(l'accouchée)

À  neuf ans de là… 2160 - Cavité 2 – série C – Mars.

Dans les dernières cavités de la série C – Terrier C.

 Comme dans tous les réseaux de galeries et de caves Vertes, on trouvait ici un fond. Dans les dernières cavités de la série C, dans les Utérus les plus profonds, sous deux kilomètres de roche martienne, vivaient quelques familles groupées en maigres hameaux. La lumière y était fort parcimonieusement répartie, ne variant pratiquement pas et n’étant pas soumise à des cycles réguliers. Les années qui avaient vu leur percement étaient pourtant les moins éloignées dans le temps. Mais Y descendre, plongeait les étrangers dans un sentiment viscéral de temps à rebours. « Là était le cœur même du dispositif dynamique des terriers Verts. ». Du moins est-ce ainsi que raisonnaient leurs habitants, ces petites tribus des fonds.

 Que l’on n’aille pas s’imaginer des bassins à fermentations visqueuses, ni je ne sais quels lacs acides avec fumeroles et autres viscères puants flottant à la surface ! -  C3, C2 et même C 1, étaient fort propres. Les Pexs y veillaient dirigés par la centrale Vaev de chaque cave.

 Yasmina, selon l’état de la route et son tracé assise ou penchée sur son Quad, avalait les cavités les unes après les autres, vers les fonds justement...

 L’installation à demeure de colons n’avait été prévue ni pour C1, ni pour C2 au départ. On s’interrogeait en ce concernait C3. Ce n’étaient que les lieux où des installations techniques, où les pompes et une centrale à énergie à l’échelle du Terrier C rendaient possible les échanges de matière principaux. Il y’avait des réseaux de pompage dans toutes les cavités série C aussi, certes, mais ici battait le cœur des plus importants. On y trouvait des industries mécaniques également, les moins polluantes.

La tradition en fait remontait à l’époque de la sortie et du sauvetage des populations rescapées du bombardement au cobalt du Terrier B. La centrale énergétique des pompes et les installations profondes, avait constitué en 2135/36, l’unique ressource pour les survivants. Sauf à remonter chercher des matériels dans les étages irradiés. Ce qui n’était pas très facile…

 Lorsque les 2300 prisonniers Mauves furent par la suite déportés dans le terrier B que leurs chefs avaient eux-mêmes dévasté, l’accès à ces fonds leur avait été bien évidemment interdit. Un tunnelier rapide avait creusé à la hâte des puits verticaux à l’aplomb et une petite garnison de druidesses vertes  gardaient les sas entre B 3 et les cavités du dessus. Les captifs devaient se contenter des cavités bio épargnées et recevaient aide et nourriture par le sas.

 Donc, fin 2135, lorsque les cavités de la zone Ruche du terrier B avaient fondu, les rescapés, bloqués et sans aucune possibilité de communications, avaient commencé d’installer des serres autour des bâtiments industriels et techniques dans les Fonds, pour le cas où les autres terriers n’auraient pas pu leur venir en aide à temps.

 C’est ainsi que les colons en charge de l’entretien et de la bonne marche des Fonds, certains d’entre eux en tous cas, avaient choisit par la suite d’installer quelques hameaux permanents sur place. Il y’en avait toujours quelques petites centaines par terrier. C’est là que Yasmina se précipitait à vive allure. Elle se trouvait en tournée d’inspection à C7 et elle était le médecin le plus proche. En train de dégager la glace sur une épaisseur de 60 cm en milieu néo arctique pour installer des capteurs, son braç comm l’avait bipée. Une verte, enceinte de 8 mois avait des problèmes et le seul infirmier présent sur place paniquait. Médecin biologiste polyvalente Yasmina assura qu’elle s’y rendait toutes affaires cessantes. Elle rappela brièvement les consignes à ses deux assistants avant d’enfourcher le Quad.

 Le Directoire martien avait averti les candidats à l’implantation durable profonde dans les Taupinières : « Les ombilics ne seront pas dotés de plus d’énergie, ni lumineuse, ni autre. ». Dans les faits on avait légèrement ajusté l’intensité et la qualité tout de même. Les parois avaient été réglées pour une température constante de 14 degrés centigrades. L’endroit n’en restait pas moins effrayant avec son ambiance crépusculaire. Aucun brassage artificiel complexe ne gérait la circulation de l’atmosphère. Yasmina alluma les phares puissants du Quad tout-terrain. Depuis son arrivée sur la planète rouge c’était la troisième fois qu’elle mettait les pieds si bas dans le réseau.

