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Solar Ranks
12 janvier 2010

(l'accident)

 

Chapitre 15

 

Espace interplanétaire. -  Paquebot Lourd de Rotation « Strong Maru »

 

Depuis plus d’un siècle qu’il avait été mis en service, les maintenances régulières n’avaient pas laissé beaucoup d’éléments d’origine dans la structure du « Strong Maru ». Quelques vieux cuivres et les bars en bois laqué, peut-être…L’entretien revenait cher, certes. Moins que construire une nouvelle Nef aussi luxueuse ! Or, il se trouve que le Lourd Transport de Rotation était un élément important de l’image de Mars. Il incarnait les fastes et l’Histoire de la communauté martienne verte, tant à l’extérieur que sur la planète elle-même. Quand vous montiez à bord, un peu du passé et de l’identité verts vous envahissaient ou vous réconfortaient (c’est selon) avant d’arriver à destination.

 Janet, la Spetz, amie de Kassandra, avait demandé à y finir son temps après sa retraite de la Flotte militaire martienne, et, grâce à ses états de service, elle avait obtenu le poste. Elle était maintenant Pilote en second à bord du gros navire de la flotte marchande. Elle avait eu du mal à se lier avec ses collègues Spetz civils qui, sans l’éviter tout à fait, lui témoignaient un respect…envahissant. Son travail à la barre du « Strong Maru », avouons-le, n’était pas des plus intéressants. Le système de commande, la gestion/guet Vaev de la Nef étaient récents et comme la hiérarchie y était molle et empesée, Ser Janet n’avait pas été entendue quand elle avait fait part de ses inquiétudes à propos des générateurs de champs du vieux paquebot.

 « Je/nous vous assure, Pacha, les dérivations énergétiques auxquelles on a consenti sur ce rafiot au cours des trente dernières années ont fragilisé l’ensemble du système protecteur de la Nef ! » - Avait-elle prévenu, après son check, en entretien avec le Commandant de Bord.

 « Sans doute y’a-t-il à redire dans le détail, Ser. Le « Strong » n’est toutefois pas un navire de combat, il n’est jamais soumis à des sollicitations aussi fortes que vos anciens bâtiments d’attache l’étaient… il est prévu une refonte totale de ces équipements à notre arrivée sur Mars. » - lui avait répondu Sir Baliver Leuyla, le patron du « Strong Maru » depuis dix ans.

 L’officier les prenait pour de vieilles toquées, ma parole ! – Songèrent ensemble Janet et son Intelligence Artificielle - Elles étaient venues pour lui proposer une solution, pas pour s’entendre parler du passé, sur lequel il ne sert à rien de revenir de cette manière. Pff !

 

« Je/nous pouvons intervenir sur les systèmes Hyper et Vaev afin de parer au plus pressé des réajustements, monsieur. » - Prétendit vivement Janet.

 « Je l’interdit ! On ne touche pas à cette architecture en chemin. Que diable, ce prestigieux navire n’est pas un lieu d’expériences et d’improvisations débridées pour ingénieurs embarqués stressés. Je vous remercie d’avoir attiré mon attention.» - Conclut le grand homme maigre dans son uniforme à passementerie. Janet avait salué avant de prendre congé de l’entêté. Tout cela ne serait resté qu’une légère prise de bec entre marins spécialistes spatiaux si par un hasard vicieux n’était pas arrivé ce qui arriva et qui un jour ou l’autre devait arriver.

 …..« Strong Maru »….Quartiers de classe 2…..Ponts 6, 7, et 8 de la proue……….

 Strhashna s’ennuyait à en pleurer. Il restait encore plus de deux mois de voyage et ils avaient épuisé tout ce que le navire avait à offrir comme distractions un peu stimulantes pour elle.

