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Solar Ranks
7 janvier 2010

(Palets qui volent, labours finis)

Mars -  2310 – Terrier de Votam – Cavité de chasse 20.

 

Voroï, le Chimp Amélio terrien, avait repris l’ancien chalet isolé de Mo Magda. Il marchait vers le Village. Sire Haskar, un quart de siècle auparavant, avait insisté en ce sens auprès du peuple Singe Amélio martien. Le premier des citoyens velus avait plaidé sa cause :

 « Voroï et les Chimps bleus comme lui, ont fait davantage pour nous, les citoyens velus verts, que n’importe qui d’autre dans nos rangs ! Son attachement à l’héritage de Mo Magda mérite que l’on lui laisse occuper l’ancien antre de notre chère vieille druidesse. » - Avait-il plaidé.

 Voroï, fils de Ghsar, ralentit l’allure. À son âge il n’avait pas envie de se colleter avec le prédateur. Il reniflait pourtant sa présence. Sans parvenir à le localiser avec suffisamment de précision. Voroï était encore robuste et musclé, le goût de tuer, lui, avait disparu de son âme.

 Le gros lynx mâle, perché sur une basse branche, suivait des yeux le Chimp, il se laissa choir souplement au sol et se ramassa, tapi et prêt à la détente. Voroï cessa d’avancer et huma l’air brièvement, la bête était là, aux aguets, à environ trente mètres de lui. Voroï s’accroupit, se saisissant de ses deux longs poignards effilés, et il les planqua dans ses amples manches en reprenant sa marche en bipédie.

 

Quand le gros félin jaillit des taillis, au bord du chemin, il n’eut qu’un geste des deux bras qui se croisèrent en un éclair d’acier. Juste sous le cou de l’assaillant, tandis qu’il esquivait. Le lynx, retomba sur le dos derrière lui, la gorge ouverte. Ses pattes battirent l’air quelques minutes et s’immobilisèrent. Le gros chat mourut. Voroï se redressa, et essuya ses lames à un chiffon, tiré de sa besace, qu’il imbiba avec une fiole, avant de les remettre aux fourreaux.

 « Sale bestiau ! Tu aurais été mieux inspiré de passer ton chemin ! » Dit-il tout haut à la dépouille de l’animal. « Il doit bien peser dans les 160 livres.. » - Constata le Chimp Terrien.

 Jadis, il aurait embarqué l’animal pour le dépecer lui-même. Aujourd’hui, la perspective d’avoir à porter la splendide créature fatiguait Voroï à l’avance. Jamais un lynx de Terra n’aurait ainsi bondi sur le râble d’un Chimp. Mais les prédateurs d’ici, dans la Cavité de chasse, étaient munis d’Implants qui stimulaient chimiquement leur agressivité. Il appela simplement le poste des gardes-chasse en leur signalant la position du félin mort. Il marqua les lieux avec des branchages et poursuivit sa route, vers le Village Troupe. Les tanneurs et les fourreurs seraient trop heureux de récupérer la splendide toison pour en faire leur ouvrage.

 

Depuis 67 ans qu’il avait débarqué pour la première fois sur Mars, Voroï avait abattu énormément de travail. Il n’était retourné que deux fois sur Terra durant tout ce temps.

 Les Chimps Amélios verts et les immigrants Chimps de Terra ne succombaient à présent plus guère aux sirènes insidieuses du Parti des Chimps Verts d’Eligio Gomez. Depuis que lui et quelques autres, verts et bleus alliés pour la circonstance, avaient entreprit d’arracher le masque de respectabilité derrière lequel ces derniers dissimulaient leur tentation xénophobe.

 « La Grande nous a sacrément épaulés, il faut l’avouer ! » - Songeait Voroï, pensant avec tristesse au départ de Tsourhna Barnes. - « Où peuvent-ils bien se trouver en ce moment ? » - Se demanda t’il en voyant s’approcher la dernière colline avant la descente vers le village.

