L'Aqua des étoiles

Seconde époque

« L’Aqua des étoiles »

(2345  -  2372)

Livre 1 : Europe.

Chapitre 12

Mars – 2345.    Terrier C –  zone Ruche.  (Conapt 112). 

Depuis la refonte du Terrier C, le nombre d’habitants de sa Zone Ruche avait beaucoup baissé. Le Conapt 112 agglomérait maintenant les neuf Conapts avoisinants. Le pool de formation en biologie y était sis. Ses unités d’habitations abritaient principalement les descendants de l’ancienne famille du 112 – D’où l’appellation/numérotation qui perdurait, par habitude. De nombreuses cloisons avaient disparu dans l’espace central et le plan de pressurisation de l’ensemble avait été entièrement repensé. Sur 7200 mètres carrés au sol et trois niveaux, cela avait déjà une certaine ampleur. Zoun sortit de sa suite après s’être occupée des petits animaux de ses serres.

Elle se massait pensivement le cuir chevelu en avançant dans les couloirs/coursives décorés, parsemés de plantations soigneusement entretenues. Sa mère Bosh’aül lui avait légué finalement cette manie, ce tic gestuel anodin. Comme elle, Zoun inhibait la pousse de ses cheveux avec un gel hypo. Depuis la mort d’Haskar, elle était venue s’installer ici. Avec ses 186 printemps c’était encore une splendide femme mûre, fort respectée sur la planète. La leçon de biologie terrienne dans le hall G dégénérait un peu.

 « Il n’y a pas de cétacés dans nos micro océans. » - Expliquait patiemment Mahül aux élèves.

« C’est dommage, ils sont magnifiques ! » - S’écria Ghaznî, sa fille de 17 ans, enthousiaste.

 « Tu as raison. Mais les cétacés ne vivent que dans les océans de Terra. » - Continua Mahül.

Grand-tante Zoun passa d’un pas pressé dans le grand salon d’enseignement pour se rendre dans son bureau, à l’autre bout. Ses oreilles, dont les longs lobes s’ornaient de boucles de jade, se fermaient au vacarme de ses petits neveux, petites nièces et des autres élèves qui harcelaient de questions Mahül, son neveu, également professeur en biologie, tout comme elle-même. Le vacarme persistait et le groupe classe s’agitait en consultant avec bruit les Bases de données bios. La leçon du jour portait sur un sujet qui allumait toujours les curiosités des jeunes : les cétacés. C’était une session informelle. Les gamins, dont l’âge s’étalait entre 12 ans et l’adolescence des teenagers manipulaient les screens et allumaient des registres audio beaucoup trop fort. Les mains sur les hanches, Zoun s’arrêta devant une paire de grands ados qui se chatouillaient au lieu de tenter de travailler un peu. Le garçon et la fille se voyant pointés du regard par Zoun, interrompirent leur manège. Leur groupe se tut et 15 paires d’yeux se tournèrent vers elle. Zoun choisit de remettre un semblant d’ordre dans ce chahut.

« Quelqu’un, parmi vous, peut-il essayer de deviner et d’expliquer la raison de l’absence de ces merveilleuses créatures dans nos mini océans sous Cavités, sur Mars ? » - Leur demanda t’elle en fronçant des sourcils sévères avant de se saisir d’une chaise et de s’asseoir face à eux. Mahül vola au secours de ces jeunes brouillons. Sa leçon allait lui échapper si Zoun s’en mêlait sans qu’il intervienne. C’est vrai que l’agitation était montée un peu au-delà des limites.

« En commençant par quel sous-type de raisons, Tante Zoun ? » - Questionna l’enseignant.

Ser Zoun Ramdzong regardait la quinzaine de visages de leur classe de travaux dirigés.

« Commencez donc par celles qui rendent compliquée leur acclimatation en mini océan. »

 « Ils sont voraces. Ce sont de redoutables concurrents dans le prélèvement alimentaire ! »

 C’était Mèhèlia qui avait parlé. Normal – songea Zoun.