 « Si j’étais garce, j’irais draguer quelqu’opulent maître artisan Chimp martien de retour chez lui, pour qu’il se passe enfin deux ou trois trucs qui ressemblent à de l’action. » - Songeait-elle en arpentant pour la énième fois les ponts panoramiques. La jeune Chimp rejoignit Hornak, qui se prélassait au centre nautique du navire. Zghirni, elle, profitait de la mini zone tropicale avec des amies Chimpes qu’elle s’était faites à bord. Au centre, Strhashna escalada quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait à l’étage au-dessus du centre nautique où s’ébattaient une vingtaine de personnes. En contrebas Horn nageait tranquillement sur le dos. Il lui fit un petit signe de la main en l’apercevant qui montait. Strhashna lui envoya un baiser soufflé en se penchant à la rambarde et continua son ascension. Elle appuya sur le bouton d’ouverture des sas d’accès au niveau suivant puis entra. Les lieux étaient déserts. Les passagers pouvaient utiliser cet espace, mais pourquoi seraient-ils venus, puisqu’il était dédié aux cétacés ? Une série de bassins fermés reliés entre eux par de gros tubes/tunnels emplis d’eau marine occupaient cette partie de la Nef. Ils n’avaient jamais servi. La seule fois que le « Strong » avait organisé une croisière exceptionnelle vers les confins de la Région Jupiter/Saturne, il n’y avait pas convoyé de cétacés. Et lorsque le navire avait orbité autour d’Europe afin que les passagers puissent admirer ce magnifique et très particulier corps céleste, aucun Transport Retour de mammifère marin n’était au programme. Quant à la planète des Terriers vers laquelle ils se dirigeaient pour l’heure, la Troisième Charte ne souhaitait toujours pas y envoyer le moindre dauphin, la moindre orque, le plus petit narval.

 « Ils me manquent ! Je n’aurais pas dû venir. » - Pensa une nouvelle fois la fille de Sgharn.

 

Un autre navire croisait à bride abattue dans les parages astronomiques de leur itinéraire vers Mars. Plus petit, plus empressé, et venu des lointains confins extérieurs du système solaire.

 ….Corvette de Transport Rapide « Le Ponant », de retour des Régions mauves….

 Leur navire, la Corvette rapide «le Ponant », en six mois, avait récupéré tout ce que la Région Jupiter/Saturne comptait de malades chroniques à rapatrier vers Terra. En ce 25ème Siècle, les maladies dégénératives, la plupart des cancers, étaient détectés très tôt dans l’écrasante majorité des cas. Tous les patients ou futurs patients décelés en cours de vacation ne pouvaient pas faire l’objet de soins appropriés en Régions mauves. Le niveau de la clinique là-bas était certes excellent, on ne soigne toutefois pas toujours certains troubles, certaines affections en milieu confiné. Il y faut la Terre : la vraie Terre et ses disponibilités naturelles incomparables, son climat ouvert et ses paysages apaisants. C’est à cette exigence de rapatriement des éclopés présents ou à venir selon les médecins Biotechs mauves que servait « le Ponant », corvette médicalisée de 150 mètres de long. Lorsque la Nef hospitalière fut suffisamment proche de son croisement avec le « Strong Maru », une trentaine de passagers valides voire ingambes car uniquement diagnostiqués mais non encore atteints, montèrent à la seule salle avec baie spatiale en dehors des postes de manœuvre. Quatre ou cinq membres du personnel soignant étaient là, eux aussi. Aucun membre de l’équipage. Ils étaient tous, soit occupés, soit en train de se reposer du service, assez intense sur ce navire rapide.

 …« Strong Maru »….Poste de manœuvre……11 heures du matin, heure du bord…

 « Notre navire doit croiser « Le Ponant » dans 17 minutes. Les passagers qui le désirent peuvent observer son passage par les baies Bâbord du paquebot. Merci, et bon voyage. » - Annonça au micro le Major chef steward, présent dans le poste de pilotage, avant de retourner en zone passagers s’occuper du reste. Evidemment, aucun passager du prestigieux « Strong Maru » ne remua le petit doigt pour répondre à cet appel, devenu un simple rituel au bout de leurs neuf mois de progression spatiale. C’était au minimum la huitième fois qu’un autre bâtiment sacrifiait au sempiternel coup d’œil sur la « majesté » de leur énorme Nef.

