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Solar Ranks
21 décembre 2009

(musaraignes ?)

 

Terre - Sud du Groenland.

 Centre d’entraînement Rank intégrationniste, géré par la Flotte Jupiter et Région Titan                 

 Les deux musaraignes frétillaient dans la cage minuscule. Leurs moustaches vibraient et leurs narines humaient l’atmosphère à petits coups rapides et nerveux. Cela sentait toute une gamme de produits inconnus ici. Elles sortirent prudemment lorsque la porte de la cage fut ouverte depuis un petit moment. A coups de langues, elles continuèrent leur exploration gustative de cet environnement nouveau pour elles. Une lumière tamisée, douce, pulsait des murs et du plafond. Rien à voir avec l’affreuse pièce illuminée et blanche dans laquelle elles avaient attendu des heures durant depuis leur capture la veille. La plus vieille des souris s’enhardit et s’éloigna de quelques longueurs de la cage. L’espace ici était vaste, très vaste, mais un faible courant d’air parvenait de l’autre extrémité, à au moins vingt mètres de leur position actuelle. Une issue ? En rasant les murs autant qu’elles le purent les deux petites bêtes filèrent vers l’arrivée d’air. « Enfer : il y’avait une grille, fine mais robuste ! », et deux autres grilles du même genre un peu après. Que faire maintenant ?

 

Après ces cinq premières minutes de semi liberté, leurs cœurs fragiles battaient la chamade. La plus jeune chercha à escalader les curieux meubles en forme de coquilles qui jalonnaient la salle. La plus vieille lui intima l’ordre d’arrêter sa tentative. D’après elle le moment n’était pas encore venu de grimper. Grimper ça voulait dire abdiquer une partie de leur mobilité. Il fallait d’abord observer la strate supérieure de cet espace. Ne serait-ce qu’un peu. Ensuite on aviserait. En regardant vers le haut les deux bestioles constatèrent que de longs flexibles reliaient les meubles coquilles à des caissons faiblement illuminés de l’intérieur. Elles étaient vraiment toutes petites dans cet endroit qui sentait mauvais une chimie à laquelle leur vie dans les sous-bois ne les avait pas préparées. Oui, il y’avait des caissons où des liquides luisaient avec des lueurs froides ou chaudes selon le cas. Et des meubles en forme de coquille posée sur des pieds métalliques. La plus jeune avait déjà vu cette forme ailleurs : les humains se posaient la dedans dans des postures grotesques à l’occasion. Le concept de siège baquet est un peu trop compliqué pour un cerveau de musaraigne.

 Les seize opérateurs Pex aspirants, bien qu’immobiles et léthargiques dans leurs coquilles, se concentraient en tentant d’établir que leurs progrès en pilotage de nano pex valaient la peine qu’on les note correctement. Dans quatre des grands bacs centraux, leurs instructeurs avaient reconstitué des environnements spéciaux. Les bacs mesuraient environ deux mètres sur quatre sur un mètre cinquante de haut, mais comme leurs Pexs actifs nanos 5 mesuraient eux moins de l’épaisseur d’un cheveu, c’étaient de vrais petites régions.

 Certaines exposées à un froid intense d’autres à des chaleurs éprouvantes. Les élèves pilotaient leurs équipes de nanos Pex en tâchant d’apprendre à coordonner leurs efforts en accomplissant des tâches précises. Tout en se défiant des pièges que les instructeurs leur concoctaient : brusques dépressurisation, inversions thermiques, fausses pistes, cataclysmes chimiques, etc. Ils dialoguaient entre eux en circuit fermé par équipes des cinq Opérateurs Pex. Leurs dialogues n’étaient pas audibles dans la salle où reposaient leurs corps endormis. Mais les instructeurs dans une cabine à part leur menaient la vie dure. L’esprit d’Opex 7, un jeune aspirant Rank 3 de vingt six ans, sursauta quand la voix de leur instructeur lui parvint.

 « Opex 7 ! Qu’est ce que c’est que ce mouvement tordu à gauche ? Vous n’avez pas vu qu’il y’a un bain d’acide par là ? »

 « Si Major ! Je…je croyais pouvoir couper par le rebord externe pour rejoindre Laura…euh pardon, pour rejoindre Opex 9. »

 « Eh bien reprenez vos procédures si vous voulez que le test puisse continuer, mon petit. Et souvenez vous, groupe 3 - il vous reste 35 minutes pour dégager cet agglomérat moléculaire en T-M 19. Ensuite, quoiqu’il en soit, il vous restera encore trois épreuves de trois heures. Terminé.»