« Excellente réponse ! Une seule petite troupe de dauphins aurait tôt fait de vider nos Cavités maritimes de tous leurs poissons. Et maintenant d’autres arguments – Allons, vite ! »

« Ils souffrent du manque d’espace et ils sont intelligents. » - Essaya le garçon qu’elle avait remis sur les rails du cours un instant auparavant.

« Tu veux dire qu’ils pourraient exiger de nous certaines choses ? Comme quoi, jeune homme ? » - Répliqua vivement Zoun. Mahül, derrière les enfants, baissait le nez vers le plancher de la salle. Il aimait beaucoup Zoun, ne pouvait-elle le laisser mener son affaire à son idée ?

« Augmenter le nombre et les volumes d’eau de mer captive en sous-sol… » - Dit le gars.

« Où est le problème ? » - Rétorqua Zoun, un peu déçue.

« Ben…euh… »

« Ser Professeur, je crois plutôt qu’ils nous interpelleraient par leurs non-dits et leurs silences. Non sans nous submerger de cliquetis Log sur des sujets secondaires.»

 Encore Mèhèlia ! Elle bossait toujours ses thèmes d’étude à l’avance. Zoun et Mahül formaient de grandes espérances pour son avenir.

« Sois plus précise Mèhèlia, puisque tu sembles être mieux au courant que ton camarade. »

« Et bien…les cétacés de Terra ont accepté l’Implantation Log de certains d’entre eux pour servir d’interfaces vivants entre leurs peuples et La troisième Charte, mais ils ont repoussé l’Amélio Prolongation vitale et la plupart des autres Amélios. »

« Peux-tu citer les espèces principales dont il s’agit ? »

« Pas toutes. » - Avoua la jeune demoiselle. Les élèves Chimps Amélios étaient maladivement perfectionnistes. C’était de toute notoriété, dans les milieux enseignants et ailleurs.

« Ont-ils formulé des demandes particulières en direction des deux espèces membres de La Charte que nous sommes ? » - Lui lança Zoun en guise de bouée de sauvetage.

« Ils ont demandé à ce que cesse leur pêche, en échange d’un effort d’auto régulation de leurs populations, Ser Directrice. »

« Ont-ils tenu parole sur ce point ? »

Ce fut le garçon qui sauta sur l’occasion pour se rattraper un tant soit peu. Il avait pianoté sur son workscreen pour récupérer son retard. Il avait tout l’air d’être un bon Opérateur Vaev.

« Oui, mais leurs espèces se régulent parfois en se dévorant entre elles. Cela choque nos us. »

Zoun se permit un grand sourire de satisfaction pédagogique, et en envoya un morceau vers Mahül qui se réjouissait, lui aussi, de l’allure générale prise par le débat – interrogation orale.

« Bien ! Et comment s’appellent ses affreux cannibales, jeune homme ? »

« Euh…eh bien…mais : les Orques, naturellement ! » - S’écria le jeune homme d’une voix exagérément claironnante, ce qui fit rire parmi ses coreligionnaires dans l’assistance.

« Chers élèves. Aux dernières nouvelles, il semble que les dauphins passent des accords entre eux et avec les espèces apparentées pour contrer leurs terribles cousines. De nombreux cadavres d’orques trop goulues s’échouent sur les plages de Terra depuis dix ans. Même une grosse orque ne peut survivre aux assauts d’une bande de delphinidés décidés à en finir avec elle.» - Les informa benoîtement Zoun tout en apaisant gestuellement leurs rires de la main.

Les cinq futurs citoyens Chimps martiens échangeaient de discrets regards et des tapotages en tactile Chimp. Les velus auraient voulu orienter le débat vers les thèmes suivants qui ne pouvaient manquer d’apparaître après cette déclaration de leur Professeur Biologiste éthologue. Comme ils savaient Mèhèlia la plus qualifiée, ils lui demandaient de se lancer.