 Janet, assise au pupitre de vol principal, les deux visières de son heaume Vaev rabattues, vérifiait et revérifiait les données vectorielles de la trajectoire des deux vaisseaux en approche. Les opérateurs Comm, ainsi qu’ils/elles s’y livraient lors de chaque rencontre de ce type, gardaient le contact avec la passerelle du « Ponant » en vérifiant, eux aussi, les compatibilités diverses entre les deux équipes aux commandes de leurs navires. Le gratin des officiers était en train de se préparer pour le déjeuner de Gala offert par la Compagnie, on était mardi dans le calendrier grégorien et rien ne clochait jusque là. Seul un Capitaine « veillait » au poste de manœuvre. Ce fut à 11 heures 16 minutes et 13 secondes que Janet s’aperçut de l’erreur dans les corrections de trajectoires, à 17 secondes du croisement. Elle enclencha toutes les alarmes dont son poste de second pilote disposait. Le premier pilote, un Spetz aux cheveux blanc, ancien de la Flotte armée Verte lui aussi, décrocha du reste et se mit en mode IA maximal pour essayer de comprendre/régler/réactiver issues.

 « Incident ! Incident ! » - Beuglait un des opérateur de la Comm Intranef. De telles urgences avaient lieu environ tous les dix ans. Tous les dix ans, en moyenne, un Spetz, sur sa Nef, pour des raisons qu’il avait intérêt à pouvoir expliciter par la suite à ses confrères et consoeurs Spetz, frôlait de trop près. C’est-à-dire en deçà des 1200 mètres exigés et requis lors du croisement. Il avait pu être prouvé dans deux de ces cas que la faute en avait incombé à un être humain. Une fois à un des officiers – Il croupissait encore en prison, l’autre fois à un Spetz – On avait retrouvé son corps dans un des quartiers excentrés de Galaxity Base Luna l’année de sa sortie de cabane. Overdose avait conclut l’enquête….

 Janet avec son fidèle bandana voyait qu’ils n’auraient pas le temps de déterminer le bon secteur de correction. Personne ne toucha à rien dans les 6 secondes qui les séparaient du moment fatidique. Elle ôta posément son heaume et regarda l’évènement par l’immense baie du prestigieux poste de manœuvre, comme les autres.

 

A bord du « Ponant », le Spetz chargé des commandes principales n’eut pas énormément l’occasion de s’affoler, il ne vit venir la catastrophe qu’à H moins 4 secondes. Son IA lui intima l’ordre de continuer sur la lancée actuelle faute d’aggraver encore plus la situation.

 

A 11 heures 16 minutes et 29 secondes, les champs de force de protection des deux vaisseaux spatiaux entrèrent en contact, friction qui allait durer moins d’une seconde. Sur le « Ponant », les patients et les soignants qui étaient les plus proches de la baie en plex eurent juste le temps d’assister au plus fabuleux orage magnétique qu’on puisse imaginer, leurs iris en étaient encore à enregistrer la vision lorsque la baie devant eux fut réduite en miettes. Dans le poste de manœuvre non plus, le Plex ne tint pas le coup. Dans les quinze secondes qui suivirent, le « Ponant », jouet de forces dépassant de beaucoup la résistance des matériaux qui le composaient, se fractura et s’ouvrit en deux par le travers. Dans quelques rares compartiments encore intacts, 17 personnes parvinrent à survivre dans ce qui n’était plus qu’un amas de débris qui flottaient dans le cosmos.