 Voroï comprenait parfaitement que le voyage entreprit par la très vieille Chimpe l’année précédente, était effectué sans aucun esprit de retour. Tsourhna Barnes ne s’était jamais résolue à opter pour une identité claire. Elle prétendait, avant de quitter l’espace circummmartien, que son choix de ne pas avoir à gérer son corps après sa mort, ni sur Mars, ni sur Terre était uniquement dû à sa méfiance envers les éloges et les récupérations politiques. Ceci dit, Voroï, en Chimp Amélio averti, n’en croyait rien. « C’était une excuse ! Elle résout, ce faisant, des problèmes tout à fait propres à la personnalité individuelle, particulière, qu’elle était ! Toute l’histoire de sa vie de citoyenne, de combattante et de Chimpe, l’envoie se suicider loin des regards. Point à la ligne. Elle ne s’est jamais  pensée ni vraiment comme une Singe, ni vraiment  comme une humaine…et  flûte, je pense déjà à elle au passé ! »

 Le « grand » : Haskar, leur avait le premier, indiqué des éléments utilisables contre leurs adversaires. Les Chimps Amélios de Nuevo Tampico avaient patiemment et entièrement réhabilité les contenus réels des dits et des écrits de Mo Magda Jagelska. Le rôle fonctionnel de quasi Sainte dont elle jouissait, encore aujourd’hui, chez les Chimps de Terra, avait été ici balayé de fond en comble, au sein de la communauté des velus verts.

 Sur Mars, ils avaient coupé l’herbe sous les pieds d’Eligio et des fondamentalistes Chimps. « A l’heure qu’il est… Eligio Gomez est aussi peu en odeur de sainteté que sa mère est encensée. » - Se réjouit Voroï en arrivant en vue du Village. La « Bruja » l’attendait dans sa maisonnette proprette. A 210 ans, la vieille Ranke 3 avait quitté Nuevo Tampico Ruche pour venir s’installer ici, dans la Cavité 20.  Rejoignant la vieille au centre de la salle à manger, Voroï fit honneur au repas concocté par l’ancienne. Ils allèrent ensuite rendre hommage, avec les autres, sur la tombe d’Haskar pour l’anniversaire de sa mort, derrière le village.

 Zoun et Zdenka soutenaient Sir Issa qui avait voulu participer debout à l’hommage et toussait affreusement après avoir lu un court poème d’Egon. Il dût se rasseoir dans son fauteuil, épuisé.

 Eligio Gomez, effacé, discrètement à l’écart, assistait, immobile et silencieux, à la cérémonie. La Bruja ne lui accorda que deux regards, un en arrivant, et l’autre avant de s’en aller. Regards qui semblaient traverser la silhouette de son fils sans s’y arrêter.

 - « Père Ghsar avait tort : les Chimps Amélios d’ici ne sont pas moins cruels que ceux de Terra. » - Songeait Voroï en observant la dispersion. Les citoyens velus passaient à côté de l’humain, ex fondateur du Parti des Chimps Verts, en le bousculant ostensiblement tout en grommelant des excuses au passage, qui étaient autant d’insultes déguisées et cuisantes. Seuls une poignée de Chimps très âgés s’adressèrent à lui comme à une véritable personne. 

 Eligio, bousculé par les Chimps rentrant chez eux, songeait, lui, que le départ de la vieille Tsourhna le laissait définitivement isolé. Chez lui, le paria conservait pieusement les longues lettres qu’elle lui avait envoyées au cours de ces dernières années, après sa disgrâce. Le vieil Issa passa devant lui en le saluant. Le Sénateur à vie ralentit son avance et se cala devant lui.

 « Le Bonjour Eligio. Vous vous en sortez ?» - Demanda le Rank depuis son fauteuil électrique.

 « Non ! Je suis coincé dans mes erreurs passées, monsieur le sénateur. » - Dit-il sombrement.