« Professeurs ? » - Demanda la Chimpe Amélio qui commençait à atteindre sa taille adulte.

Mahül s’était résolu, en désespoir de cause, à approcher sa chaise de celle de Zoun. Les deux biologistes, augustes descendants du célèbre Yacine (et de Bosh’aül, la non moins fameuse biologiste Sino-mongole), indiquèrent à la jeune Mèhèlia qu’elle pouvait poser sa question.

« Que font les cétacés géants, enfin, les baleinoptères, dans cette sanglante lutte maritime ? »

« Difficile question, chère élève. – Répondit Mahül – Les baleines ne craignent vraiment les orques que lors de leur parturition, puis lorsqu’elles protègent leurs baleineaux en bas âge. Et elles ne discutent pas directement avec la Charte. Elles chantent ! Elles ne dialoguent pas avec nous. Contrairement aux delphinidés et aux orques.»

« La Charte pourrait décréter l’espèce Orque coupable d’atrocités et les obliger à subir une Implantation inhibitrice d’agressivité envers leurs cousins. Nous, les Chimps, en sommes ou en avons bien été dotés, après tout.» - Continua timidement Mèhèlia.

« Difficile à mettre en œuvre, quoique pas infaisable techniquement en y mettant le temps et les moyens. » - Admit Zoun, amusée – « Qui peut nous dire pourquoi toutefois nous ne le ferons pas ? »

« Parce que les delphinidés ne nous l’ont pas proposé et qu’ils n’ont pas voulu poursuivre les palabres inter espèces lorsque nous avons tenté d’aborder le sujet ? » - Proposa Ghaznî.

 « Observez, jeune gens, à quel point l’appartenance à une même famille, liée aux enseignants en charge, est une posture délicate pour une élève ! » - Rigola Zoun en regardant sa petite-nièce fondre sur sa chaise en rougissant - « D’une affaire de morale, ils glisseront aux questions politiques tels des termites obsédés. Nous en resterons là pour aujourd’hui. Ta proposition n’est ni idiote, ni fausse, Ghaznî. Seulement incomplète. Je vous laisse entre les mains expertes de Sir Mahül. A bientôt jeunes gens, vos progrès me paraissent satisfaisants.»

La Ranke 3 chauve se leva et les planta là. Elle referma la porte de son bureau et alluma les puissantes unités Vaev. Tandis qu’elle préparait son travail à venir, son esprit finissait de clore le débat, à présent qu’elle avait quitté les jeunes martiens avides de savoirs et de plaisirs.

« Les Terriens ne nous laisserons jamais embarquer des cétacés pour une acclimatation sur Mars. Ils ont beaucoup trop peur de ce que nous pourrions faire avec eux. Après que nous ayons accédé à la demande des Chimpanzés modifiés de devenir Citoyens à part entière, ils n’allaient pas nous donner les moyens de procéder à des modificatio ns sur une autre espèce. Curieusement, le refus poli, mais strict, des delphinidés à une adhésion ou une coopération approfondie avec les humains et les chimps dans le cadre de La troisième Charte arrangeait tout le monde ! »

 Elle appela Eligio Gomez qui avait été envoyé par ses soins en tournée dans les Terriers pour faire discrètement le point des avancées en Amélio Prolong Chimpe. Les toubibs Biotechs tentaient d’obtenir des progrès en allongement de l’espérance de vie de leurs amis et concitoyens velus. Les humains Amélios Ranks 3 nés en Cavités profonde sur Mars semblaient pouvoir prétendre à 250 voire 260 années d’existence. Les Chimpanzés Amélios Prolong de rang 3, eux, ne dépassaient guère le cap des 125 ans de vie. Sur Terra aussi le problème commençait à faire l’objet d’efforts sérieux. C’était moins une question d’«égalité » éthérée qu’une affaire de dynamique sociale. Surtout sur leur planète : Mars, où la coexistence sur un faible espace faisait cohabiter étroitement leurs deux espèces. Vous pouviez voir mourir un camarade Chimp et ensuite ses enfants, ses petits-enfants, etcetera, avant de commencer à vous voir vieillir un peu vous-même. Emotionnellement, c’était atroce…Réduire l’écart semblait très souhaitable. Elle dénicha enfin Eligio Gomez, il était au Terrier F, et elle demanda au réseau une liaison holo protégée qu’elle crypta elle-même.