 L’énorme « Strong Maru », au choc, vibra de toute sa membrure. Ce ne fut pas un effet de type sismique qui secoua les œuvres vives du gros paquebot, on aurait dit plutôt la vibration d’une cloche – longue - qui fit tressaillir l’eau des bassins du centre nautique où nageait Hornak avec quelques autres. Les tympans des occupants de la Nef guettaient le moment où cesserait cet inquiétant grondement qui leur avait vrillé le crâne et fait se dresser leurs poils. Horn le velu, qui comprenait qu’il y’avait un problème et sûrement pas un petit, sortit de l’eau en hâte et se précipita vers les escaliers. Strhashna fut la seule occupante du bord à ne pas ressentir la secousse. Les quartiers réservés cétacés étaient sécurisés au niveau acoustique et vibratoire. Ils flottaient, comme une sphère suspendue dans un liquide qu’on aurait insonorisée avec soin. C’est d’ailleurs sur ce principe qu’ils avaient été conçus, afin d’épargner à leurs éventuels locataires les gènes du bruissement de la vie du bord.

 Les vérifications de la structure de coque et des équipements ne révélèrent aucun dégât sérieux sur le « Strong Maru ». Les stewards et commissaires de bord calmèrent les esprits des passagers qui s’enquéraient fiévreusement du pourquoi, du comment et de toutes ces choses.

 ……. Poste de manœuvre du « Strong Maru » – 10 minutes plus tard…….

 « Évidemment que nous avons cassé l’erre de la Nef dès que l’annonce de l’absence d’avaries sérieuses nous est parvenu, Commandant ! » - S’écria le Capitaine en poste au moment du choc, un peu en colère qu’on le prenne de si haut.  Baliver Leuyla se tourna vers les pilotes :

 « Combien de temps pour pouvoir faire un demi tour dans de bonnes conditions pour porter secours à d’hypothétiques survivants, les Spetz ?! » - Demanda le Commandant de Bord, court-circuitant les politesses auxquels ceux-ci estimaient avaient droit en temps ordinaire.

 « Nous pouvons être sur site dans une heure, Commandant. Si nous lancions des chaloupes d’ici, elles n’arriveraient pas plus vite que nous - C’est calculé - Hélas, Commandant.» - Répondit le Spetz premier Pilote qui avait reprit en main l’essentiel des processus en cours.

 Deux heures plus tard, deux chaloupes, progressant prudemment parmi les débris, localisaient les 17 rescapés du « Ponant ». En une heure, ceux-ci furent récupérés, transbordés et tenus éloignés des passagers ou bien emmenés à la clinique du paquebot. Le Pacha du « Strong », s’obligea à rester deux heures de plus dans les parages, autant pour s’assurer de l’absence d’autres survivants éventuels que pour recenser ce qui restait comme fragments importants de la Nef hôpital fracassée à flotter dans le vide intersidéral. La récupération des corps sans vie ne fut pas entreprise, la priorité était Mars, pour tout le monde ! Ordre fut donné de procéder à un second demi tour et le Transport Lourd de Rotation martienne « Strong Maru » eut à recalculer son cap en direction de la planète rouge. Janet avait passé la main au second pilote suivant mais elle s’obstinait à rester dans les parages des postes de gestion/guet système.

 « Je suis sûre qu’il y’a un problème ! » - Expliquait t’elle à sa voisine de pupitre. Sa part humaine s’échinait à fouailler l’informatique Vaev et à malmener les cohérences/cohésions structurelles dans le réseau Hyper du gros navire. Son IA, ordinairement plus querelleuse, lui obéissait comme un mouton bien sage à un gros chien de berger, inquiète elle aussi.

 ……….Conférence aux passagers – Hall noyau du « Strong Maru »……..

 « Comment cela, vo us avez fermé les liaisons transystèmes passagers ? » - Cria quelqu’un dans la pléthorique assistance de 2000 personnes. Le Commandant lui réexpliqua posément :

 « J’ai pris cette décision, c’est exact. Je le répète : Mars autant que Terra et les Régions mauves ont été prévenus de la tragédie qui vient d’avoir lieu. Les passagers qui seront éventuellement contactés par leurs proches parmi vous, auront réception et pourront répondre. J’espère qu’ils le feront avec calme et mesure ! L’émission libre et payante depuis le navire, en revanche, est suspendue pour un temps. »

 Un Chimp se leva, micro en main, et s’adressa à la tablée de responsables de l’équipage et de représentants des passagers pour ce vol, sur l’estrade.