 

Opex 7 reprit ses cohortes de nanoPexs 5 fouisseurs et repartit dans l’autre sens. « La zone T-M 19…il en a de bonnes le chef, c’est à au moins 15 unités longueur. Evidemment ça ne représente que 75 centimètres mais c’est vachement loin ! ». Il s’était perdu avec ses cohortes de nanoPexs. Sous ses écouteurs, devant l’écran de contrôle du poste de guet et d’observation, le Major instructeur rigolait. Cet Opex 7, c’était vraiment un marrant, son leurre avait fonctionné. L’aspirant avait perdu le contact groupe au visuel.

 « Ne soyez pas trop dur avec eux, Major.- lui signala la Capitane surveillante des épreuves en interne. - Ce ne sont que des apprentis ! On ne va pas les balancer sur le terrain avant des années. »

 « Elle a raison, - songea le Major - ce n’est pas demain la veille qu’Opex 7 pourra aller sur Titan ! »

 La surveillante Capitane Intégrationniste se demanda combien de temps Opex 16, qui veillait sur la salle de léthargie, mettrait pour remonter jusqu’aux petits rongeurs qu’elle avait lâchés. L’Opex de garde, chargé uniquement de la surveillance des corps endormis, n’avait pas intérêt à rêvasser sinon elle se ferait connaître. Ni non plus d’abîmer ses deux petits cobayes avec une procédure trop violente. Dégager les intrus biologiques que les instructeurs lâchaient parfois dans la salle de léthargie avec une brutalité inutile était très mal considéré. Même si les intrus étaient des insectes, ils n’étaient quand même jamais venimeux. Surtout à ce stade précoce de l’apprentissage crut elle se souvenir…

 Les intégrationnistes, ou intégratios, étaient un sous-groupe composé d’EVA et d’Amélios sauvages voire d’EVO, de Ranks civils ou non, dissidents ou non.

 La déviance dont ils faisaient profession à l’égard de l’esprit de la Charte, tenait et tient toujours en ceci :

 Lorsque un être humain se mettait en conditions de gérer le « réel » et d’agir sur son environnement entièrement par le biais de robots et de dispositifs cyber, son corps physique connecté devenait une enveloppe plus ou moins dormante. La Charte, ainsi que les habitus en vigueur partout, règlementaient cet état de faits. C’était tout à fait nécessaire.

 Et bien : les intégratios avaient décidé de se passer de cet encadrement.

 Ils avaient poussé au max la fusion Homme/Pex et supportaient sans broncher de passer « ailleurs » des journées et des nuits entières. Pour leurs éléments les plus doués et les plus assidus, dix voire quinze jours de connexion d’affilée ne présentaient aucun problème.

 « Quel problème ? » disaient-ils.

 Cela avait commencé quarante-quatre ans auparavant, entre 2075 et 2085, avec les missions lointaines vers les satellites de Jupiter. Les voyageurs/explorateurs s’étaient accoutumés à passer du mode éveil au mode veille, du mode connecté au mode veille, du sommeil au mode connecté sans passer par l’étape réveil à part un bref shunt, etcetera.

 Lorsque leurs Pex robotisés prenaient, par exemple, possession d’une portion de la surface de Cassini, par la suite, ils ne perdaient pas de temps à réintégrer pour discuter des mesures à prendre lors des vacations suivantes. Pas le temps. Saturne c’est loin ! Ils discutaient de tout ça sur place…entre Pexs. Cela marchait fort bien. Sur les bâtiments orbitaux, il y’avait assez de médecins et de psychologues pour s’occuper de leurs carcasses et de leur mental. D’ailleurs leurs équipes pex comportaient aussi des médecins, surtout des psychiatres, présents sur le terrain avec eux pour parer à toute éventualité et comprendre les contraintes in-situ. Ils étaient tous de grands professionnels comme on dit.

 Certes.