« Le Bonjour Zoun ! Que me vaut l’honneur ? » - L’hologramme d’Eligio la salua.

« Bonjour Eligio. Je viens d’avoir une séance avec les gamins à propos des cétacés…Cela m’a fait penser à notre tournée. As-tu des pistes ? » - Zoun, dont le crâne chauve luisait sous les lumières du bureau, regardait l’hologramme de son interlocuteur. Ses yeux de braise et ses cheveux toujours jais donnaient à Eligio Gomez un air juvénile, malgré ses 145 ans.

« C’est possible. Je dois me rendre à la Série Ω – β pour y vérifier que mes informations récentes ne sont pas des bulles de savons ou des fata morgana… »

« La Taupinière  Ω – β ? Chez La Kroenard ? »

« Chez les spatiaux, dans le cas qui me préoccupe, plutôt. »

« Oho ! Je suis toute émoustillée. » - S’amusa la biologiste.

« Pas moi…l’histoire sent un peu le fagot à dire vrai. Les Biotechs Modif spatiaux mauves me filent les chocottes. Je ne suis pas formé pour résister à vos sombres entreprises Bios, moi !»

Le visage d’Eligio restait fermé aux tentatives de blaguer de Zoun. Il avait entendu des rumeurs et s’apprêtait à aller vérifier sur place. Il aurait nettement préféré qu’on lui envoie de l’aide plutôt que de se marrer. La Biologiste chauve du Terrier C finit par s’en rendre compte.

« Tu veux un coup de main de sécurité, c’est ça ? » - Dit Zoun en se mordillant les lèvres.

« Si tu en a le pouvoir, je crois que ce serait préférable…et plus prudent, Ser Zoun ! »

Le cerveau de la Sino-marocco-mongole surfait à toute vibure sur ses Implants internes et elle s’acharnait sur des manips de signal à son Unité Vaev. Il fallait gagner du temps.

« Ne bouge pas d’où tu es Eligio, reste au Terrier F. Je t’enverrai quelqu’un. Ne prends aucun risque inconsidéré surtout. »

« À vos ordres, chère conspiratrice. » - Répondit Eligio, soulagé, souriant enfin à son tour.

Zoun coupa la comm. Holo. – « Qui allait-elle bien pouvoir dénicher ? » – Elle appela en crypté le vieux Willario Somson. Le très vieux Rank se trouvait pour l’heure chez la mère d’Eligio au Terrier U, justement, sur qui Zoun tomba après son appel en α-crypt.

Brujilla Gomez, alias « La Bruja », ex Commandante Générale en chef de la Flotte martienne de défense, première Pilote Implantée de Guêpe, regarda de ses yeux usés le visage chauve de Zoun Ramdzong à l’écran.

« Ce qui est pratique avec toi, ma fille, c’est qu’on te reconnaît rapidement à l’image ! Pourquoi ce gros cryptage Signal ? » - Demanda la vieille druidesse d’une voix légèrement chevrotante.

« J’ai un problème de sécurité « Bruja », vous pouvez m’aider ? »

« Cela concerne qui ? » - S’enquit son interlocutrice, haussant les sourcils.

Zoun prit sur elle. Elle ne tenait pas à lui avouer qu’il s’agissait en l’occurrence de son fils.

« Un…agent que j’ai envoyé en tournée de collecte de renseignements, Ser Générale. »

« Tu te lances dans l’action clandestine, Zoun ? – S’étonna la vieille femme – Fais gaffe : ça brûle ! » - La silhouette de Will Somson apparut derrière elle. La Gomez l’avait appelé par braç-comm onze secondes plus tôt. Le cryptage de l’appel avait déjà mis la puce à son oreille.