 « Et nous devons accepter cela sans rien dire ? Nos enfants sont inquiets. Les miens ont prit l’habitude de converser avec leur mère, surtout depuis que nous approchons de la destination et que les liaisons se font plus brèves. Leur mère devra t’elle se contenter des bulletins, forcément officiels, et des News dramatisées sur le Voile martien ?»

 « Oui ! » - Admit le Commandant. Des murmures et même des exclamations d’indignation et de réprobation parcoururent la foule des passagers, peu habitués à être réunis ainsi pêle-mêle. Cela n’était arrivé qu’une seule fois, pour la réunion de bienvenue après le départ alors qu’ils dépassaient l’orbite lunaire. Zghirni, la veuve de Sgharn, en tailleur chimp élégant, se leva et demanda la parole à son tour. Une fois le microphone réceptionné, elle fendit calmement les trois rangs d’auditeurs devant elle pour se poster à mi chemin et s’adresser à l’assemblée.

 

« Nous sommes inquiets. On le serait à moins. Monter à bord d’un Transport spatial pour un an de voyage ininterrompu n’est pas aller faire un tour de canot sur un lac le dimanche, n’est-ce pas ? –  (Quelques rires nerveux émaillèrent le léger brouhaha) – Des enfants sont parmi nous, et c’est très bien ainsi que cela doit être. Les enfants et les parents sont tous réunis, que je sache la Rotation actuelle ne convoie pas d’enfant qui ne soit accompagné. – (Zghirni fit une pause pour s’éclaircir la voix) - En montant à bord, disais-je, nous avons convenus de nous comporter en adultes civilisés et responsables, en adultes pour les adultes et en enfants pour les autres. Et bien voilà, il est l’heure de faire droit à cette convention souscrite en embarquant comme des êtres de raison et non comme du bétail ! Attitude à laquelle il est crucial en pareille circonstance dramatique que nous nous tenions. Que les parents expliquent calmement à leurs petits que la vie continue. Si vous manquez d’inspiration, souvenons-nous qu’il n’y avait heureusement pas d’enfants à bord de l’autre Nef. J’ai fini – Merci Commandant ! ». – Déclara t’elle avant de se tourner en s’inclinant brièvement vers la tablée des orateurs et d’aller rendre le micro au steward/appariteur. Puis, la belle et élégante Zghirni après un geste furtif à ses sourcils, contourna calmement le coin gauche de la masse des passagers assemblés et s’en fut vers l’ascenseur principal sans un regard pour quiconque.

 Hornak et Strhashna - après avoir récupérés leurs souffles, un peu suspendus par la sortie verbale de Zghirni - se faufilèrent à leur tour et bientôt, à leur suite, de nombreux passager du « Strong Maru », emboîtèrent le pas à la Chimpe terrienne des îles Célèbes.

 Le Commandant Leuyla, une fois que la dispersion fut suffisamment évidente se laissa aller dans son fauteuil en poussant un long soupir de soulagement. Il appela une des commissaires de bord Chimpe assise non loin et lui fit signe de s’approcher. – « Faites savoir en toute discrétion, à la merveilleuse oratrice qui vient de s’exprimer que je l’invite à venir dîner ce soir en ma compagnie avec les personnes de son choix dans le mess réservé à l’équipage. Ne vous faites surtout pas remarquer. Merci Gherlka. » - Chuchota t’il contre son oreille.

 Pendant le temps de cette conférence qui durait depuis plus d’une heure, Janet avait rallié à elle cinq autres techniciens et officiers supérieurs, dont la physicienne Lysistrate présente à bord et responsable des générateurs de champs. Ils s’étaient réinstallés dans le centre de gestion opérationnelle du navire, un local plus nodal que le poste de manœuvre.