 Quand vous êtes à des heures de liaison radio de vos foyers, que votre présence sur place est limitée dans le temps, que vous êtes quelques milliers d’êtres humains hautement concernés éparpillés dans un secteur immense et glacial, cette entorse aux conventions Chartistes en matière de processus cyberassistés paraît non seulement possible mais même souhaitable. Le vide cosmique n’est pas exactement une plaisanterie débonnaire pour douaniers qui s’ennuient en tapant le carton.

 Les commodores en charge de la flotte Jovienne expliquèrent donc leur dilemme à la terre.

 En résumé cela donnait : « Ici Région Jupiter et zone Saturne-Titan. Soit plausiblement nous revenons avec beaucoup de données mais peu de résultats concrets. Soit vous autorisez certains accommodements et on pourra commencer bientôt l’exploitation directe. »

 Contrairement à Mars, il s’agissait là avant tout d’un débat économique. L’édification des missions dites joviennes avait représenté un fantastique effort financier, une ponction énergétique et industrielle affreusement coûteuse. Toute la planète s’y était mise, Ranks, Nations, Multinationales. Même les Lysistrates après 2085, étaient sorties de leur splendide isolement pour mettre à disposition des technologies inédites de champs spécialisés. Elles avaient mis au point un champ de forces qui une fois générées produisait une coquille à albédo renforcé. Champ dit « écran total » pour les profanes et les petits rigolos qui avait cependant une sacrée utilité pour protéger des rayonnements solaires directs les grosses masses pendant leur trajet sidéral

 L’espoir initial était que les richesses à exploiter là bas compenseraient à terme la mise de fonds.  Eau, méthane, minerais, il y’avait dans le coin tout ce qu’il fallait avec des usines de transformation et de recombinaison en orbite, pour que la présence humaine dans l’espace et outre Terre s’autonomise, devienne une vraie aventure et non plus un simple pis-aller dérivatif.

 Il y’avait urgence, l’accord fut donc donné aux intégrationnistes de continuer la préparation à exploitation.

 Centre de recherche et de formation intégratio – Groenland. (suite).

 Un quart d’heure plus tard, les deux musaraignes avaient épuisé toutes les autres possibilités. Une ouverture petite mais sans grillage s’ouvrait dans le haut d’un mur. Il faudrait escalader sur un des meubles coquilles puis courir le long du flexible orange, sauter sur le flexible bleu et sauter ensuite à travers cette ouverture. Quelques haltes prudentes sur les coquilles sur le chemin et Hop elles seraient sauvées. « En avant ! »  Pépièrent elles dans les infrasons en se précipitant. Hélas ! La plus jeune s’attarda pour renifler la saveur de la peau d’une des mains d’humain qui reposait sur un des sièges. Un signal retentit sur l’écran interne d’Opex 16 qui était chargé de la surveillance de la salle. « Intrusion ! » signalait le témoin. Opex16 fit un scan rapide et identifia illico les deux minuscules rongeurs perchés sur la coquille d’Opex 7. Le léger tressaillement de la peau de l’apprenti opérateur avait suffit. Le signal s’était répercuté via son système nerveux  sur les senseurs biologiques et de là sur son écran.

 Opex 16 dépêcha sur place une équipe de pexs de la taille de petits scarabées qui se déplaçaient avec le minimum de bruits de fond. Ils rattrapèrent bientôt les deux musaraignes, perchées à deux mètres du sol. « Attention ! » Cria la vieille rongeuse à sa sœur cadette. Trop tard. Ce fut l’horreur. Une marée d’insecte comme elles n’en avaient jamais vu accrochèrent posément leurs palpes dans l’épaisseur de leurs fourrures soyeuses. Les scarabées les emmenèrent ensuite le long du flexible. Les Pexs scarabées les déposèrent au final dans les mains chaudes et bien réveillées de la Capitane surveillante qui avait suivi le manège de bout en bout, puisqu’elle en était l’auteur.

 La Capitane Ranke 2 envoya une félicitation audio à Opex 16, tout en calmant les deux petits rongeurs du bout des doigts.

 « Bien joué Opex 16, bonne garde de la salle de léthargie. Deux minutes 40 depuis le signal d’alerte, pas mal ! Pour le Test suivant, prochain Opex de garde : Opex 7. Passez le mot.».

 Elle contempla les deux bestioles et alla les confier à un jeune aspirant qui se précipitait à la porte avec empressement. « Ramenez ces deux commères chez elles en forêt, aspirant, et assurez-vous qu’elles vont bien en s’en retournant ! » Lui dit elle en tendant la cage.