« Salut Zoun. Un souci ? » - Dit Willario en se penchant vers les caméras.

« J’ai besoin de spadassins fiables. Je ne peux pas m’adresser ouvertement aux autorités. »

Les deux vieux Ranks échangèrent, à l’autre bout de la liaison, un long regard éloquent. La « Bruja » opina du bonnet en direction de Zoun, l’air tout à fait alerte et réveillée dorénavant.

« Alors voilà. Écoutes très attentivement les deux questions suivantes, Zoun - au nom de Mo Magda….Primo : ton agent est-il en ce moment même en danger ou non ? Secundo : peut-il se planquer en hérisson le temps qu’on se retourne – disons, deux jours ? »

« La réponse est non à la première question et oui à la seconde. » - Affirma Zoun. 

Willario Somson fut sur le point de lui demander des éclaircissements. Zoun et lui se connaissaient depuis si longtemps puisqu’il avait été l’un des plus proches amis de ses parents. La Ranke Bio, dans son bureau du Terrier C, réussit à le dissuader de le faire d’un bref coup d’œil. Il y’a 25 ou 30 ans, Willario aurait lâché l’affaire, mais après vingt ans passés à côtoyer quotidiennement, à peaufiner et déployer en écrits la biographie complète de Zdenka Placek sur Terra, il ne se contenta pas d’une simple attitude de mutisme absolu.

« Nous avons bien compris Zoun ?! Confirmes-nous qu’il s’agit bien des autorités de Mars dont tu te méfierais éventuellement ? » - Demanda t’il de sa belle voix de baryton.

« Je le confirme. Que comptez-vous faire ?»

La « Bruja », à l’écran, ricana légèrement avant de renifler, non sans un fugace rictus.

« Ne t’occupes pas de cette partie là ! De qui d’autre ton agent semble t’il devoir se méfier ? »

« Il a parlé des mauves de Région Jupiter/Saturne, des médics Biotechs Modif surtout. »

« Bien. Ça ne devrait pas être une complication supplémentaire à notre niveau. Rappelles-nous en crypté demain soir. »

Ils coupèrent la liaison ensemble. Devant ses screens Vaev éteints, Zoun tremblait légèrement, comme un cheval avant la course dans son box. Elle avait mit son nez dans cette histoire en mémoire de Mo Magda justement. Et aussi en celle d’Haskar, le tout premier Chimp Amélio citoyen de la Communauté Verte martienne, dont elle avait partagé le destin si longtemps. Eligio lui aussi agissait au nom de tous les Chimps émérites dont il avait pu croiser le chemin.

« J’ai raison ! L’enjeu vaut que l’on courre des risques pour lui. » - Songeait-elle en retournant vers sa suite privée.

 ……Terrier U de Nuevo Tampico – Cavité 20.  Cottage de Brujilla Gomez………

 Brujilla Gomez et Willario se répartirent les tâches. La « Bruja » avait sans doute quitté son luxueux Conapt de la Ruche, à quelques centaines de mètres de roche martienne au-dessus de leurs têtes, mais l’essentiel de son matos High-Tech était là, planqué dans le petit cottage aux allures faussement vicinales. Des cloisons coulissantes ou blindées furent ouvertes dans certains murs et d’étroites alvéoles remplies d’appareils dernier cri de Comm et de gestion à distance apparurent. Les deux vieux Ranks allèrent se faire un café et avalèrent quelques cachetons puis ils revinrent, et s’assirent chacun à un siège coquille face aux pupitres.

La première heure, Brujilla s’occupa de reconfigurer ses systèmes et de réactiver des procédures de protection et de lutte clandestine sur les Unités informatiques Vaev. Willario, pendant ce temps, appelait les amis Chimps assez jeunes et entraînés pour accepter de se lancer dans la baston qui, selon toute vraisemblance, approchait au galop.