 « Comment a t’on pu laisser glisser le système énergétique d’un navire de cette taille vers de telles aberrations ?! » - Grommelait la druidesse, une vestale mauve à la retraite qui aimait trop l’espace pour descendre se prélasser bêtement au sol. Elle avait entré les données il y’a 35 minutes dans le gros calculateur Vaev de physique quantique et de thermodynamique appliquée du centre. « Les données ressortent, Ser. » - Indiqua Janet, assise aux pupitres de contrôle de l’Hyper. La vestale se rassit et consulta les grandes lignes des 4.9 tétabits de datas fournis par le cerveau Vaev le plus puissant dont disposât ce vaisseau. Elle pâlit jusqu’à ressembler aux poupées de porcelaine. Elle semblait aussi figée qu’elles, dans sa stupeur. « Appelez immédiatement – en urgence absolue – le Commandant de Bord de cette Nef ! » - Janet s’était levée et avait empoigné d’autorité le casque du responsable de la comm intranef, manquant de lui arracher une oreille au passage. Le Transport Lourd de Rotation le plus célèbre et le plus prestigieux de la Flotte ne reverrait pas la planète qui l’avait fait naître !

 ……..Quartiers de classe 2 – Pont 7 – suite collective 19…………                        

 Strhashna étreignait Zghirni qui tremblait comme une feuille. Hornak était dans la kitchenette, occupé à préparer un repas à la va-comme-je-te-pousse, mais chaud, et en urgence.

 « C’est fini, mère ! Là. Calmez-vous. » - Murmurait Strhashna.

 « J’aimerais bien qu’il en aille ainsi – mes os de la jambe m’élancent à nouveau. J’ai un mauvais pressentiment. » - Zghirni calma ses tremblements et força son diaphragme à s’apaiser. Horn apporta le plateau du dîner improvisé. - « Ce n’est pas la fin de la vie qui m’effraie, vous savez, c’est le spectre de la panique collective. » - Précisa t’elle en se saisissant du saladier soupière que lui tendait Horn. Les Chimps Amélios terrestres considéraient souvent qu’un endroit de votre corps qui avait eu à subir des lésions par violence devenait en quelque sorte ensorcelé, un peu magique, capable de deviner à l’avance les tendances et les intentions néfastes du destin à votre endroit et à celui des vôtres.

 « Ce sont des superstitions, mère. » - Dit doucement Hornak en entamant sa soupe.

 « Je ne dis pas que ce ne sont pas des superstitions, cher Horn. Je me borne à exprimer un pressentiment. Les pressentiments existent, eux, non ? » - Répondit la médecin/infirmière psy.

 Le détective Chimp se gratta le menton, Strhashna n’osait piper mot et buvait à petites lampées. Quand Horn avait fait irruption dans le quartier cétacé vide de toute autre personne, elle rêvait aux étendues marines, à leurs amis à nageoires. « Il y’a eu un problème lors du croisement entre les deux vaisseaux, Strhash, il ne faut pas rester isolés. » - Lui avait-il annoncé en entrant. Elle avait eu envie de hausser les épaules avec indifférence. Seule son affection pour le grand Horn l’en avait empêché. Ils étaient allés à la conférence et là !

 « Combien ont-ils dit qu’il y’avait de victimes dans l’autre Nef ? » - Demanda Strhashna.

 «  484 morts et disparus. » – Glissa Hornak avant de débarrasser et d’apporter trois desserts.

 « Nous sommes plus de 4600 à bord, équipage compris… » - Ajouta t’il en ouvrant le sien.

 « Et il reste deux mois de trajet. Tu crois que les chaloupes pourraient nous contenir pendant deux mois, Horn ? » - Demanda Strhash. Le Chimp secoua la tête – « Je ne sais pas. »- Dit-il.

