeaient là.

 « Mais vous êtes en période féconde – Clac – Vrsha ! » – Gémit Krtk – « On s’offre un petit ballet nuptial en – clic – attendant les autres ? » - Les cétacés, en ce qui concerne les parades amoureuses et la procréation, n’étaient pas tellement formalistes. Les liens parents/enfants restaient forts, l’attachement entre membres d’un couple de procréation, en revanche, ne durait guère. Un ami ou une amie avec qui on cinglait les mers représentait bien davantage le partenaire auquel aspiraient les mammifères marins. Ainsi Jdeyfsh, le père de Bshannan avait disparu six ans auparavant. Nul n’avait plus eu de ses nouvelles, parmi les peuples d’Aqua. Aqua était vaste, profonde, insondable en totalité. Peut-être réapparaîtrait-il un jour, ou non.

Une petite femelle orque allait bientôt naître. Zwyzy et son ami Krtk retournèrent fendre les eaux marines au lendemain de la réception qui connut un vif succès, tant parmi les natifs d’Aqua accourus à toutes nageoires vers Woolwich que parmi les bipèdes invités. En dehors du personnel enseignant bipède de la Faculté, les dirigeants avaient convié des membres du Gratin de Londres qui vinrent saluer les deux héros. La femelle orque professeur de technologie appliquée cétacée, les raccompagna jusqu’à l’estuaire de la Tamise.

 « Je prendrai un congé, Colonel – glissa Vrsha à Krtk, avant qu’ils ne repartent – Que diriez-vous d’un accouchement vers les îles Kouriles ? C’est là que je suis née moi-même… »

 « Va pour les Kouriles ! J’y serai !» - Lui répondit l’orque en s’éloignant vers les eaux salées.

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 En 2365, au début du printemps, les deux parents épaulards se rejoignirent en Mer d’Okhotsk. Fidèle à sa promesse, Vrsha allait rester jusqu’à son sevrage avec la « petite » à laquelle elle donna naissance. Les parents avaient offert à Zwyzy de sectionner elle-même le cordon ombilical, et ce fut Krtk qui se chargea lui d’aider le cétacé nouveau-né à changer de milieu, échangeant l’eau marine à peine découverte à la sortie du milieu placentaire pour l’air et ses contraintes. Puis, la mère allaitante repartit vers l’Angleterre, laissant l’infante orque avec son père et tante Zwyzy. La pleine eau était un endroit plus adapté à l’élevage et au bon développement d’une pouponne orque que les canaux des cités bipèdes.

 Shwafhna ainsi que fut nommée l’enfant de Krtk et Vrsha, allait connaître un destin assez étonnant.