"C’est bon, tout est Okay, Will. - Puerco de dios !  - J’avais oublié que c’était si fatigant. »

« On crée une équipe tout-terrain ou plusieurs différenciées, Brujilla ? »

« Difficile à dire. Elle ne nous a pas décrit le paysage de leurs exploits par le menu… »

« On fait au mieux alors ! Qui appelle Terra ? » - Demanda Somson.

« Moi ! Mon cher Sénateur ! La militaire ici, c’est moi. Toi, tu n’es qu’un vulgaire pékin… »

« Sacristi, tu es vraiment d’une grossièreté de soudarde, Générale Gomez ! » - Se plaignit le vieil homme, le diaphragme soulevé par un petit rire sec.

« Les combattantes Lysistrates sont des soudardes, Will. Sérieusement, mon carnet d’adresse sur Terra est mieux accordé à nos objectifs que ne l’est le tien. Fin de la discussion – Basta ! »

Les longs trains d’ondes radio chaînées en α-Crypt commencèrent à être patiemment échangées entre la planète rouge des Terriers et la planète bleue des origines. Compte tenu du temps de transmission et des décalages horaires intra planétaire, les deux vieux Ranks Amélios ne pourraient se coucher que par courtes vacations et par roulements. Un des rares avantages de leurs âges canoniques restait la faculté, avec un petit coup de pouce de leurs Implantations et de la chimie Biotech, de tenir éloigné le sommeil. Quatre heures après la Comm de Zoun, ils avaient déjà mobilisé six personnes qui les aidaient et préparaient la suite au cottage. Une vingtaine de personne dispersées ailleurs sur la planète étaient réveillées et leur prêtaient main-forte. Une demi douzaine d’amis, sur Terra, étaient d’ores et déjà alertés.

Voroï les rejoignit au Cottage dans la nuit. Deux jeunes Chimp martiens du Village de la Cavité de chasse et d’entraînement U 20 avaient été requis pour aller chercher en module le très vieux Singe Amélio de Terra émigré, dans sa villa isolée de la Cavité. Il n’aurait plus su se défendre d’une attaque de prédateur en venant à pieds…enfin, à pattes.

« Le Salut, amis ! » – Dit-il en découvrant l’agitation qui régnait dans la maison.

« Le Salut Voroï ! Merci d’avoir fait diligence. » - Dit La Bruja, lâchant un peu son pupitre.

« Je ne vois pas Eligio, il est où ? » - S’étonna Voroï en se grattant le front.

« Nous pensons qu’Eligio est l’une des personnes qui sont les agents déclencheurs de toute cette urgence et de ces mobilisations, Voroï. » - L’informa sommairement Brujilla.

« Danger physique - pour lui ? » - Demanda le Chimp au pelage presque intégralement blanc.

« Très probablement. » - Intervint Willario en venant les rejoindre.

Le Chimp se lissa les favoris. Un air sombre se peignit sur son visage. Puis il demanda :

« Montrez-moi un poste de Comm libre et sécurisé. Je vais appeler quelques agents Chimps terriens infiltrés dans votre beau pays. Puisqu’ils sont mandatés en dehors de tout accord garanti par La Charte, je vous demanderai d’être comme les trois bons petits singes. »

 Voroï, malgré son long séjour ici, était toujours un terrien, il n’avait jamais accepté de tout à fait cesser de se moquer des humains martiens et de leurs projets. « Votre beau pays » était une expression qui, appliquée à Mars, pouvait à elle seule déclencher une bagarre dans les terriers. Quant aux Surfaciers, ce type d’humour était à bannir absolument en leur présence sous peine de recevoir une amende ou une peine au Tribunal civil où ils traînaient invariablement l’audacieux plaisantin. La planète rouge restait une contrée sauvage, dangereuse. Beaucoup de Verts la quittaient dès qu’ils le pouvaient. La proposition du vieux Chimp de dévoiler ses pions infiltrés semblait très inhabituelle aux deux humains.