 On sonna à l’entrée de leur suite. Zghirni posa sa serviette et alla ouvrir. Voyant que la petite commissaire de bord Chimpe depuis la coursive lui demandait d’entrer, elle s’écarta. Soulagée, l’autre se faufila et referma elle-même le sas avant que l’occupante des lieux ait eu le temps de dire ouf. Elle leur transmit oralement l’invitation à dîner du Pacha. « Pourrais-je avoir une réponse à apporter au Commandant ? » - S’enquit-elle en souriant.

 « Bien sûr nous viendrons – tous les trois – dites le lui. » - Répondit Zghirni avant de la raccompagner après que la velue eut prit congé d’eux avec un geste gracieux de la main.

 ..…au même moment…..Carré des officiers supérieurs……Pont de commande…..

 Le carré des officiers, celui-ci comme les autres était dans la zone Grav 0 du « Strong Maru ». Inutile de finasser, même pour boire un coup en catimini, les spatiaux professionnels n’avaient pas besoin de jouer aux rampants entre eux. L’heure était grave. La druidesse mauve physicienne finissait son exposé détaillé du diagnostic auquel ils s’étaient livrés.

 « ….ainsi, malgré tous les efforts que nous pourrions entreprendre maintenant, les trois centrales à fusion dont il est question ne pourront être arrêtées à temps. Même en sacrifiant du personnel. Selon ce que mon expérience me dicte, envoyer du monde se faire irradier en zone rouge ne changera rien au problème.» - Ayant dit, elle se raffermit sur son siège et remit machinalement quelques mèches grises, échappées durant son exposé des faits, dans sa résille.

 

Le diagnostic était clair : le choc entre boucliers protecteurs, les avait gravement endommagé et le « Strong Maru », fleuron de la Flotte civile, était condamné à brève échéance. Les spécialistes réunis autour de cette table en anneau hésitaient sur l’espérance de vie du navire.

 « Jusqu’à un seuil de dix jours nous sommes relativement confiants. A partir de 15, nous ne garantissons pas qu’au moins une des piles à combustible n’entre en fusion incontrôlée. » - C’était le chargé à la sécurité nucléaire du bâtiment qui avait parlé. Il avait fourni l’estimation la plus basse, celle sur laquelle ils s’entendaient tous.

 « Fourchette basse, évidemment ? » - Murmura le Commandant, juste pour clarifier.

 « Évidemment ! Avec 4600 personnes à bord… » - Fit l’autre en se rencognant à son tour dans son siège coquille avec une grimace de pessimisme consterné.

 « Monsieur le Capitaine chargé des systèmes d’évacuations ? » - Demanda le Pacha.

 « Nous avons un problème de vivres et ensuite un problème d’oxygène, Sir Commandant Leuyla. » - Dit un type enveloppé mais d’allure dynamique.

 « Cela nous le savons tous, Capitaine ! Essayez d’aller un peu plus vite en besogne ! Nous avons quelques soucis de Timing - figurez-vous - Mars doit pouvoir prendre au plus vite les mesures les plus adéquates. » - Lui balança leur patron avec une humeur de chien rancunier.

 « Puis-je/nous intervenir un instant, s’il vous plait ? » - C’était Janet (bien sûr).

 « Faites Colonelle. » - Dit Baliver Leuyla.

 « Le Capitaine a une approche raisonnable/rationnelle de la situation. Mon/notre expérience de l’évacuation d’urgence en période de conflit armé me signale que l’axe de réflexion principal devrait plutôt être : « Dans combien de temps les chaloupes peuvent-elles être secourues depuis Mars, puisque - par malchance - aucun Transport de Rotation, ni Lourd, ni Médium ne croise entre nous et notre Base d’attache. » - Janet avait parlé d’une voix douce presque flutée. Le Commandant Leuyla reprit la direction des débats et des opérations.

 

« Excellent ! Janet, vous êtes nommée responsable principale de l’évacuation. Capitaine ? Vous êtes à présent chargé des logistiques ! Je me rends au centre de comm longue distance. »

 

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  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
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