 Yacine, le  mari de Bosh’aül venait assez régulièrement ici. « Pour me ressourcer » Disait-il. Peu de Verts auraient eu ce genre d’idée…

 Sur les avenues de C3, jalonnées de lampadaires d’aspect très terriens, Yasmina se mit en schuss sur son Quad, cela faisait plus de 20 ans qu’elle n’avait pas pu pousser une pointe de vitesse sur route. Les habitants de C3 avaient subrepticement équipé les lampadaires et une végétation buissonnante bordait la large avenue. A pleine vitesse, Yasmina arriva en vue d’une navette sur rail magnétique qui glissait sur les voies centrales. Sûrement un transport scolaire. Les jeunes occupants du tram se levèrent tous en bloc et lui adressèrent de grands signes en criant.  Elle les salua en les dépassant. Ça allait jaser en arrivant aux domiciles. De grands bâtiments se succédaient de part et d’autre de l’avenue. On voyaient de gros Pexs de manutention un peu partout.

 Le réseau de transport de personnes et de marchandises pour la consommation animale et humaine, à lui seul, était un casse-tête permanent. Et il n’était qu’un réseau parmi tous les autres avec leur logique multichrone propre…Yasmina imagina ce que les Protectrices devaient co-gérer de façon continue. Elle se rappela Zdenka qui avait été en charge 11 ans au poste, avec l’armée en sus. Elle n’aurait voulu ce genre de responsabilité pour rien au monde.

 « Je préfèrerais venir habiter à C1 et ne plus en bouger ! » Non quand même pas.

 La dernière rampe était toute  en courbes, Yasmina ralentit un peu.

 Arrivée à C2, elle s’engagea sur une route vers la maison où elle était attendue. L’infirmier était blême, Yasmina l’envoya se reposer un peu dans le salon avec le père. Elle sourit à la femme sur son lit. Après une auscultation préliminaire, l’impression qu’elle avait eu en entrant dans la chambre se confirma. L’infirmier avait eu raison, la patiente n’était plus transportable. Elle l’appela pour lui donner le détail des premières mesures de soin et, lui tapa sur l’épaule. Avant que le travail ne commence, elle alla comm dans le salon afin que le matos nécessaire lui parvienne au plus tôt depuis le dispensaire hospitalier de C4. En essayant de ne pas trop affoler le père dont les oreilles traînaient par là. La patiente était arrivée sur Mars 18 ans auparavant, Ranke 3, 55 ans d’âge réel, seconde parturition, bonne santé. Complications prévisibles : non.

 « Votre compagne doit délivrer ici, monsieur. Ça ira ? Un accouchement vous tente ? »

 « Vous êtes bien gynécologue obstétricienne Ser ? » Demanda l’homme.

 Yasmina répondit que oui, ce qui n’était qu’imparfaitement la vérité, elle n’avait pas le temps de se lancer dans des explications. Elle n’avait plus eu en charge d’accouchements depuis son voyage sur le Véga, il y’avait 21 ans de cela, si l’on excepte les délivrances vétérinaires nombreuses qui faisaient partie de son boulot, occasionnellement, dans les cavités Bio. La technologie médicale pour ces épreuves là n’avait pas du faire de bonds de géants depuis, et elle savait ce qu’elle avait à faire !

 Yasmina aida à l’accouchement d’un tout petit garçon, qui fut bientôt placé dans la couveuse sous la garde vigilante de l’infirmier très soulagé.  Le père, penché sur la couveuse parlait doucement au bébé. Yasmina expliqua qu’elle retournait examiner la mère. Elle entra et ferma la cloison coulissante de la chambre derrière elle. Pendant qu’elle prenait soin de la parturiente, elle trouva le moyen d’engager un tout petit bout de conversation. Elle dit d’une voix audible et douce à  Irna ainsi que la mère s’appelait.

 « Vous avez déclenché n’est-ce pas ? Vous le savez ?»

 Irna eut un bref regard courroucé mais devant la mine radieuse fendue d’un sourire immense de l’ algérienne, elle ne réussit pas à conserver cette pose.

 « Écoutez…vous êtes épuisée. Votre fils va bien et il devra passer quelques jours « chez nous ». Ils vont être aux petits oignons avec lui, les naissances hors maternité sont si exceptionnelles sur Mars. Je ne compte pas signaler ce que j’ai cru déceler dans mon compte-rendu d’accouchement. Vous avez procédé de façon…appropriée, si j’ose dire. Sauf si vous l’exigez naturellement.»

 Irna la remercia en baissant les yeux. Puis lui demanda à son tour :

 « Vous êtes bien Yasmina, l’amie de Bosh’aül, docteur ? » Demanda t’elle.

 « Ser Ramdzong est mon chef et mon amie, c’est exact…quel rapport ? »

 « Si Bosh’aül est votre amie alors vous connaissez sûrement Yacine – à la vue de l’expression de Yasmina elle continua – Alors, allez donc le voir à l’occasion, il connaît mon histoire et je lui dirai qu’il peut vous la confier. » 

Un peu troublée quand même, Yasmina remonta sur le Quad dès que le véhicule pour le transfert du nouveau-né, fut reparti. Elle démarra et remonta à Traklaym pour dormir.