 « Allons ! Venez donc nous visiter, à l’occasion. Il ne faut pas ressasser ainsi. ». Lui lança Issa avant de rejoindre Zdenka et Zoun qui s’éloignaient vers leurs modules. Eligio savait que les Sénateurs à vie le prenaient en pitié. Malgré tout, ils ne s’abaissaient pas au niveau des autres verts. Ils ne lui jouaient pas la comédie, il s’en était persuadé lors de ses dernières visites à la Caldeira. Zdenka et Issa sentaient confusément le lien secret et subtil qui liait Gomez à leur fille adoptive. « Deux inadaptés ! » - Songea amèrement Eligio, le cœur plein d’une humiliation et d’un auto apitoiement lamentables. Les bousculades des Chimps, un instant auparavant, en ce jour de mémoire, l’avaient blessé plus qu’il n’aurait su se l’avouer.

 Les psychiatres eux-mêmes, avaient cessé de lui accorder leur attention et refusaient leurs soins et leur écoute au fantôme virtuel qu’il était devenu. La seule décision logique pour lui aurait été d’émigrer sur Terra et de s’y tenir à l’écart des Chimps Amélios terriens qu’il avait agoni de ses invectives si longtemps. Eligio y pensait souvent, mais la honte l’arrêtait plus sûrement que tous les quolibets dont son nom faisait maintenant l’objet ici.

  « Il ne faut pas, jamais, se mêler des histoires qui ne vous regardent pas ! » était la phrase la plus fréquemment murmurée à son passage, d’un air entendu, par ses « frères » humains.

 Sa mère, revenue sur ses pas, avançait vers lui. Eligio attendit qu’elle soit à deux pas de lui.

 « Bonjour Mère. »

 « Bonjour Eligio. ». Cela devait faire au moins vingt ans qu’elle n’avait pas parlé en sa présence en utilisant son prénom. « Je voudrais que nous arrêtions de nous déchirer le cœur chaque fois que nous nous croisons, fils ! » - Lui dit-elle. La Bruja voulait dévider l’écheveau de ce qu’elle retenait depuis si longtemps en elle.

 « Je ne crois pas être un individu très fréquentable, Mère. » - Dit-il, yeux baissés vers le sol.

 « Tu n’es pas uniquement un individu, Eligio.- Soupira Brujilla - Tu es mon fils. Mon dernier enfant vivant. Tu t’es trompé, et tu as trompé d’autres personnes. C’est grave, mais appartient au passé. Ton sillage n’est pas pour autant figé dans le marbre à jamais ! C’est ce que je crois… » – Sa mère était nettement plus avare en mots d’habitude -  « Tu n’as peut-être même pas encore couvert seulement la moitié de ton chemin de vie. » - Ajouta t’elle en le scrutant.

 Eligio regardait parler sa mère, en silence. Ses yeux noirs buvaient inconsciemment l’image de La Bruja, lui attribuant toutes les qualités qu’il lui trouvait lorsqu’il était encore un enfant. Comment était-il possible que sa flamboyante mère soit devenue cette vieille femme à l’allure presque effacée ? Il leva les bras d’un air las. Sa mère finit d’annoncer ce qu’elle venait livrer.

 « Voroï est chez moi, jusqu’à demain matin…. Mais si tu veux venir me voir, à l’avenir, je t’accueillerai volontiers. A toute heure du jour ou de la nuit. Voilà. » - Conclut l’ancienne.

 La Bruja, ne trouvant plus rien à ajouter, se tut, et s’enfuit d’un pas pressé dans l’obscurité vespérale. Comme disait Trajan Louniecko : « chacun scanne ce qu’il peut. ». « Les dérives politiques néfastes n’allument pas les scanners automatiquement ». (Disait-il encore).

 Le citoyen humain Eligio Gomez rumina encore quelques semaines, boudé des Singes autant que par les hommes. Puis, il revint fréquenter régulièrement sa mère dans la maisonnette du Village de la Cavité de chasse U 20. Longuement et fructueusement, ils parlèrent.

 

« Palets qui volent, labours finis. Pourquoi sommes-nous donc si inquiets ? »

- Blague  d’Egon, rapportée dans - les Cahiers de Yacine.

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Solar Ranks
  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
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