 « Oui Ser, ce sera fait. » Lui assura le jeune gars dans un sourire. La porte de la minuscule cage se rabattit sur les deux souris soulagées d’être là à nouveau. Une demi heure plus tard elles retrouvaient leur sous-bois, intact.

 La  flotte  jovienne en 2130 en quelques chiffres. (Estimations)

 Dite « Région Jupiter » – principales localisations des corps célestes de destination : Titan,  Jupiter, satellites galiléens, Saturne (satellites et anneaux). 

 35 000 personnes. Présence moyenne sur place : deux ans ; voyage aller et retour : 3 ans. Plus 1 an et demi aller-retour supplémentaire pour zone Saturne. (2 rotations/ans selon les conjonctions astronomiques).

 8 gros bâtiments avec quartiers noyaux en Grav 1 – (5000 places chacun)

 7 Bâtiments industriels - (1000 travailleurs et membres d’équipage)

 3 Centres de recherche et de production technologiques (1 base au sol sur titan et 2 dans l’espace) – (5000 personnes en 2130)

 Transports pour les allers et retours vers la terre et transjoviens :

 2 des gros bâtiments + 17 bâtiments d’accompagnement – (1000 personnels d’équipage)

 Bases spatiales relais – (2000 personnes)

 Petits orbiteurs et bâtiments spécialisés : une centaine – (2000 membres d’équipage.)

 

Dès 2080, il avait été décidé de confier des sites Lunaires à ceux qui s’appelaient eux-mêmes les intégrationnistes afin qu’ils y mettent au point les techniques adéquates pour arracher leurs richesses aux puits gravitationnels joviens et à Cassini-Titan. Dès que les premières bordées de retour de Région Jupiter revinrent sur terre, les travaux d’installation de deux grosses bases lunaires entièrement dédiées à ces recherches furent finalisés. Avec leurs annexes et les antennes sur la Terre, ce fut le point de départ historique de l’intégrationnisme sur terre. Les spatiaux entre deux bordées (le maximum autorisé était de quatre bordées dans une vie) redescendaient et étaient acclamés, accueillis en héros. Les plus connus étaient l’objet de véritables cultes médiatiques. Ils envoyaient à la Terre, après avoir voyagé deux voire trois ans vers les confins glaciaux du système solaires, des millions de tonnes de matériaux. Eau recombinée venue d’Europe, Méthane de Titan et autre, Hydrogène d’un peu partout. Minerais de toutes sortes, métalliques ou non. Les réserves épuisées de la Terre trouvaient là un apport extérieur qui chaque jour augmentait en volume. Ceux qui s’appelleraient plus tard les Mauves se considéraient comme les approvisionneurs sacrés de la planète des origines.

 La Flotte des Régions Jupiter/Saturne qui s’occupait du convoyage et des travaux là-bas, sur place, était une Puissance en constante expansion. Les équipages et les travailleurs chargés des extractions étaient majoritairement des Ranks. On y trouvait aussi des Amélios membres des Nations de la Terre, ainsi que des représentants et employés des grands Trusts, et pas seulement les Trusts industriels. Tous les grands Trusts envoyaient du monde là-bas : Agrobizness, Médias, Informatique, Médecine, tous le monde voulait participer au grand Œuvre. Ce qui, on le verra, allait poser certains problèmes assez graves.

 L’organisation interne de La Flotte Jupiter/Saturne recouvrait une structure très militarisée. Ses membres étaient fiers de leurs grades, l’uniforme était de rigueur (sauf pour les travailleurs issus des Trusts et les représentants civils des états.). Zdenka Placek, qui réceptionnait les matières arrachées de si loin et les réinjectait à la surface de la Terre pouvait estimer qu’elle était fière d’être une pilote libre, héritière des Ranks des origines. C’est simplement qu’elle avait bien de la chance de bosser en espace proche terrestre ! Les Amélios de la Flotte, eux, étaient bel et bien soumis à une discipline de type militaire, ou hiérarchique forte.

 

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Solar Ranks
  • Texte de science-fiction/anticipation. Les siècles prochains l'humanité sera t'elle moins stupide que pendant ceux qui ont précédé ? Quelques parcours humains, animaux et végétaux en 700 pages.
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