« Tu es certain ? »

« Tout à fait certain. Ceux que je compte joindre sont des gars et des filles très fidèles à ma vieille personne, et assez fiables pour partager en silence les opinions que le Chimp fou que je suis prône depuis bien longtemps. La plupart on été formés ici même par mes soins.»

« D’accord. Nous ferons comme si nous les découvrions en cas de coup dur. »

« Et les druidesses ? » - S’enquit finement Voroï.

« Zoun, la responsable de cette sombre opération, refuse de se fier aux autorités de Mars. »

« Mo Magda m’a laissé quelques noms de druidesses sûres avant de mourir, cela fait longtemps, mais on pourrait essayer… Je ne peux pas me charger du contact avec elles en revanche. Elles n’écouteront probablement pas un vieux Chimp…Terrien de surcroît. »

« Télécharges-les sur mon Unité Vaev. Celle là-bas, je m’en charge – Soupira La Bruja – Will, tu peux prendre le relais des transferts et des Comms vers Terra ? »

Voroï alla appeler ses mystérieux « infiltrés » en s’abritant sous un champs iso après avoir transmis les datas en Crypt sur l’Unité de La Bruja. En se rasseyant pour en prendre connaissance, cette dernière eut le choc affectif de ces dernières années. Sur les données fraîchement chargées par Voroï, apparemment issues d’un Data cristal, Magda Jagelska avait laissé un message Holo-Vid complet et de nombreux reflets affectifs subsistaient à travers les fichiers. Troublée, La « Bruja » s’obligea à jeter d’abord un coup d’œil à la liste d’identités de druidesses elle-même.

 - « Evangelista, la mère des enfants de Serguei !... » - Songeait-elle en épluchant le fichier.

 La liste comportait une soixantaine de noms parmi lesquelles elle reconnut des membres des ailes Lysistrates qui avaient combattu sous ses ordres. Six avaient été descendues à des dates diverses se souvint elle. La Bruja vérifia sur le Voile martien les identités toujours vivantes. Certaines avaient des descendantes elles-mêmes versées dans les brigades de druidesses vertes.

La Bruja appela Serguei. Le « Prince » des Taupes venait de se réveiller dans son Conapt sur l’autre hémisphère planétaire. Il se traîna devant ses screens, ses cheveux  toujours hirsutes.

« Ça alors…une revenante. Salut belle mex ! »

« Bonjour, vieux moujik ! Tu as conservé des contacts avec ton ex légitime ? » - Avec Serguei, le mieux était la tactique de l’étourdissement. Si possible sur un rythme endiablé.

« Evangelista ? Bien sûr. Qu’est-ce que tu lui veux ? »

« La danse est relancée mon sacré vieux creuseur de trous ! On a besoin de personnes sûres. »

« Qu’est-ce que tu racontes, Bruja ? Loca ! Evangelista à presque le même âge que nous. – Ah ! Je vois…tu penses à ma petite-fille plutôt !….j’aurais dû m’en douter, vieille bête ! »

« Tu as tout compris ! J’ai son dossier sous les yeux, elle m’a l’air très bien cette petite…»

« Grrr ! Maudite sorcière ! Elle est en vacances en ce moment…Véviana, pas Evangelista. »

« Sur Terra ?! »

« Non. Au Terrier des glaces. Ecoutes, fais-moi une fleur Générale de malheur : Je parle un peu de la chose avec sa mère pour couvrir mes vieux abatis et je te rappelle - Okay Brujilla ?»

« Ça urge Serge ! Quelque chose démarre et on ne sait rien de rien.»

« Je t’aime quand tu es rassurante, Brujilla – Une vraie mère poule ! Je ne serai pas long. »

« Tu ne crois pas si bien dire, Serguei… ». Eut-elle le temps d’ajouter avant qu’il ne coupe. Le chef des Tunneliers martiens toutes catégories ne se défilerai pas. Brujilla avait vérifié maintes fois que l’on pouvait compter sur lui et sur ses humeurs faussement moroses.